Improviser une scène de crime

 

La « Scène de crime » est un concept large. Je veux parler ici de n’importe quel endroit délimité où les PJ doivent obtenir le maximum d’informations possible au sujet d’un événement qui s’est déjà déroulé. Ils et elles voient les traces et les conséquences de cet événement. Cette information incomplète leur permet de tenter de reconstituer au mieux les faits, avec l’objectif final d’en extraire des indices et de continuer leurs investigations.

Une scène de crime peut donc être une pièce, un bâtiment entier, un terrain vague ou un village où un meurtre  (1) , un vol, une bagarre, un rituel, une fête, ou une bataille entre deux armées rivales a eu lieu. Ce ne sont que des exemples, car le principe reste le même : on arrive après les faits et il faut deviner qui, quoi, quand, comment et, si le destin se montre favorable, pourquoi.

On a au moins directement la réponse à « Où ? »

Comme tout un genre du JdR est consacré à l’élucidation de mystères (et si vous le souhaitez, on pourra parler un autre jour des genres de JdR), il est plutôt courant de tomber sur des scènes de ce type. C’est assez classique d’ouvrir un scénario sur un assassinat ou que celui-ci soit le point culminant du premier acte, et que le groupe finisse par mener l’enquête, officiellement ou officieusement.

Évidemment, on en déduit que les scènes de crime ont tendance à être bien planifiées, de la position de la victime aux objets trouvés sur place, en passant par la répartition des gouttes de sang et l’endroit où sont tombés les morceaux de verre de la fenêtre brisée.

 

 

Dans cette optique, des gens mieux préparés que moi ont proposé des idées, des consignes et des conseils ; et sinon, vous pouvez regarder la série policière qui vous inspirera le plus de courage pour vous lancer.

L’intention de cet article est autre. Parce que c’est ça, l’idéal pour les scènes de ce genre : un décor parfaitement planifié. Mais… que se passe-t-il si on ne peut pas les planifier ?

Vous avez une vie compliquée qui vous empêche de passer des heures et des heures à préparer des parties ? L’occasion de faire rouler les dés vient de surgir il y a cinq minutes et la table demande une bonne dose de néo-noir wiki ? Ou voilà que les étranges méandres du scénario ont conduit les personnages devant le cadavre d’une victime que personne ne s’attendait à voir mourir, surtout pas vous ? Vous jouez à un jeu où l’autorité narrative est partagée et vos joueur.euses ont introduit tellement d’éléments dans l’histoire que ce que vous aviez prévu pour votre scène n’a plus de sens ? Ne vous inquiétez pas, madame, monsieur : ce guide vous permettra de sortir victorieux.se de cette épreuve difficile.

Voici un guide pour NE PAS planifier une scène de crime, tout en faisant en sorte qu’elle garde toute sa saveur.

 

Qui est votre meurtrier

 

Je parle ici du meurtrier en tant qu’élément narratif de votre partie, pas de la personne qui vous tuera dans la vraie vie. Même s’il est vrai que ça serait très utile dans le deuxième cas, ce genre de recherches peut devenir frustrant ou conduire à une prophétie autoréalisatrice.

Le, la ou les coupables du crime doivent être bien défini.e.s au moins sur ces points clés :

  • Leurs objectifs
  • Leurs limites
  • Leurs atouts
  • Leurs perspectives

 

Les objectifs sont fondamentaux. Cette scène de crime est telle qu’elle est parce que quelqu’un l’a laissée volontairement dans cet état. Cette personne avait une intention précise qui l’a amenée à cet endroit et l’y a fait interagir avec d’autres personnages. Elle peut avoir atteint totalement, partiellement ou pas du tout ses objectifs, et, pour le savoir, il faut au préalable connaître ses intentions :

  • Le tueur en série sait ce qu’il veut : comme Netflix, il propose toujours un épisode suivant. Il faut alors se demander si le meurtre en question est un épisode de plus dans la série, une évolution du mode opératoire, une tentative de brouiller les pistes, ou même le travail d’un imitateur.
  • Pour le tueur amateur, c’est plus compliqué : il lui faut un mobile, crapuleux ou passionnel, pour commettre son crime.
  • Les voleureuses peuvent finir par avoir les mains tachées de sang, et les cambrioleureuses pouvant être motivé.es par la haine, par un contrat alléchant ou agir selon les ordres d’un.e supérieur.e.

Mais tous et toutes ont une chose en commun : un objectif précis.

 

Les limites et les atouts interagissent entre eux. Les limites peuvent être intrinsèques au ou à la coupable (L’auteurice est-iel facilement reconnaissable ou a-t-iel un handicap physique ? Appartient-iel à un groupe plus nombreux ?) et à la scène (A-t-elle lieu en plein jour ? Y a-t-il une seule entrée et sortie, des obstacles architecturaux, des équipes de sécurité, des caméras ?). Pour comprendre quelles caractéristiques de la scène sont des limites, le ou la coupable doit être très bien défini.e. Un être qui a le pouvoir de voyager entre les miroirs aura moins de difficultés qu’un être humain normal à entrer dans une salle de bain ; pour une diplomate de haut niveau de la Fédération Interplanétaire, pénétrer dans une zone restreinte est plus facile que pour un pirate spatial. Concernant les « atouts », on parle des capacités de la ou du coupable à surmonter les limites et, par leur simple existence, ils définissent automatiquement une bonne partie des pistes que l’on va trouver sur la scène de crime. L’interaction des limites et des atouts déterminera si l’objectif du coupable a été atteint ou pas.

 

Pour finir, il y a les perspectives : s’agit-il de la dernière chance de l’auteurice pour atteindre ses objectifs, ou non ? Quel est le prix qu’iel est disposé.e à payer ? Tout cela définira les efforts mis en œuvre pour atteindre ces buts, ainsi que les risques encourus.

 

Comprendre le décor

 

Un décor, un endroit, doit donner l’impression d’être vivant. Pour ça, il faut le comprendre (de manière réaliste ou stéréotypée). Car il ne faut pas oublier qu’on n’a pas le temps de préparer une carte avec tous les meubles que monsieur Corbitt a achetés ainsi que les caractéristiques détaillées : endurance, prix et malédictions de chacun d’eux.

On n’en a pas besoin.

Si on entre dans une maison, on s’attend à ce qu’il y ait des portes et des pièces. Dès que les PJ arrivent, on sait quel type de maison est visité : un luxueux manoir, un taudis, un appartement modeste, un duplex, un entrepôt transformé en atelier par un artiste… Cela nous permet d’imaginer en un instant l’architecture générale de l’endroit ainsi que sa taille.

 

 

Une fois cette étape franchie, on utilise les ressources selon nos besoins. Le livre de magie noire ayant permis d’invoquer des horreurs d’un autre monde ne reposera pas sur l’étagère des toilettes parmi des exemplaires de Cosmopolitan, la cuisine contiendra de quoi cuisiner, et un canapé trônera dans le salon. On n’a pas besoin de planifier la maison, ni d’écrire une liste de tout ce qu’il y a dans le frigo. Vous devez donc comprendre de quel type d’habitation il s’agit et rester cohérent.e avec le lieu.

Dans la maison de quelqu’un qui se laisse aller, il y aura de la crasse, de la vaisselle dans l’évier, des surgelés et plein de bière. Dans une station de métro abandonnée, il y aura de la saleté partout : des mégots de cigarette, des canettes, des bouteilles d’alcool pas cher. Dans un cabinet d’avocat, il y aura une grande table, un fauteuil pour le ou la chef.fe, des sièges pour les assistant.es et une bibliothèque remplie de textes de loi. Et ainsi de suite.

Soyez également cohérent.e avec ce que vous décrivez. Si ça peut vous aider, dessinez un plan pendant votre description. Ajoutez les éléments de manière logique. Ce faisant, vous créez les limites pour le ou la coupable. Comme vous connaissez son identité et ses atouts, et que vous avez une vague idée de ce que vous voulez communiquer à travers cette scène, soyez créatif.ve avec les limites de manière à montrer les atouts dont il ou elle dispose.

Si vous savez que le kidnappeur est une maigre bête de la nuit wiki, précisez que l’escalier de secours a été cassé il y a quelques semaines. Si vous savez que le meurtrier est encore à l’intérieur de la maison, dans les conduits d’aération, indiquez qu’il n’y aura pas de traces de sang qui mèneront à une sortie du bâtiment.

Et si vous ne le savez pas, répondez à des questions.

 

S’adapter à la table

 

On a une réponse claire au « Quoi ? » : c'est ce qui a poussé le groupe à se déplacer jusqu’à la scène de crime et à enquêter sur quelque chose (une disparition, un vol, un meurtre). Le ou la coupable connaît parfaitement les faits ainsi que ses limites, ses atouts et ses perspectives, en plus d’avoir la réponse au « Qui ? » et au « Pourquoi ? ». La réponse au « Où ? » sera révélée au fur et à mesure que le scénario avance. Mais il ignore le « Comment ? », parce qu’iel n'a pas planifié cette partie. Il est maintenant temps de construire la vraie scène de crime.

Les joueureuses sont vos meilleur.es allié.es. Chaque question, chaque détail qui sera examiné, va mettre en lumière un point concret. C'est là que l’interaction des éléments entre en jeu. Comme l’endroit a été présenté et sachant ce que l’on sait, ça ne doit pas être compliqué de répondre aux questions. À vous de décider si vous voulez leur faire lancer un dé ou pas, selon le style de jeu employé et si vous avez besoin de gagner du temps pour réfléchir.

Prenons un exemple. Le groupe se trouve dans une chambre fermée (classique) avec un cadavre mutilé. Profitez de cet instant pour insister sur des détails apparemment sans importance lorsque vous décrivez la scène à mesure que les PJ posent leurs yeux partout. Vous avez le coupable en tête, vous savez qui il est et comment il a tué la victime. Là, les joueureuses commencent à vous mitrailler de questions.

 

 

Y a-t-il des traces de lutte ? Eh bien, messieurs-dames, si le meurtrier est un chien de l’enfer, il est logique de supposer qu’il a déchiqueté le corps et fait tomber cette lampe qui gît en mille morceaux sur le sol. S’il s’agit de tueurs à gages, la moquette sera recouverte de traces de boue. Si c’était un assassin silencieux, la victime n’a même pas essayé de se défendre, ou n’en a pas eu le temps avant d’être droguée.

L’arme du crime est-elle là, quelque part ? Le tueur qui veut être démasqué parce qu’il est plus futé que la police aura laissé l’arme bien en évidence sur le corps, mais sans empreintes digitales. Pour un crime passionnel, il aura essayé de s’en débarrasser. Quant à la créature venue d’un autre monde, elle n’a pas besoin d’armes.

Des traces s’éloignent-elles du cadavre ? Si votre coupable est ailé, oui, et elles se dirigent vers la fenêtre ; une seule trace sur le rebord, puis plus rien. S’il a revêtu une combinaison en plastique, il y a des empreintes de pas qui s’estompent petit à petit jusqu’à disparaître à partir d’un certain point. Si c’est la mafia qui a commis le meurtre, il y a beaucoup de traces partout.

Est-ce qu’il manque quelque chose dans la maison ? L’assassin était venu chercher un livre rarissime que la victime avait en sa possession. Est-ce qu’il a eu le temps de venir le récupérer, ou le voisinage a-t-il été alerté par les bruits de lutte ? Le cas échéant, le meurtrier a-t-il cru que c’était sa dernière chance et a-t-il pris le risque d’être vu, ou bien est-ce qu’il pense qu’il peut revenir chercher ce livre plus tard ?

Et donc, petit à petit, les questions de la table créeront dans votre tête une reconstitution du déroulé du crime. De cette histoire, selon le style de jeu et la chance aux dés, tout ou presque rien sera évident pour vos joueureuses. Mais au fur et à mesure, le décor va s’enrichir jusqu’à ce qu’à la fin, on obtienne cette impression de satisfaction d’avoir une bonne scène de crime.

Hein ? Non, tout n’était pas préparé au millimètre près, mais ça raconte une histoire lisible pour qui sait l’interpréter.

 

Derniers conseils

 

N’hésitez pas à improviser. À ce stade et en suivant cette méthode, il est parfaitement possible d’ajouter des détails. Si une joueuse demande de quel côté sont tombés les éclats de verre de la fenêtre, c’est le moment de décider que l’assassin les a nettoyé d’un côté et les a jetés de l’autre pour faire croire qu’elle a été brisée d’un côté en particulier. Selon le résultat des dés, on peut faire remarquer comme c’est étrange qu’il ne reste aucun éclat d’un des deux côtés, ou même repérer la coupure que l’assassin s’est faite en ramassant avec une pelle et une balayette les morceaux de la vitre brisée. Vous connaissez votre tueur, vous savez s’il est maladroit ou intelligent, planificateur ou négligeant, peureux ou téméraire, et donc ce qu’il aurait fait dans cette situation.

N’hésitez pas non plus à préparer la partie à l’avance. Ces conseils sont une petite bouée de sauvetage pour ce genre de situations, mais si on arrive à la table avec un coupable bien pensé et un décor bien défini, c’est plus facile de générer la scène de crime.

Ne frustrez pas vos joueureuses. Il est tentant de créer un mystère en huis-clos, mais si cette enquête interrompt le rythme de votre histoire et de la partie et que votre entêtement ne laisse pas de porte ouverte sous forme d’indice qui tombe à pic face à un blocage, le groupe sera frustré et se désintéressera de la scène de crime. Dans ce cas, j’espère que vous aurez d’autres outils pour continuer le scénario.

Soyez cohérent.e avec ce que vous avez dit. On ne peut pas se rétracter, parce que ça nuirait à la crédibilité du scénario et à la solidité des enquêtes.

Soyez réaliste avec les atouts de votre tueureuse, mais aussi avec ceux des PJ. Des enquêteurs du FBI du XXIe siècle auront du luminol wiki à côté de leur arme. Il est fort peu probable que des moines du XVIIe siècle en possèdent.

Et mon conseil le plus important : amusez-vous avec vos ami.es, parce que c’est la raison pour laquelle vous vous êtes retrouvé.es autour d’un jeu.

Article original : Cómo no preparar una escena del crimen, por Vlad Temper


(1) NdT : Le saviez-vous ? Le meurtre inclut les homicides involontaires, auxquels on ne pense pas nécessairement lorsqu’on prépare un scénario. [Retour]

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