La séparation de l’Église et de l’État, version Bronx

Un jour, j’étais seul à faire la patrouille à pied entre Southern Boulevard (là où le train passe au-dessus) et Boston Road, lorsque que je fus abordé par un noir d’environ 50 ans. Il avait l’air très inquiet, et portait régulièrement sa main à sa gorge, signalant en langage universel qu’il étouffait.

“Viens ! Tu viens avec moi !” dit-il en tirant sur la manche de ma veste, mais je repoussai sa main.

“Puis-je vous aider, monsieur ?” (genre, j’étais courtois en permanence à l’époque)

“Moi, pas bien respire. Lui, maudire mon nom (him curse me). Viens !

– Bon sang. Qu’est-ce que c’est que cette merde ?” me dis-je à moi-même. “Deux poste sept à central. J’ai une dispute à régler, entre Boston et Southern. Pas besoin de renforts.” Je ne voulais pas qu’une voiture du secteur se ramène à toute blinde pour m’aider. “Juste une dispute verbale” (1).

Le central accusa réception et demanda que je l’informe quand j’aurai du nouveau.

Je me retrouvai donc à suivre mon nouveau plaignant jusqu’à un petit immeuble résidentiel à deux blocs de là. Pendant tout le trajet, il toussait comme un chat qui cherche à cracher une boule de poils. Je connaissais bien ce son, vu que j’ai toujours été plutôt chat que chien. C’est pas le truc le plus génial qu’on puisse entendre lorsqu’on a un chat à la maison.

Il ouvrit la porte du vestibule et me fit signe d’entrer. Bon, au point où j’en étais. “Deux poste sept à central, je suis sur Vyse Avenue concernant à ma dispute verbale”. Là. Comme ça, si jamais je m’enfonçais dans une merde plus profonde, ils sauraient où me trouver.

Notre destination était droit devant nous, au bout du couloir du rez-de-chaussée. Je n’étais absolument pas préparé à ce dont j’allais être témoin.

Bam ! Bam ! Bam ! Mon plaignant frappa à la porte de l’appartement, agité et anxieux. La porte s’ouvrit rapidement sur un autre noir, habillé tout de noir. Il tenait quelques perles dans sa main. C’était peut-être un rosaire, mais je n’avais pas l’intention de m’approcher pour m’en assurer.

Mon type prit la parole en premier.

“Toi ! Toi maudire moi ! Maintenant je peux pas respire. Alors voilà, j’amène police !

– Bah ! Pourquoi je gaspillerais ma magie sur toi ? Tu es un rien du tout ! Je ne me sers pas de ma magie sur les moins que rien !

– Tu vois ? Je te dis lui maudire moi, maintenant lui nier ! Arrête-le ! Mets-le en prison ! Peux pas respire !”

Étrangement, mon type avait l’air de respirer normalement. D’ailleurs, les deux bonshommes étaient à présent en train de se crier dessus. Je voyais que ça dégénérait et qu’il fallait y mettre fin rapidement avant qu’ils n’en viennent aux mains. Si on en arrivait là, je devrais arrêter des gens.

“Écoutez, vous deux ! Fermez-la !”

Je fus plutôt surpris que ça marche. Non seulement j’avais leur attention, mais deux paires d’yeux me fixaient, attendant une décision. Ou une réponse. Ou quelque chose.

“Vous !” dis-je à l’homme de l’appartement. “Plus de magie ! Compris ? No mas ! [= “pas plus” en espagnol (NdT)]”

Puis je tournai mon attention vers l’homme qui m’avait attiré dans ce bourbier.

“On va sortir causer, lui dis-je.

[Une fois dehors :]

– Vous devez bien comprendre, à cause de la séparation de l’Église et de l’État, il n’y a pas grand- chose que je puisse faire directement. C’est un problème religieux. Mais je peux vous donner un conseil. Si cet homme vous a maudit, pourquoi n’allez-vous pas voir un prêtre catholique ? Ou mieux, il y a une boutique Botanica (2) à l’angle de la rue. Allez les voir, ils peuvent probablement vous aider.

– Ah oui ! Oui ! Merci.” Il essaya de me prendre dans ses bras, mais je m’en sortis avec une poignée de main. “Je vais déjà mieux. Oui, je peux respire !”

Puis il se dirigea vers l’angle de la rue, tout excité d’aller à Botanica.

Moi ? Je réalisai que je m’étais retrouvé à arbitrer une engueulade entre Haïtiens et leur Vaudou. J’aurais dû m’en rendre compte plus tôt, ça crevait les yeux, mais ça ne me serait jamais venu à l’idée spontanément.

“Deux poste sept à central. Central, dispute réglée par m… médiation”.

Je n’allais certainement pas dire “par magie”.

Article original : The Separation of Church and State, South Bronx Style

(1) NdT : “him curse me” pouvant aussi se traduire par “lui injurier moi”, le policier est logiquement parti sur cette interprétation. [Retour]

(2) NdT : Botanica est une boutique du Bronx et en ligne, qui vend des composants de rituels pour les religions caribéennes santeria (wiki) et vaudou, et pour le paganisme wicca (wiki), et évidemment de quoi lever une malédiction. Représentez-vous les boutiques de composants de sorts et d’objets magiques de Harry Potter… [Retour]

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Pour aller plus loin… panneau-4C

- Cet article est repris, avec d'autres sur le thème de la police et la justice, dans notre e-book 30! V'la les flics !

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