Caem (3FF7): "au moins le livret sera beau"

Peux-tu te présenter en quelques lignes ?Portrait de l'auteur Caem

Caem, 35 ans. J’habite du côté de Nantes. Je ne me suis vraiment mis au JdR sur table que tardivement. Cependant, je suis depuis une dizaine d'années organisateur et scénariste de JdR Grandeur Nature. Avec mon association - Les Porteurs de Légendes fb - on organisait jusqu’à l’été dernier un GN de Heroïc-Fantasy intitulé les Légendes d’Assia fb pour une centaine de joueurs. Un monde « original », co-construit entre bénévoles de l’association pendant près de dix ans maintenant.

Depuis les confinements, je me suis lancé dans une humble chaîne Youtube, baptisée Forgemonde, pour parler de mes passions autour de la scénarisation, du world building et du gamedesign.

Comment es-tu arrivé au Défi 3FF ?

C’est en participant à la jam de D1000d100 [écrire un JdR en 1100 mots], il y a deux ans, qu’il a été évoqué le Défi 3 Fois Forgé. Ma principale ambition est d’apprendre d’autres auteurs, de découvrir des inspirations, des façons d’aborder un jeu, d’être bousculé et devoir sortir des sentiers battus.

Première étape : un jeu de rôle de 6500 signes

Quels étaient tes objectifs lors de l’écriture de ton jeu de l’étape 1 ?

L'élaboration de la première forge a été toute une épreuve cette année. Un peu trop d’idées que je souhaitais explorer. J’avais notamment l’envie d’explorer des sujets clivants et militants : ma première idée était un jeu qui mélange le monde du travail et SOS fantômes, le but était de traquer des PArasiTRONS, des créatures qui prolifèrent par l’exploitation des ouvriers. Mais finalement, je n’avais réussi à retranscrire quelque chose d’exploitable pour le forgeron suivant. Oui, l’un de mes principaux objectifs est de fournir quelque chose d'exploitable et non une liste d'idées pêle-mêle.

Je me suis donc rabattu sur un essai de gamedesign. En gros, le concept se base sur la légende urbaine de l’Effet Mandela : des univers parallèles existent et ont tendance à converger les uns vers les autres, venant jusqu’à altérer notre réalité, ce qui donne des impressions de déjà-vu - ou encore le fait que des gens croient que Nelson Mandela est mort en prison. J’avais vraiment envie de voir comment on pouvait exploiter un concept aussi perché dans un système de jeu. 

Dans ma 1e forge, les personnages ont la capacité, pour réussir un jet de dés, d’attirer une réalité parallèle dans laquelle ils ont réussi. Mais - forcément il faut un « mais » - chaque altération de la réalité, chaque Effet Mandela expose les personnages au risque de se perdre entre les réalités, de perdre tout autant leur esprit que leur ancrage dans leur réalité, les transformant en Divergeants.

J’ai greffé un univers contemporain assez classique là-dessus.

Ton opinion sur ce qu’il est devenu ?

C’est devenu un JdR assez générique, sans réelle saveur. Malgré de bonnes idées ci et là, notamment sur différents pouvoirs liés à l’Effet Mandela, on est sur quelque chose de vu et revu, un jeu d’aventure ; des créatures, une société secrète. Le système est peut-être ce qui pêche le plus, peut-être une volonté de faire trop complexe, mais j’ai trouvé que c’était surtout un gros gloubiboulga.

Au final, je me dis que j’aurai dû présenter les concepts clivants et les plus ludiques dès la première étape, sans m'escrimer à présenter une version amoindrie de mes idées pour obtenir une 1e forge pleinement jouable.

Quel accueil la dernière version a-t-elle reçu ?

L'Effet Mandela

À chaque instant, une infinité de réalités naissent et d’autres convergent. Des personnes conservent des souvenirs antérieurs aux convergences : c’est l’effet Mandela.

Votre personnage, capable de manipuler et percevoir les existences, a été recruté pour préserver notre réalité.

Elle a fini 14e sur 16 dans le bas du classement.

Globalement, les noteurs ont soulevé les points que j’évoquais précédemment. En tout cas leurs avis sont très intéressants, ainsi que pertinents, et me font entrevoir comment j’aurai pu mieux réaliser ma première forge.

Pourtant les pairs notent la 3e étape, pas la 1e… ça veut dire que le jeu n’a pas été complètement chamboulé par les autres créateurs ?

Il a très peu changé dans le fond et la forme.

Deuxième étape : récupérer un JdR et en créer un de 13500 signes

Comment as-tu perçu Voulez-vous danser ? le jeu que tu as reçu pour l’étape 2 ?

Alala, DANSALK-1… Je me souviens que, quand je l’ai reçu, j’étais au restaurant avec ma compagne et que je l’ai lu entre deux plats. Et au moment du dessert, j’ai dit :

“***** mais c’est génial, c’est beau ! C’est un jeu fini ! Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir en faire ?”

Clairement, j’ai adoré cette première forge écrite par Silarkhar. Une simplicité stupéfiante : un bal est organisé avant l’élection d’un dirigeant. Les joueurs co-construisent l’univers et les factions. Ces dernières vont représenter des valeurs choisies par les joueurs. Chaque joueur interprète un représentant d’une faction, tout en gardant secret son groupe d’appartenance. On lance une playlist, et pendant la durée d’une musique, un personnage invite un autre à danser. Lui pose des questions tout au long d’une valse.

Simple, poétique, efficace… Je vous ai déjà dit que j’avais vraiment adoré cette forge ?

Qu’as-tu changé et pourquoi ?

Impossible de savoir où mettre les mains, quoi modifier. À chaque fois, ça donnait quelque chose de bof, de limite passable. J’aurai pu travailler uniquement sur l'élaboration du lore, de l’univers du bal. Mais j’en mange toute l’année pour la conception de GN, du coup, j’avais envie de me consacrer au gameplay. Du coup, j’ai décidé d’en faire une comédie musicale.

Et ce fut dur ; mon idée première ressemblait trop à l’excellent Rock Us du 3FF6. J’ai dû beaucoup travailler pour m’éloigner de cette trop grande inspiration. Le résultat, Orchésographie ne m’a pas déplu : c’est léger comme une comédie musicale, le système est basé sur la danse et les affrontements se résolvent comme des battles de hip-hop.

Bon finalement, j’ai retenu de DANSALK-1 la danse, alors que l’auteur voulait explorer la musique… Comme quoi !

Ton opinion sur ce qu’il est devenu en 3e étape, et l’accueil que ce jeu a reçu ?

La comédie musicale est devenue Street Wars, un jeu sur la culture hip-hop. Alors ça m’a fait beaucoup sourire, parce que c’était une idée que j’avais eu aussi. J’ai beaucoup aimé ; j’ai découvert des idées intéressantes, et un meilleur traitement en termes de système que ce que j’avais fait.

Street Wars (6e) se déroule dans un univers moderne similaire au nôtre, dans les bas quartiers... À un détail près : le scénario se transforme en une comédie musicale hip-hop. Ici, tout est joué et incarné par la danse, le chant, la musique et les tags. Vous et votre Crew marquerez-vous la City?

D’ailleurs, je n’avais pas compris que c’était la musique le point clé de la première forge ; vu que ça parlait d’un bal, je me suis arrêté sur la danse sans penser à la musique. C’était une très belle surprise et les noteurs ne s’y sont pas trompés, il a fini dans le peloton de tête

Troisième étape : récupérer un JdR de 2e étape et le passer à 27500 signes

Quelle fut ta réaction en recevant le jeu que tu devais développer pour être jugé ?

Nouvelle Vie pour un nouveau Monde présentait un monde de space fantasy. Les humains colonisent sans vergogne une planète où vivent de nombreuses races aliens, autochtones. Les Personnages-Joueurs sont des humains, mais à leur mort ils se retrouvent réincarnés en autochtones ; s’ils meurent encore, et selon leurs actions, ils se réincarnent en différentes espèces alien.

Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? Comment intégrer la réincarnation tout en parlant des problèmes du colonialisme ? Il y avait du boulot sur la planche.

Qu’en as-tu fait ?

J’ai regardé les idées de la forge 1, celles de la forge 2 et j’ai testé avec 2 tables en ligne sur deux soirées. Cela m’a permis de voir un peu si le gameplay permettait de faire ressortir les messages propres aux deux forges. La difficulté était de traiter de la réincarnation en tant que mécanique de jeu et de parler :

  • de la colonisation, 

  • de l’altérité, 

  • des questions de racisme,

  • de destruction de l'environnement, 

…sans se tirer de balle dans les pieds.

Du coup, je me suis documenté, beaucoup documenté sur la réincarnation au travers des cultures et des religions. J’ai cherché aussi des JdR qui ont pour élément de gameplay principal la réincarnation (sans grand succès, mais en même temps je manquais un peu de temps pour une recherche bibliographique complète). Enfin, il me fallait des billes pour traiter de la question de l’autre, du racisme et de l’acceptation. 

Et j’ai eu mon épiphanie quasiment la veille pour le lendemain. En deux nuits, j’ai écrit Majipour. J’ai travaillé le système de la réincarnation, afin qu’elle serve au thème de l’acceptation de l’autre, de la découverte de l’autre.

J’ai ensuite étoffé le décor, et forcément créer un univers de SF peut être long et fastidieux. Du coup, j’ai pris un risque : je me suis basé en petite partie sur Avatar, afin que les lecteurs puissent se rattacher à une imagerie sans devoir rédiger des kilomètres de descriptions. 

J’ai décrit des clans extraterrestres, tous inspirés de peuples de notre Histoire : les Amérindiens des grandes plaines, les Aztèques, les peuples amazoniens ou encore les Nomades de la mer d'Indonésie. Certes le lore n’était pas original, mais c'était un gain de temps et de signes pour me consacrer au cœur du jeu : son système de jeu et sa thématique.

J’avais besoin que les joueurs - qui interprètent les autochtones - doivent faire des choix : choisir entre le bien et le mal, et qu’ils subissent les effets de leurs actions et de la modification de leur monde à cause d’un envahisseur. C’est pourquoi j’ai plongé le monde de Majipour dans un post-apo avec un système de jeu basé sur la survie. J’avais envie que les joueurs s’émerveillent devant les beautés de Majipour, leur donnant un sentiment d’attachement, car quand on s’attache, on a envie de protéger. Mais aussi que les personnages doivent survivre et faire des choix difficiles. Que sont-ils prêts à faire pour survivre une journée de plus ? Je voulais qu’on ne sorte pas indemne de ce voyage initiatique.

Concernant les choix des joueurs, plus ils engagent les PJ sur une voie bienveillante, plus ceux-ci auront de facilité à faire de bonnes actions. Plus ils s’engagent dans le côté obscur, plus il sera facile pour les PJ d’accomplir de mauvaises actions. Grosso-modo, si le personnage devient Gandhi, il lui sera très facile d'offrir son repas pour une autre personne, mais il lui sera très dur de voler le repas d’une autre personne. Et ce, même si les deux actions signifient sa mort. Mais ce n’est pas impossible, juste difficile. A contrario, un personnage qui devient un tueur en série n’aura aucune difficulté à voler tout ce dont il a envie.

Majipour est parti en finale, quels ont été les retours des pairs et du jury ?

Quand j’ai rendu le jeu, j’ai dit à ma compagne : “À défaut d’un bon jeu, au moins le livret sera beau”. Ça vous donne l’état d’esprit : déjà que je ne participe pas pour gagner, mais pour le coup je n’étais pas vraiment satisfait. 

Majipour

Pour une raison inconnue, vous vous réincarnez à chacune de vos morts. Non sans subir des modifications.

Malédiction ? Bénédiction ?

Dans un monde dominé par un envahisseur, où chaque jour est une lutte pour la survie : que ferez-vous ? Lutterez-vous ? Embrasserez-vous la voie de l’illumination ?

À ma grande surprise, il a été très très bien reçu. Déjà je ne m’attendais pas à aller en finale, encore moins à ce que le jeu soit bien reçu par la majorité des noteurs. Ils m’ont donné une mine d’or d’informations : la plupart des remarques sont dues à des choix que j’ai dû faire quand j’ai tronqué mon texte pour ne pas dépasser les 28.000 signes. Donc quelque part, c’est rassurant. Je m’attendais à une levée de boucliers avec un thème aussi clivant, et finalement c’est passé, hormis pour un noteur qui a détesté et qui m’a juste mis au pilori sans rien chercher dans le jeu. Comme on dit : quand on veut piquer son chien, on lui trouve toutes les maladies. C’est dommage.

N'as-tu pas « perdu » des signes avec le laïus sur la sécurité émotionnelle ?

« Les signes perdus avec la sécurité émotionnelle » montrent qu’ils ne sont pas perdus pour un jeu qui va axer sur la torture, le meurtre et le racisme. Alors, j’y suis confronté régulièrement que ce soit en GN ou autour de tables de JdR. Je préfère me prendre une bûche parce qu’on estime qu’on perd des signes avec un paragraphe sur le sujet, que laisser un jeu en ligne accessible à tous qui n’en parle pas.

Parmi les jeux que tu as notés, lesquels recommanderais-tu ?

Ça va paraître dur, mais aucun des jeux que j’ai notés. Ils ont tous des forces et des faiblesses sans pour autant qu’un se démarque réellement au-dessus du lot. Mais pour ceux qui veulent avoir des idées de systèmes, je recommande Tyché qui en fourmille et qui mériterait une nouvelle version en travaillant les idées de la 3e forge.

Dans Tyché, des divinités s'amusent à suivre le chemin de mortels aux prises avec des événements les dépassant, chacune faisant en sorte que l'un d'entre eux devienne son héros.

Vous allez interpréter aussi bien ces divinités capricieuses que le héros mortel sur lequel une autre divinité a parié…

Par contre, dans les autres JdR du Défi, je recommanderai sans hésitation La Mémoire des Pierres. C’est beau, c’est facilement jouable, c’est propre, c’est efficace. Pour moi c’est un jeu qui touche du bout des doigts la perfection. C’est une injustice de ne pas le voir en finale, mais bon, c’est le jeu des notations :)

La Mémoire des Pierres (5e)

Les témoins doivent disparaître.

Les médiums sont là pour ça.

Les militaires s'en assureront.

Un JdR d'horreur à narration partagée autour d'un jeu de Tarot.

 

3FF conv’

Quel souvenir gardes-tu de la 3FF-conv’, où l’on joue aux JdR du défi ?

Pour différentes raisons personnelles, je n’ai pas participé cette année. Par contre, je l’avais fait l’année dernière et j’avais adoré. Jamais je n’aurai joué à la 1e forge Secuception ou à Les Secrets de l’École des sorciers en dehors du concours. Et ça aurait été dommage, c’était deux soirées vraiment excellentes.

Le Défi

Participeras-tu au défi 2023 ?

Je ne sais pas, les troubles dys que j’ai (TDA et dysorthographie) me rendent la tâche vraiment très dure chaque année. Donc ça dépendra de mon « état » à ce moment-là, en sachant que je travaille toujours en parallèle sur de l’écriture de GN. 

Expression libre ?

Côté conseils pour les futurs participants, sur quoi faire, quoi tenter pour écrire vos forges, je trouve qu’il y a déjà pleins de témoignages qui valent de l’or sur le site, par exemple Participez au Défi 3FF ptgptb

Pour les futurs noteurs : la phase de notation n’est ni à prendre trop à la légère ni trop au sérieux. Il faut garder en tête que c’est certainement l’exercice le plus dur du défi. 

Les notes ont un impact et il ne faut pas les prendre à la légère… Même si vous n’aimez pas du tout le jeu, faites l’effort de le lire et d’y voir les bons points. Et ça se voit, quand les remarques faites par celui-ci n’ont aucun sens, ou quand le noteur critique l'absence d’un élément qui est en fait présent. Par exemple, on me reproche de pas mettre un sommaire, alors que bon, il est là en page 3. Ou encore dire qu’un jeu n’est pas original car son thème a été abordé par UN seul film ou UN seul autre JdR - dans ce cas autant arrêter, car nous ne pourrons jamais être originaux. Tous les auteurs se donnent vraiment du mal et il ne faut pas l’oublier.

 
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