Comment écrire une aventure à toute épreuve

Signs & Portents, le magazine de Mongoose Publishing présente :

Six bons conseils pour adapter un scénario aux joueurs les plus fins

Ça va peut être vous surprendre, mais le playtest est un boulot difficile. Il faut avoir l’esprit critique, faire attention au moindre détail et avoir une connaissance des règles du jeu de rôle en question, en plus d’avoir au moins quelques bases littéraires pour reconnaître un texte bien écrit. Tester un scénario jusqu’à sa destruction peut nécessiter plusieurs sessions et beaucoup d’application. Ou une confrontation avec la bande de Mongoose.

En tant que rôlistes, la plupart des lecteurs connaissent l’histoire du scientifique et de son singe. Si ce n’est pas le cas : l’histoire raconte qu’un scientifique créa une pièce avec trois sorties et y plaça un singe afin de savoir quelle sortie il prendrait. Le singe trouva une quatrième sortie, mettant fin à l’expérience, et décrédibilisant le scientifique qui avait ainsi gaspillé des millions en recherche.

Les PJ sont souvent comme le singe de l’histoire, car il est presque sûr qu’ils inventeront une solution à laquelle vous n’avez pas pensé, ce qui oblige le MJ à improviser à fond les ballons jusqu’à ce que les joueurs reviennent par hasard à la trame prévue.

Étant donné que j’ai passé une quantité d’heures appréciable derrière un écran de MJ, observant ces petits malins de joueurs de chez Mongoose, je sais que j’ai raison quand je dis qu’ils vont toujours trouver des issues inattendues mais aussi qu’ils ne vont même pas jeter un œil aux sorties “conventionnelles”. Comme le singe, ils ont l’étrange capacité d’identifier les plus infimes faiblesses que vous avez laissé passer quand vous avez conçu le scénario, et ils vont pousser des cris stridents et tout saloper tant qu’ils y sont.

(Je n’ai pas encore rencontré de… enfin, une rencontre qui marche comme on veut qu’elle marche. Les Grands Méchants meurent d’un seul coup de sabre laser. Deux goules massacrent la moitié d’un groupe qui aurait dû les vaincre avant d’avoir le temps de dire “Repousser les morts-vivants”. Il y a des tués dès le briefing de la mission alors qu’on n’est pas en train de jouer à Paranoïa [un JdR où les PJ sont montés les uns contre les autres et s’accusent réciproquement de traîtrise lors du débriefing (NdT)]. Une effraction de rien du tout devient un casse de haut vol pour une épée qui n’a absolument rien à voir, avec des empoisonnements, la corruption du clergé, le premier essai de danse de la chenille du monde d’Eberron, la création de pas moins de quatre ennemis puissants, un procès au tribunal et en bonus la déchéance d’un paladin. En pensant à tout ça, je voudrais présenter le “Guide de Chez Mongoose pour créer une aventure à toute épreuve”.)

1-Ne pensez pas “Accroche de l’intrigue” : pensez “C’est le personnage-clé de l’intrigue qui tient le flingue”

Imaginez la scène… Un groupe de jeunes âmes aventureuses se rassemble dans une taverne. Pleins de rêves d’aventure (et de bière au prix pas trop excessif), ils décident de chercher fortune ensemble. Par une coïncidence étonnante, un homme s’approche d’eux, offrant de leur vendre une carte au trésor…

“J’ai dépensé tout mon argent dans l’équipement pour l’aventure, dit l’un.

– Et moi je l’ai échangé contre des poulets, dit un autre. Quoi ? C’est dans le livre de règles !

– Ne me regardez pas comme ça !” dit le troisième. “Je suis un moine ! Les pièces d’or avec lesquelles je commence se comptent sur les doigts d’un jongleur manchot.”

Et voilà, finie l’aventure. En théorie. Ce qui risque vraiment d’arriver, c’est que les PJ tenteront de voler la carte. Ce qui va vraiment arriver, c’est que les PJ vont tuer le mystérieux étranger quand il sortira pour une petite vidange, et extraire la carte de ses doigts raidis par la mort.

Pour éviter ce problème : votre accroche doit être irrésistible. Ne proposez pas un homme qui veut vendre sa carte au groupe – faites exploser la taverne ! (I) Dans les ruines, ils trouveront une carte qui mène apparemment à la source de ce qui a détruit l’auberge. Aucun aventurier digne de ce nom ne tournerait le dos à ce genre de pouvoir.

2-Subtilité ? On oublie …

La sagesse communément acceptée dit que chaque groupe se doit d’avoir un filou. Quelqu’un de sournois, et de bon avec les serrures. Quelqu’un qui sait se fondre dans les ombres, qui connaît les meilleurs endroits pour receler des biens – parce que même dans le minuscule village de Blart (7 habitants), quelqu’un achètera votre stock d’armures louches récemment acquises, malgré les trous causés par les flèches et les traces de boules de feu (II).

Malheureusement, chaque groupe contient aussi au moins un personnage pas discret du tout. Et qui porte en permanence son armure de plates complètes. Souvent, il complète le tableau en sonnant une cloche géante et en braillant les tubes de Jimmy Somerville à pleins poumons. Ce personnage et ses séides, qui sont à peu près aussi subtils qu’un groupe de mariachis (III) (mais ne seront jamais aussi mélodieux), rendent toute tentative de discrétion complètement superflue.

Pour éviter ce problème : n’écrivez pas d’aventures qui reposent sur le fait que le groupe évite un adversaire terrible et formidable – une armée entière, par exemple – par la discrétion. Cela n’arrivera pas. Selon toutes probabilités, votre groupe standard d’aventuriers ira en ligne droite directement dans l’obstacle ou à travers, s’il à l’air de résister. Dans ce dernier cas, et si l’obstacle a l’air réceptif aux tentatives de communication, vous pourriez vous attendre à ce que les PJ essayent de s’en sortir par la discussion…

3-Diplomatie ? On oublie…

Malheureusement, pour la plupart des personnages joueurs, se tirer d’affaire en parlant se résume très souvent à “Libérez-moi ou mourez !”. Des persos particulièrement ambitieux pourraient essayer “Rejoignez-moi ou mourez”. D’autres actions diplomatiques courantes incluent “Là, derrière toi !”, “Feu !” et “C’est pas moi, c’est eux”.

Et ce genre de discours, c’est à peu près ce que vous pouvez attendre de toutes les situations. Prenez un scénario classique avec un “jumeau maléfique”, où les joueurs doivent poser des questions intelligentes pour discerner le bon jumeau du mauvais ? On oublie. Les PJ auront probablement manqué vos indices subtils dès le début, et Parler avec les morts est plus simple à jeter que Discerner la vérité. Vous avez besoin que les PJ négocient une paix très importante entre deux empires en guerre, afin d’avoir accès à une tombe oubliée de tous et située au milieu de la zone des combats ? Relisez vos règles de combat de masse et préparez-vous à voir le groupe tailler son chemin vers la tombe, en laissant un sentier de cadavres derrière eux. La sagesse populaire des aventuriers dit : “En temps de paix, jetez les dés pour l’initiative.”

Pour éviter ce problème : ne donnez pas une information cruciale pour l’intrigue à un unique PNJ. Ces personnages tiennent des journaux intimes pour une raison particulière – qui est bien sûr, que le groupe ne rate aucun indice, surtout en fouillant leur cadavre. Le conseil est doublement valable si vous jouez une partie dure et réaliste où les personnages peuvent êtres descendus d’un seul coup chanceux. Si vous choisissez de mettre l’information cruciale de l’intrigue entre les mains d’un PNJ que les joueurs détestent… ben là, vous méritez vraiment de voir votre campagne dérailler complètement lorsqu’ils saisiront la première opportunité de lui balancer une montagne sur la tête. (IV) Ce qui m’amène au point suivant :

4-La violence ? Bien sûr !

Vous pensez que la serveuse de l’auberge n’a pas besoin de caracs de combat ? Revoyez-moi ça. Vous pensez avoir besoin d’un roublard pour passer les portes verrouillées ? Faux. Vous pensez que ce paladin, dans sa brillante armure de plates, n’oserait pas chasser le lapin pour le dîner armé de sa hache de bataille à deux mains ? Je crois que vous avez pigé.

Pour paraphraser l’adage, “quand tout ce que vous avez est une sacrée grosse épée et une liste de compétences de combat trop grande pour votre feuille de perso, soudain tout commence à ressembler à un combat”.

Pour éviter ce problème : acceptez le fait que n’importe quelle rencontre pourrait être abordée par un groupe équipé pour chasser l’ours mais qui ne cherche en fait que du mouton. Si un PNJ doit vraiment survivre à la fin du deuxième round de combat – et ça vaut autant pour les Grands Méchants Vraiment Maléfiques que pour les Nobles Chevaliers Louant les services de Mercenaires Assoiffés de Sang Aventuriers, soyez sûr qu’il est : soit assez puissant pour survivre tout seul, soit copain avec des gens qui eux le sont.

5-Ne pas dépendre de l’intrigue

Vous savez, la ville que vous avez créée, celle qui est assaillie, fait étrange, par des orques, et le premier indice qui mène les joueurs à démasquer une conspiration mondiale d’elfes noirs ? Vous savez comment vous vous êtes débarrassé de la rencontre odoriférante avec Georges Puant, le mendiant de la ville ? Bah non, cette rencontre n’était pas jetable, finalement. Non, les PJ commencent à aimer Georges et veulent qu’il devienne maire.

Excepté une intervention divine, Georges sera élu, parce que les PJ mèneront sa campagne électorale. Ils ne reculeront pas devant le meurtre de vos PNJ cruciaux pour l’intrigue, pendant leur sommeil s’ils ne lèvent ne serait-ce qu’un sourcil désapprobateur. Pendant ce temps, la conspiration elfe noire continue à perpétrer de sombres machinations et devient de plus en plus paranoïaque, au vu du manque d’aventuriers antagonistes.

Pour éviter ce problème : ne mettez rien dans votre aventure qui ne soit directement lié à l’intrigue. Les dahus prennent une signification cosmique pour le groupe de joueurs standard, et une mention fortuite du mythique (et comme les MJ le savent très bien, inexistante) Bouquetin Aux Pattes Inégales des Monts Boru-Boru verra presque inévitablement les PJ passer des semaines entières de temps de jeu à construire des filets vorpals et partir à la chasse de ces sacrés caprins.

6-Aucun PNJ ne doit être nommé d’après des gros mots ou quelque chose que vous puissiez trouver sur une table de petit déjeuner

Par cela je veux dire : ne donnez pas à vos PNJ des noms qui ressemblent à des gros mots ou à quelque chose que vous pouvez trouver sur une table de petit déjeuner. Parce qu’en dix minutes le Général Fésrhapid sera le Général Fesserapide et il le restera à vie. Bonne chance pour le grand discours lyrique pour motiver les troupes avant la bataille, quand les joueurs se plient en quatre en imaginant le puissant Général se propulsant grâce à son arsenal fessier.

Pour éviter ce problème : faites en sorte de ne pas appeler vos PNJ d’après des gros mots ou quelque chose que vous puissiez trouver sur une table de petit déjeuner. En toute honnêteté, si un groupe de joueurs n’est pas en train de blaguer sur les noms de vos PNJ amoureusement construits, ils n’ont probablement aucun sens de l’humour – mais au moins, essayez de ne pas leur fournir de cible trop facile. Les joueurs doivent être capables de penser correctement ; et trouver des manières inattendues de se moquer des noms de fantasy typiques (V) fait partie de l’échauffement mental pour surpasser l’intellect du Grand Méchant Vraiment Méchant. Les joueurs pourraient devenir paresseux si le sorcier local s’appelle Grille-pain. (VI).

(I) NdA : C’est aussi un bon moyen de se débarrasser de ces ennuyeux poulets. Un petit conseil aux Maîtres de Jeu : ne faites confiance à aucun joueur dont le personnage dépense des sommes importantes pour l’acquisition d’animaux. Rien de bon à en tirer. [Retour]

(II) NdA : Vous savez ce que je pense ? Je pense que ces personnes sont toutes des marchands maléfiques déguisés. “Oui, bien sûr, j’aimerais vraiment acheter ces 36 armures de gobelin usagées”, dit le “fermier”. Dès que votre groupe n’est plus en ville, il ira dans les grottes que vous veniez de nettoyer, refourguant ce matériel d’occasion à la nouvelle tribu de gobelins. [Retour]

(III) NdA : Je parle du genre de groupe de mariachis qui ont des lance-roquettes dans leurs étuis à guitare. [Retour]

(IV) NdA : J’ai joué des scénarios du commerce où, comme je l’ai découvert après, nous étions censés flâner et avoir une causerie amicale avec le grand méchant avant le combat final paroxystique. Nous nous sommes cachés derrière une colline et l’avons pulvérisé à l’aide du genre de rituel magique banni par la Convention de Genève. [Retour]

(V) NdA : Par “nom typique de fantasy”, j’entends un nom qui comprend plus de ponctuation que de voyelles. [Retour]

(VI) NdA : Exception : la partie que j’ai brièvement jouée, où le sorcier du coin s’appelait, sans ironie aucune, “P’tain”. [Retour]

Article original : Tales from Mongoose Hall: How to write a bulletproof adventure (Signs & Portents n°44, p. 8) © 2007 Chris Longhurst et Signs & Portents

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