La disparition de James Dallas Egbert III (1re partie)

Un rapport détaillé et complet sur le premier “suicide lié à D&D”, en deux parties

En bref

Le 15 août 1979, James Dallas Egbert, troisième du nom (appelé Dallas Egbert) disparut de l’Université du Michigan située à East Lansing, Michigan. Dallas Egbert était un jeune prodige de 16 ans. Il était expert en ordinateurs (à l’âge de 12 ans on lui avait demandé de réparer des ordinateurs pour l’armée de l’air américaine), un fan de science-fiction et de fantasy, et un joueur du jeu de rôle Donjons et Dragons. Le 22 août, la famille fit appel à William C. Dear, détective privé texan pour essayer de trouver le garçon.

L’oncle de Dallas Egbert, le Dr Melvin Gross, connaissait Dear par le truchement de sa sœur, qui travaillait comme secrétaire pour lui. Dear était un détective privé reconnu et qui avait réussi. Après avoir discuté avec les parents de Dallas, il accepta de s’occuper de l’affaire. Au cours de son enquête, il évoqua la possibilité que Dallas ait pu être impliqué dans une espèce de partie de Donjons et Dragons qui aurait horriblement mal tourné.

Cette thèse fut largement reprise dans la presse. En 1982, un film appelé Les Monstres du Labyrinthe ayant une ressemblance superficielle avec l’affaire, sortit dans les salles. Quantité de gens avec de vagues souvenirs de l’affaire Dallas Egbert considérèrent que le film était fondé sur une histoire vraie, plutôt qu’être une œuvre de fiction. La couverture des médias, combinée à cette fausse idée, et le fait que William Dear ne put résoudre l’affaire, contribuèrent à créer la fausse idée très répandue que les jeux de rôles (JdR) en général, et Donjons et Dragons (D&D) en particulier étaient, d’une certaine façon, dangereux.

En 1984, William Dear écrivit un livre intitulé The Dungeon Master: The Disappearance of James Dallas Egbert III (Le Maître de donjon : la Disparition de James Dallas Egbert III) dans lequel il présentait les faits de l’affaire tels qu’il les voyait. Ce livre, qui forme la base de mon article, fut largement ignoré par les médias et les détracteurs du jeu de rôle.

Avertissement

Je mentionnerai dans cet article des hypothèses impliquant de possibles sévices homosexuels sur Dallas. Je tiens à préciser qu’en aucun cas je ne sous-entends que les hommes gays sont plus susceptibles de maltraiter un enfant que les hétérosexuels, ni qu’une forme de sexualité quelconque est moins valide qu’une autre. Les références à des abus pédophiles dans la communauté homosexuelle ne se rapportent qu’aux faits en question. Cette information est présentée dans un souci d’exhaustivité et je m’excuse auprès de toute personne qui s’en offenserait.

Pourquoi ai-je écrit cet article ?

La raison en est simple. Très peu de personnes connaissent les faits derrière cette affaire. Cela est vrai tant pour les détracteurs du JdR que pour ceux qui le soutiennent. Il y a beaucoup de rumeurs qui circulent, la plupart pouvant être catégorisées comme rien d’autre que des légendes urbaines. L’affaire Dallas Egbert n’est qu’une des affaires sur lesquelles se basent les opposants au JdR, mais c’est celle que je connais le mieux. C’est aussi l’une des plus célèbres.

Mes qualifications pour l’écriture de cet article sont tout aussi simples. La première est simplement que je le fais. N’importe qui pourrait en faire autant. Mais il y a certaines raisons pour lesquelles je le fais. Cela fait plus de dix ans et demi que je joue à Donjons et Dragons, ses dérivés et à d’autres jeux de rôles. Je comprends aussi, dans une certaine mesure, certains des problèmes auxquels Dallas a dû faire face. Il y a certaines similitudes entre sa vie et la mienne. La principale est que je fus moi aussi un enfant et un adolescent surdoué, qui a beaucoup souffert des mêmes pressions que Dallas fut obligé de supporter, et ainsi je pense avoir quelque connaissance et compréhension de Dallas, que d’autres ne partagent peut-être pas.

Les faits de cette affaire

Dallas Egbert, âgé de 16 ans, disparut de son dortoir (Case Hall) à l’Université du Michigan le 15 août 1979, après avoir déjeuné avec Karen Coleman, une de ses rares amies. Malgré son âge, ses parents ne furent avertis de cette disparition que le 20 août. Le 22, William Dear fut appelé par l’oncle de Dallas, le Dr Melvin Gross, et ses parents, James et Anna Egbert. Dear dépêcha immédiatement trois de ses associés à East Lansing, arrivant lui-même sur place une semaine après.

Dallas jouait à D&D. Cela n’est pas mis en doute. Il ne fait non plus aucun doute que des étudiants de l’Université d’Etat du Michigan (MSU) y jouaient aussi, y compris une version “grandeur nature” de D&D dans les tunnels de la chaufferie sous les bâtiments de l’université. Il doit être précisé que D&D n’est pas prévu être joué de cette façon et, en fait, les étudiants ne jouaient pas à D&D. C’est ainsi qu’ils appelaient ce qu’ils faisaient et il a très bien pu y avoir des éléments des D&D dans ce Grandeur Nature. Mais D&D est conçu pour être joué assis autour d’une table, pas pour être effectivement interprété.

Il existe bien des variantes du JdR appelées GN (Grandeur Nature). Toutefois ce ne sont pas D&D. D&D est un genre de jeu de rôle, les GN en sont une autre. Faire référence à des GN en tant que Donjons et Dragons équivaut à faire référence au football américain comme étant du rugby ou du football. Ils sont similaires. Ils partagent les mêmes embranchements et des principes similaires. Mais ce sont des entités différentes.

Les médias se concentrèrent essentiellement sur les activités rôlistes de Dallas, en partie à cause de l’enquête de William Dear. Il y a d’autres faits à prendre en compte toutefois, qui n’ont jamais eu une couverture médiatique aussi grande.

Dallas était soit homo, soit bisexuel. Il était aussi un junky qui se servait de ses connaissances en chimie pour fabriquer des drogues. Ces faits sont de bien plus grande pertinence pour le débat sur Dallas que le fait qu’il jouait à D&D.

Dallas souffrait aussi d’une grave dépression, causée ou exacerbée par, d’après un psychologue du MSU, “la pression parentale, les critiques, la pression des études et le fait que tout le monde ait échoué à se rendre compte que, bien que Dallas Egbert fût un génie, il était socialement en retard et, d’un certain point de vue, pouvait être considéré comme mentalement attardé”. D’après le Dr Louise Sause, professeur du MSU spécialisée en psychologie de l’enfant, l’affaire était un exemple du “prix exorbitant demandé à certains enfants… Leur propre image devient si parfaite qu’ils n’osent pas faillir à leur réputation… En même temps, la peur du succès peut devenir aussi grande, voire plus, que la peur de l’échec. C’est l’exigence constante d’être une vedette.” Pour illustrer ces propos : Dallas parla à sa mère trois jours avant sa disparition, et lui dit combien il était heureux d’avoir obtenu un 3,5 en cours d’informatique. Elle lui dit qu’il aurait dû avoir 4 (la meilleure note possible).

Les premières investigations de la disparition de Dallas révélèrent plusieurs choses dans sa chambre. Y compris une note suggérant le suicide, dont l’analyse graphologique dit qu’elle ne fut pas rédigée par Dallas. Il y avait aussi plusieurs poèmes ; je cite un extrait de l’un d’eux (appelé Destination finale), car il pourrait (peut-être) donner un aperçu de la personnalité et de l’état d’esprit de Dallas au moment de sa disparition.

Sans doute une ville là Bas, peut-être une ferme Sans doute j’y arriverai Ce ne serait pas trop dur.

Si je peux trouver une raison, Alors je quitterai la voiture. Pour le moment je ne sais pas Où sont les raisons.

Quand je déciderai qu’il y a un endroit où j’aimerai être, dès que je peux trouver qu’il y a un but à atteindre,

vient le temps où il m’est montré qu’il reste quelque chose pour moi, alors j’irai, mais jusque-là, je crois que je préfère dormir.

Quand William Dear arriva, il apprit tout cela. Il trouva aussi, dans la chambre de Dallas, un panneau d’affichage avec un arrangement étrange d’épingles à dessin. Dear était convaincu que ces épingles étaient une sorte de message, peut-être un indice sur l’endroit où se trouvait Dallas ou sur ses intentions. Au cours de l’enquête, il envisagea plusieurs possibilités.

Un homme d'exception

La première, qui eut la plus grande couverture médiatique, était que les épingles formaient une carte, peut-être celle des souterrains sous le MSU. Ceci était considéré comme possible du fait que la partie la plus importante du dessin avait la forme d’un L et ressemblait fortement à l’ancien générateur de l’école, vu du dessus. La forme pouvait aussi être vue comme un pistolet, et peut-être un signe de tendance suicidaire. Il y avait aussi 38 épingles, ce qui pouvait évoquer le calibre d’un revolver.

Quand il apparut que Dallas avait l’habitude de “cavaler” (c’est-à-dire qu’il aurait joué à “train fais-moi peur” [“jeu” à qui reste le plus longtemps sur les rails quand un train arrive (NdT)] sur un vieux pont sur chevalets proche de l’Université), il fut envisagé que la forme de L représentait un train et l’arrangement désordonné des autres épingles figurait la trajectoire d’un corps frappé par un train.

Un expert en braille a postulé que les épingles pouvaient être un message en braille. Il en obtint une traduction possible : “Et pour cela tu as bravé”.

De ces quatre théories, les trois premières révélèrent un certain bien-fondé. La représentation était une carte. Dallas avait essayé de marquer toutes les pièces dans les couloirs de chaufferie, aussi à l’échelle que possible. La seule qu’il n’avait pas marquée était celle dans laquelle il avait l’intention de se cacher. La dichotomie de la forme en L représentant un train et un pistolet ne lui avait pas échappé non plus. Le message en braille, toutefois, était une pure coïncidence – ou plutôt, l’expert avait essayé de trouver un message là où il n’y en avait pas et avait réussi à trouver quelque chose, de la même façon que l’on voit des formes dans les nuages si on les cherche.

William Dear est un détective quelque peu inhabituel. Il a, toutefois, très bien réussi. Au moment où il écrit son livre, il dit qu’il a toujours réussi à retrouver une personne disparue. Il étudie toutes les possibilités. Après avoir passé les indices en revue, il établit un certain nombre de possibilités.

  1. Dallas s’était suicidé.
  2. Il était allé dans les tunnels et avait été blessé ou tué.
  3. C’était un jeu pour Dallas. Il avait disparu dans le seul but d’avoir des gens à sa recherche.
  4. Il avait fait une overdose.
  5. Dallas était détenu par un ou plusieurs homosexuels.
  6. Il était détenu par un groupe de gens qui utilisaient ses connaissances en fabrication de drogues.
  7. Dallas avait été enlevé par une sorte de groupe secret afin d’utiliser son intelligence et ses talents spéciaux.
  8. Dallas avait été assassiné.
  9. Dallas en était venu à tellement s’identifier à son personnage de D&D qu’il croyait être ce personnage.
  10. Il avait été envoyé en une espèce de mission par un Maître de Donjon afin de prouver sa valeur et de passer à un mode de jeu avancé.
  11. Dallas avait été tué ou blessé en pratiquant une activité dangereuse – peut-être “train fais-moi peur”.

Dear considérait certaines de ces théories comme moins probables que d’autres. Il semble qu’il ait favorisé celles du suicide, de la prise d’otage, du meurtre, blessé dans les tunnels ou une forme élaborée de jeu. Je m’occuperai d’abord de celles qui traitent de D&D. Ce sont les hypothèses 3, 9 et 10.

La théorie 3 indique que Dallas jouait une espèce de jeu avec la police et les détectives à sa recherche. Au début, Dear considéra cela possible. Il pensa même que c’était une tentative de maîtriser le donjon ultime. Il finit par abandonner cette piste à mesure que l’affaire traînait, devenant trop longue pour être un jeu.

La théorie 9 est la plus dangereuse. Elle présente une fausse idée très répandue chez beaucoup de gens, et principalement utilisée par les mouvements anti-D&D. Le simple fait de s’attacher autant à un alter ego, ou à un personnage, est le signe d’un dérangement mental. Si une personne est au stade où elle ne peut faire la différence entre le fantasme et la réalité, elle a un problème pathologique. Un tel problème n’a, d’emblée, rien à voir avec D&D.

Si quelqu’un est un rôliste, il est possible qu’il ou elle puisse s’attacher autant à un personnage. De même, si quelqu’un(e) est fan d’une série télévisée, il est possible qu’il/elle s’attache à un de ses personnages et le prenne comme base pour sa propre personnalité. Dans un tel cas, l’idée de blâmer la télé est grotesque, et il en est de même pour le JdR. La cause est intrinsèque à la personne et un JdR ne peut pas provoquer ce genre de problème médical.

Je dois préciser que bien qu’acceptant la possibilité que quelqu’un développe un tel attachement à son personnage, mes recherches d’un cas documenté où cela se soit produit sont restées vaines. Le roman de Rona Jaffe Mazes and Monsters est fondé sur un cas fictif, et a conduit beaucoup de personnes à croire que ce livre (et le film qui en fut tiré) était un récit exact de l’affaire Dallas Egbert. Ceci perpétue cette théorie, bien qu’il n’y ait aucune preuve pour l’étayer.

Quant à la théorie 10, bien qu’il soit possible à une personne sadique et cruelle d’envoyer un garçon de 16 ans dans une mission réellement périlleuse pour sa vie afin de prouver sa valeur, de telles pratiques tiennent plus de la culture des gangs que de D&D. De tels actes n’ont absolument rien à voir avec D&D et, une fois de plus, il n’y a aucune preuve que cela ce soit produit où que ce soit.

À part l’hypothèse 3, Dear pensait que les plus probables étaient, comme je l’ai dit : le suicide, le meurtre, la prise d’otage ou le fait d’être blessé dans les tunnels.

Il pensait que le suicide était une possibilité claire à cause du message de suicide (qu’il pensait être authentique – à raison – malgré l’expertise graphologique), l’état dépressif qui était évident dans la poésie de Dallas et d’après les conversations avec ceux qui le connaissaient. Toutefois, il basa son enquête sur la supposition que Dallas était en vie, cela lui donnant le plus de chances de retrouver le garçon en bonne santé.

Il envisagea le meurtre, peut-être par des gens liés au trafic de drogue, ou des pédophiles. Encore une fois, il se concentra avant tout sur les hypothèses qui donnaient un espoir de retrouver Dallas vivant.

Dear prit bien en considération les possibilités que Dallas fût retenu en otage. Il pensait qu’il était possible que Dallas fût retenu par ce que l’on appelle un “chicken hawk” [NdT : faucon] : un homosexuel qui se sert d’enfants à ses propres fins sexuelles. Dear essaya d’approfondir cela et accepta la proposition de Don Gillitzer, un détective privé homosexuel de New York, de l’aider dans son enquête, celui-ci ayant plus de chances dans ce domaine. La tâche de Gillitzer était de poser des questions dans la communauté homosexuelle et, s’il y avait une chance pour que quiconque détînt Dallas, de lui mettre la pression afin qu’il le relâche. On étudia aussi la possibilité qu’il fût détenu par des trafiquants de drogues pour ses talents.

L’Université de l’État du Michigan rejetait l’idée que Dallas gise blessé dans les souterrains. Ils affirmèrent qu’entrer dans les couloirs de chaufferie était impossible, malgré des preuves du contraire. Dear obtint finalement l’autorisation de fouiller les tunnels. Il les trouva extrêmement dangereux et conclut que si Dallas y était descendu, il ne s’y trouvait plus. Il trouva des preuves que Dallas y avait été – une couverture, un carton de lait tourné et du fromage et des biscuits dans une petite pièce.

Dear n’était pas contre l’idée de se faire aider des médias, et l’affaire Dallas Egbert fut mondialement connue. Il se retrouva toutefois confronté à un dilemme. Il voulait éviter de divulguer les théories liées au sexe et à la drogue pour plusieurs raisons. La première est qu’il ne voulait pas que les gens qui détenaient Dallas paniquent et le tuent, pensant que la police était à leurs trousses. Il voulait aussi protéger autant que possible Dallas et ses parents. Pour ces raisons, il mit en avant une version de l’hypothèse Donjons et Dragons.

Pour être honnête envers Mr Dear, sa seule préoccupation était la sécurité d’un enfant. Tout le reste était secondaire, et à juste titre. Mais sa décision eut beaucoup d’effets secondaires malheureux. Les médias s’emparèrent de l’histoire et la traitèrent avec sensationnalisme, ce qui causa beaucoup de tort à l’image du milieu du JdR. Vous trouverez plus de détails sur ce point, et sur ce qui est vraiment arrivé à Dallas dans la deuxième partie de ce compte rendu.

Article original : The Disappearance of James Dallas Egbert III (Part I)

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Pour aller plus loin… Hydre couchée

Cet article fait partie de l'ebook PTGPTB n°15 intitulé Le JdR, c'est le maaal !, que vous pouvez consulter pour de plus amples développements.

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