Le Manifeste du dirigisme – Deuxième partie : Méthodes de dirigisme
© 2015 Justin Alexander
Le dirigisme peut prendre de nombreuses formes, mais il apparait surtout derrière quelques méthodes principales.
Imposer un échec
Les PJ lancent un sort de téléportation pour contourner les géants du givre qui gardent les quartiers privés de la nécromancienne (c’est le choix des joueurs), mais vous voulez qu’iels rencontrent le roi des géants du givre (c’est le résultat préétabli). Vous décidez donc d’ajouter un champ anti-téléportation aux quartiers privés (c’est l’échec imposé). La magicienne lance un doigt de mort sur le roi des géants du givre (c’est le choix des joueurs), mais vous avez besoin que le roi s’échappe et fasse la guerre aux royaumes humains dans l’acte III (c’est le résultat préétabli), alors vous trichez sur son jet de sauvegarde pour le garder en vie (c’est l’échec imposé).
Dans sa forme extrême, l’échec imposé devient une chasse au pixel : absolument rien ne marche à part l’exact chemin préétabli que la MJ a prévu pour ce scénario. Les PJ sont donc voués à échouer encore et encore jusqu’à ce qu’ils comprennent ce que la MJ veut qu’ils fassent (l’expression vient des jeux vidéo d’aventure mal fichus, où il fallait deviner sur quel pixel de l’écran le développeur voulait qu’on clique).
Les échecs imposés peuvent aussi apparaitre à l’écriture d’un scénario, mais il s’agit là d’une zone grise. Les coffres-forts de banque, par exemple, sont difficiles d’accès. Ce n’est pas du dirigisme si vous créez un grand coffre-fort difficile à percer. On ne peut pas non plus s’arrêter aux intentions derrière ce choix de conception (car, bien sûr, votre intention en mettant ce coffre sécurisé est d’empêcher les PJ d’y accéder de certaines façons). Il faut prendre en compte l’ensemble de votre conception du scénario : s’il est écrit de façon à ce que le monde prédéfini oriente systématiquement les PJ dans une même voie d’action, vous avez sûrement un problème.
En général, si vous écrivez votre scénario en regardant la logique du monde du jeu et pas en cherchant à contrôler les PJ pour garantir un résultat spécifique, ça résoudra le problème.
Une autre zone grise apparait quand l’échec est imposé à une échelle macroscopique : si les PJ agissent avec succès pour empêcher un évènement, mais que celui-ci a quand même lieu, alors c’est une façon d’imposer un échec. Par exemple, mettons que les PJ sont les gardes du corps de Messire Herse, que Dame Karna envoie une escouade d’orques pour enlever Messire Herse. Les PJ les battent, mais vous aviez vraiment besoin que Messire Herse se fasse kidnapper. Vous décidez alors qu’une autre escouade d’orques apparaissent de nulle part et le capturent. Ça, c’est du dirigisme.
Mais si vous avez affaire à un adversaire rusé et dynamique qui essaie de déclencher un évènement en particulier, y compris après avoir été contrecarré une première fois… là, ce n’est pas du dirigisme. Par exemple, si Dame Karna réagit à la défaite de sa première troupe en en envoyant une autre le lendemain, ce n’est pas du dirigisme.
Le faux choix
« On prend le couloir de droite. » « Vous découvrez l’Autel du Désespoir ! » [REMBOBINAGE] « On prend le couloir de gauche. » « Vous découvrez l’Autel du Désespoir ! »
[Pour parler de ce genre de faux choix, Courtney Campbell a créé le terme coloré d’ogre quantique ptgptb (NdT).]
Ça ressemble à de la prestidigitation : les PJ semblent avoir le choix entre plusieurs options, mais quel que soit leur choix, la MJ impose le résultat qu’elle voulait que les PJ choisissent. C’est comme quand un prestidigitateur demande à une spectatrice de choisir entre deux cartes. Si la spectatrice choisit la carte A, il dit : « Retournez cette carte ! ». Si elle choisit la carte B, il dit : « Ok, remettons cette carte dans le paquet. Retournez la carte suivante. »
Les faux choix qui impliquent des lieux sont assez courants : où que vous alliez, vous finirez au même endroit.
Les faux choix qui s’appuient sur des évènements sont aussi assez communs, quoiqu’ils puissent finir dans la zone grise de l’opposition rusée. Si les kidnappeurs envoyés par Dame Karna retrouvent Messire Herse une seconde fois parce que vous avez ignoré les mesures de sécurité prises par les PJ pour empêcher que ça arrive, c’est du dirigisme. Mais si Dame Karna veut vraiment retrouver Messire Herse, alors que les PJ ont contré toutes ses tentatives de localisation non-magique, il devient raisonnable qu’elle casse sa tirelire pour un sort de scrutation.
Une autre variante du faux choix, c’est quand la chronologie n’a pas d’importance. Dans les scénarios du commerce, ça prend souvent la forme de « Quel que soit le temps que prennent les PJ à rejoindre la Cité Perdue de Bakkanar, les méchants y arriveront juste avant. » Ici par contre, on peut voir la zone grise entre des échecs imposés et des faux choix : est-ce un faux choix, parce que voyager en bateau, à cheval ou par téléportation n’a pas d’importance ? Ou est-ce que vous imposez un échec en affirmant que faire l’effort d’employer un sort de téléportation pour doubler les méchants échoue automatiquement ? Ça n’a pas vraiment d’importance, bien sûr. C’est dirigiste dans les deux cas.
Souffler des répliques
Ce n’est pas à proprement parler une méthode de dirigisme, mais une technique qui s’en rapproche. Pour faire simple, c’est quand la MJ suggère aux PJ ce qu’ils devraient faire, directement ou indirectement. Une variante courante : la MJ a un PNJ qui accompagne le groupe et dit aux PJ quoi faire, ou y fait allusion. Les MJ peuvent aussi souffler des répliques dans le méta-jeu en disant simplement aux joueur.euses ce que leurs personnages sont censés faire.
[L’acteur Milivoje Nikolić en 1939, en train de souffler des répliques à des acteurs, ou peut-être à un groupe de PJ (NdT).]
Une façon moins directe de souffler des répliques consiste simplement à donner des conséquences négatives à un refus d’accomplir une action particulière : quelque chose d’horrible se produit et les PJ apprennent qu’elles auraient dû l’empêcher. Si elles ont toujours la possibilité de l’empêcher (ou d’éviter que ça empire), alors ça aura la même fonction qu’un encouragement dans cette direction. Par exemple, mettons qu’elles entendent une rumeur selon laquelle il y a un nécromancien dans la forêt qui utilise un funeste ossement pour créer des squelettes. Elles l’ignorent, et une semaine plus tard, un groupe de squelettes attaque le village. Elles continuent à l’ignorer et les attaques de squelettes deviennent de plus en plus fortes et fréquentes, jusqu’à ce qu’un jour, en rentrant du donjon, elles découvrent que le nécromancien a pris le contrôle du village et érigé une tour d’ossements sur la grand’place.
Parfois, cette méthode a un effet globalement négatif sur le jeu (parce qu’elle a tendance à influencer ou corrompre le processus de décision des PJ). Et parfois, elle a un effet globalement positif. Mais, en soi, elle n’est pas dirigiste.
Cependant, elle rencontre le dirigisme quand la MJ se prend pour une souffleuse et dit aux PJ quelle suite d’actions elle a prévue pour eux. La MJ dit finalement : « Vous devriez faire telle chose. Si vous essayez quoi que ce soit d’autre, ça va rater parce que c’est telle chose que vous êtes censés faire. »
Le contrôle mental
Le contrôle mental est un cas particulier. Quand un PJ se retrouve sous contrôle mental, la MJ ne nie pas les résultats d’un choix. A la place, elle retire entièrement l’agentivité du PJ. C’est un problème compliqué qui mériterait une discussion dédiée.
En ce qui concerne le dirigisme, je pense que le contrôle mental n’est pas forcément du dirigisme, tout comme rater un ogre avec son épée ne l’est pas. Ça devient du dirigisme quand la MJ utilise le contrôle mental pour amener un résultat préétabli, même si ici, encore une fois, il y a une vraie zone grise. Ce ne serait pas déraisonnable que Dame Karna utilise le sort dominer un humanoïde sur un PJ pour qu’il emmène son escouade de kidnappeurs jusqu’à la cachette de Messire Herse.
Si je devais choisir un critère, ce serait le penchant de la MJ à truquer les jets des PJ afin de s’assurer que le contrôle mental réussisse. Ça, c’est un indice clair qu’elle s’accroche à ce qu’elle a préétabli.
Garantir le succès
Est-ce du dirigisme de garantir que les PJ réussissent tout ce qu’ils entreprennent ?
Je n’ai pas nécessairement de réponse satisfaisante à cette question. Le temps de la discussion, laissons de côté pour le moment la question des mécaniques de jeu qui garantissent le succès, que ce soit des mécaniques universelles comme la détection automatique d’indices dans le système Gumshoe grog, ou des cas particuliers comme un personnage dont la compétence serait si haute qu’il réussira automatiquement telle ou telle tâche. Simplifions donc la discussion en ne parlant que du cas d’une MJ qui truque un jet de dés pour qu’un PJ réussisse au lieu d’échouer.
Est-ce du dirigisme ?
Mon instinct me dit que non. Il y a une différence fondamentale entre nier un choix d’un joueur et faciliter ce choix.
Ceci dit, garantir un succès partage effectivement un certain nombre de traits négatifs avec le dirigisme : l’expérience de jeu étant plus prévisible, elle est lissée ; la complexité et l’intérêt du scénario disparaissent, et le processus de prise de décision des PJ peut être fortement faussé.
C’est particulièrement vrai si la MJ fait preuve de favoritisme vis-à-vis de certains types de décisions (ce qui devrait être vraiment évident si vous considérez que parmi les types de décisions qu’on peut favoriser se trouvent « les décisions qui mènent à mon résultat préétabli »).
Les rails invisibles ou les rails visibles
[Des joueurs et une joueuse vont voir ce que leur MJ cache derrière son écran – Le Magicien d’Oz, illustré par William Wallace Denslow (NdT)]
On fait souvent une distinction entre deux catégories de dirigisme : celui où les rails à suivre sont visibles et celui où ils sont invisibles (i.e. les mécaniques sont cachées aux PJ). Les rails invisibles sont parfois appelés illusionnisme ptgptb (parce que les PJ n’ont alors que l’illusion du libre arbitre). L’exemple le plus simple est celui d’une MJ qui truque un jet de dé derrière son écran. Dans tous les cas, la différence entre des rails visibles et invisibles est plutôt une affaire de spectre.
L’invisibilité des rails est souvent invoquée pour donner une excuse de plus au dirigisme :
Que les PJ sachent qu’ils sont sur des rails ou non n’a aucune importance !
Mais en pratique, je veux soulever quelques points.
D’abord, les MJ ont tendance à sous-estimer le niveau de conscience qu’ont les joueurs de leur dirigisme. Beaucoup de joueurs sont assez polis pour ne pas tirer le rideau du Magicien d’Oz… mais ils voient quand même ses pieds qui dépassent de sous le rideau.
Deuxièmement, la majorité des effets négatifs créés par le dirigisme existent, que les PJ soient conscients de ce dirigisme ou non.
Article original : The Railroading Manifesto – Part 2: Methods of the Railroad
Sélection de commentaires
Confanity
Une remarque sur « garantir le succès » : comme tu dis, on n’a pas l’impression que ce soit du dirigisme de tricher pour s’assurer que « les PJ réussissent tout ce qu’ils entreprennent ». Mais comme tu le sous-entends, ça devient bien plus dirigiste si la MJ ne s’assure que du succès de ce qu’elle veut qu’ils réussissent. Par exemple, truquer des jets pour s’assurer que les PJ remportent la bataille contre le sous-boss au moment et à l’endroit prévus, malgré leurs désastreuses décisions tactiques.
Mais on peut aller plus loin. Tout comme un moyen de diriger vers un échec automatique est de distordre l’univers de jeu (en faisant apparaitre des ennemis supplémentaires, etc.), on peut aussi déformer l’univers pour faciliter un succès automatique dirigiste. Les PJ laissent la cible s’enfuir alors qu’il fallait la capturer et l’interroger ? En fait, elle court droit vers un barrage du guet. Les PJ sont en retard pour leur rendez-vous avec le destin ? Elminster apparait et les téléporte vers leur destination. Le groupe a raté ou ignoré la salle du trésor contenant l’objet magique qu’il était censé ramasser ? Le familier corbeau de la magicienne sent les objets brillants qui s’y trouvent, crochète le verrou avec son bec et hop, la porte s’ouvre.
En bref : tu te concentres sur le succès mécanique, qui a une vaste zone grise, mais imposer un succès narratif immérité est aussi un outil que certaines MJ (et sûrement certains scénarios) utilisent, et c’est du dirigisme bien plus évident.
Todd
Au sujet des faux choix qui manipulent la chronologie, il faut faire attention à ne pas confondre le dirigisme avec ce que j’appellerais une « accroche disponible ». C’est une accroche d’aventure qui s’appuie sur une situation et déclenchée par une rencontre, sans que la chronologie de la rencontre soit liée aux scénarios précédents des PJ : ceux-ci n’ont aucune idée du timing de cette accroche.
Par exemple, on peut avoir une accroche d’aventure urbaine du style : « Alors que les personnages passent devant une taverne, un ivrogne en sort en titubant et percute un personnage. Il râle à propos de [...] ». Bien que ce soit une fausse chronologie (si les PJ ont 10 min de retard, elles ne ratent pas l’ivrogne), utiliser cette accroche dès que les PJ prennent cette rue, quel que soit le moment où elles le font, ce n’est pas du dirigisme. On crée des chronologies flexibles tout le temps pour permettre l’apparition d’accroches de scénarios.
Par contre, si on manipule les évènements pour forcer les PJ à suivre ce scénario (et si ce n’est pas justifié par les évènements « naturels » autour), ou si on impose des modifications pour forcer l’accroche à apparaitre exactement comme on l’imaginait (par exemple, les forcer à entrer en ville quand elles ne comptaient pas s’y arrêter), là on franchit la ligne.
Todd
Le « souffler des répliques de façon indirecte » est troublant. Y a-t-il une différence entre les deux situations suivantes ?
- Un drame se prépare. S’il reste ignoré, il finira par impacter le monde entier, y compris les PJ, où qu’ils aillent.
- Je veux vraiment que les PJ combattent cette menace, alors je la remets sur le chemin des PJ, toujours de plus en plus dangereuse, jusqu’à ce qu’ils y fassent face.
En supposant que la MJ soit capable de maintenir le déterminisme et la cohérence de son univers (elle ne brise pas les lois de sa physique et ne crée pas de nouvelle magie dans le seul but de contrer les actions des PJ), il semble que la seule différence pratique soit l’intention. Est-ce que de telles situations sont l’équivalent dirigiste de la différence entre l’assassinat et l’homicide involontaire ?
Jagyr
Je suis d’accord avec Todd.
Je ne pense pas que l’histoire du nécromancien et de ses squelettes soit un bon exemple de dirigisme à cause de cette ligne : « […] un jour, en rentrant du donjon, elles découvrent que le nécromancien a pris le contrôle du village [...] ».
Si elles reviennent d’un donjon, alors il est évident dans ce contexte qu’elles ont d’autres options à explorer : le MJ ne les a pas obligées à se confronter au nécromancien, mais leur a présenté un univers de jeu avec plein de trucs intéressants à explorer. En l’occurrence, il y a au moins deux points d’intérêt : une ville assiégée par des squelettes, et un donjon à explorer dans le coin. Et les PJ ont choisi d’en ignorer un en faveur de l’autre (à leurs risques et périls semble-t-il).
Si les PJ avaient ignoré les squelettes et n’avaient reçu aucune autre option de jeu, ça aurait été du dirigisme. De mon expérience personnelle, je verrais ça comme ça :
MJ : Selon les rumeurs, il y aurait un nécromancien dans les bois. Est-ce que vous voulez enquêter dessus ?
PJ : Non, on est pas intéressé.
MJ : Ok, vous trainez en ville quelques jours. Maintenant, il y a une douzaine de squelettes qui attaquent les fermes les plus proches des bois. Vous voulez enquêter dessus ?
PJ : Non, on préfèrerait faire autre chose.
MJ : Ok, vous trainez en ville quelques jours de plus. Maintenant il y a une quarantaine de squelettes qui attaquent… Etc.
Merci pour ces articles Justin, j’aime beaucoup ce que tu fais et j’ai hâte de lire la suite !
Justin Alexander
Pour être clair, l’exemple du nécromancien n’était pas censé illustrer le dirigisme. C’était seulement un exemple de MJ souffleur. Souffler des répliques n’est pas du dirigisme, mais peut être fortement associé au dirigisme parce que les MJ dirigistes souffleront aux PJ quelles actions sont acceptables. EDIT : Jagyr, qui commentait en même temps que moi, a bien compris la distinction.
Pour répondre à Todd : Finalement, je crois que ce qui compte, ce sont les intentions de la MJ. Mais en même temps, ces intentions auront tendance à être très vite visibles, dès que les PJ sortent un peu des rails posés par la MJ. Pour développer l’exemple du nécromancien ci-dessus, voici quelques moyens de trancher :
Les PJ répondent à la menace croissante des squelettes en faisant leurs valises pour quitter la ville. Est-ce que les squelettes du nécromancien les poursuivent partout où ils vont ? Ça n’indique pas forcément du dirigisme (de la même façon que ce n’est pas du dirigisme si, dans une campagne historique qui se passe dans le Paris de 1940, des soldats nazis poursuivent les PJ), mais si en tant que MJ vous vous retrouvez à faire ça, vérifiez bien quelle est votre vraie motivation.
C’est l’une des raisons pour lesquelles l’illusionnisme est bien plus facile à repérer que les MJ dirigistes le croient : certes, c’est possible que les squelettes du nécromancien nous poursuivent à travers le monde simplement à cause d’une apocalypse qu’on n’a pas réglée. Mais quand la cinquième ou sixième accroche de scénario se met à nous poursuivre inlassablement à travers l’univers de jeu, la nature dirigiste de la campagne devient claire.
Ensuite, pourquoi est-ce que personne ne s’occupe des squelettes ? À moins que vous meniez une campagne dans laquelle les PJ ont vraiment des capacités uniques extraordinaires (et c’est vraiment la seule exception possible), c’est impossible d’imaginer que personne d’autre ne s’occupe de la menace squelettique omniprésente et grandissante.
Ça peut être un bon moyen pour la MJ de s’arrêter en chemin pour se demander si elle est VRAIMENT en train d’extrapoler des conséquences cohérentes dans un monde déterministe.
d47
Arrivés à un point, la plupart des groupes s’attendent à ce que les PJ suivent les accroches de scénario. Franchement, si j’avais une accroche comme un « nécromancien dans les bois » et si mes PJ voulaient vraiment l’ignorer, j’irais peut-être avoir une conversation en méta-jeu pour dire : « Hé, voilà ce que je vous propose. Si ça ne vous intéresse vraiment pas, je vais réfléchir à autre chose pour la prochaine partie. » Bien sûr, si les PJ veulent aborder le problème sous un angle différent (« On va à l’église et on ouvre toutes les tombes pour bruler les corps. »), ça ne pose pas de problème.
Charles R
Je commente avec un an de retard, mais...
Je conviens que les succès garantis ne comptent pas vraiment comme du dirigisme en soi, mais je reconnais aussi qu’ils sont vraiment indésirables. C’est peut-être moins grave qu’un dirigisme contraignant, et les PJ peuvent l’accepter ou même l’encourager, au moins au début. Mais… sur le long terme, ça devient ennuyeux. Après tout, récompenser toutes les actions par un succès est aussi un moyen de nier les actions des PJ ; et si le succès est garanti, toute la tension et l’anticipation des résultat disparaissent.
Cette année, je m’en suis rendu compte par moi-même. Depuis la sortie de D&D 5e édition, j’ai participé à plusieurs scénarios de l’Adventurers League [un réseau d’organisation de parties de D&D, fait pour qu’on puisse arriver avec sa fiche de personnage à la table d’inconnu.es pour une partie isolée (NdT)]. J’ai aussi rejoint une campagne maison dont le MJ a adapté les règles (plus reprises de la 2e édition qu’autre chose), parce qu’il trouvait que la 5e n’était vraiment pas assez sombre et punitive. Les jeux de l’AL sont sympas, mais c’est la campagne maison qui est vraiment excitante, parce qu’on sait que nos personnages peuvent échouer ou même mourir à la moindre inattention (et parfois même quand on fait attention !).
Parfois, je me dis que notre MJ est allé trop loin dans ce réalisme cru, mais jusqu’ici, ça a été bien plus enthousiasmant que les défis relativement fades que j’ai rencontrés dans l’AL.
Malgré cela, je comprends et suis fondamentalement d’accord avec l’argument qui sous-tend l’approche Gumshoe. Quand on prépare un scénario qui inclut un indice précis, c’est du gâchis que les personnages ratent cet indice à cause d’un simple jet malchanceux. Cependant, je ne crois pas que le système Gumshoe implique que le succès soit garanti, pas au sens le plus profond du terme. C’est important de noter que trouver un indice ne garantit pas que les PJ l’interpréteront correctement, et dans ce sens, l’échec reste possible.
Justin Alexander
Le terme auquel je reviens toujours est « unidimensionnel ». Si le succès est toujours garanti, alors on a retiré tout un pan de l’expérience de jeu. Cette forme extrême, le « succès automatique », est rare, bien sûr… mais même si on ne l’utilise qu’occasionnellement, le résultat gomme les reliefs de l’expérience (et plus on l’utilise, plus ils sont gommés).
Je dirais qu’une majorité des expériences vraiment mémorables et jouissives à ma table, c’était quand des PJ échouaient et devaient trouver un moyen de transformer cet échec en succès, ou de revenir au même problème sous un angle totalement différent.
Même chose pour le Gumshoe, dans sa forme originale où « la MJ désigne un indice-clé qui est absolument nécessaire pour progresser jusqu’à la scène suivante et cette scène ne se finira que quand les PJ l’auront trouvé ». Les jeux Gumshoe se sont éloignés progressivement de ce paradigme depuis.
Et si on mettait de côté l’expérience de joueur un moment : en tant que MJ, le plaisir que je tire de mes parties vient principalement de la découverte des évènements. Je n’éprouve pas ce plaisir quand les évènements sont prédéterminés (que ce soit un échec ou un succès prédéterminé). Je préfère poser les boules de billard, leur donner éventuellement un peu de mouvement initial, et ensuite regarder ce qui se passe quand les PJ déboulent sur la feutrine verte.
Pour les scénarios d’enquête, cette qualité inattendue vient en partie de quelles informations les joueuses obtiennent. Obtenir l’indice A mais pas l’indice B, obtenir l’indice B mais pas l’indice A, et obtenir les deux indices, tout ça, c’est différent. Que feront-elles si elles savent que quelqu’un fait chanter Freddy ? Qu’est-ce que ça changera si elles ne savent pas que Freddy est impliqué ? Ou si elles savent qu’il n’est impliqué qu’à cause du chantage ?
Ces exemples peuvent aller extrêmement loin. Dans ma campagne de Ptolus, PTGPTB par exemple, les PJ ont accidentellement raté un indice dans la première partie (parce qu’ils n’ont pas lu un livre avant de le donner). 100 séances plus tard, cet indice manquant continue à avoir un impact sur la campagne.
À l’inverse, plus tard dans la campagne, un des PJ était sur le point de former une alliance avec un groupe religieux majeur. Mais la veille de l’accord, les PJ ont découvert une information obscure qui a radicalement changé leur opinion sur ce groupe, et le PJ a fini par prêter allégeance à un autre groupe religieux. Résultat le groupe entier s’est retrouvé au beau milieu d’un schisme religieux et les PJ étaient tellement empêtrés dans la politique locale qu’ils n’ont jamais réussi à s’en dépatouiller.
Dans les deux cas, on peut remarquer que le résultat inverse aurait été tout aussi intéressant pour des raisons très différentes. Mais je crois qu’on ressent un frisson unique quand un résultat n’est pas prédéterminé, surtout avec l’effet d’accumulation. Et c’est quelque chose que j’aime non seulement en tant que joueur, mais aussi en tant que MJ.
[Justin Alexander a souvent, dans son blog, utilisé ses campagnes de Ptolus pour illustrer des réflexions sur le jeu de rôle, par exemple dans Le Pari de la table rase ptgptb ou dans Oups, j'ai oublié le loup ! ptgptb (NdT)]
Jin Cardassian
« Une autre variante du faux choix, c’est quand la chronologie n’a pas d’importance. Dans les scénarios du commerce, ça prend souvent la forme de « Quel que soit le temps que prennent les PJ à rejoindre la Cité Perdue de Bakkanar, les méchants y arriveront juste avant. » »
J’ai une question liée à ça qui m’a trotté dans la tête récemment : quelle marge de manœuvre acceptez-vous pour la chronologie d’éléments narratifs ?
Pour prendre un exemple : mes joueuses recherchaient une suspecte qui s’était terrée dans une chambre de motel. Il y avait aussi un tueur à ses trousses. Je savais que si les joueuses ne trouvaient pas la suspecte, le tueur le ferait, et je prévoyais qu’il y arrive tel soir à 23h30.
Par une pure coïncidence, les joueuses sont arrivées à 23h20 et le tueur peu après. Ça a fini en une poursuite épique à moto dans la rue.
Mais mettons qu’à la place, elles soient arrivées à 23h ou à minuit. D’un point de vue purement simulationniste, cela aurait donné ou bien un interrogatoire de la suspecte complètement sans danger (et potentiellement très barbant), ou bien des PJ qui trouvent son corps dans la chambre du motel. Pas de poursuite spectaculaire à moto.
Serait-ce raisonnable qu’un MJ manipule les évènements pour imposer cette situation ?
Mon instinct me dit que le MJ devrait trouver un moyen de rendre chacune de ces situations intéressantes. Si elles arrivent en premières, l’interrogatoire pourrait être tendu, ou peut-être que la suspecte est armée et voit les PJ comme une menace. Si elles arrivent après, elles ont une chance de trouver des indices pour retrouver le tueur dans un lieu bien effrayant, ou peut-être que le tueur a laissé des preuves pour incriminer les PJ qui doivent maintenant nettoyer la scène du crime et se débarrasser du corps pour éviter les soupçons.
L’autre solution serait d’établir les circonstances pour qu’il soit raisonnable que le tueur arrive en même temps que les PJ. Peut-être que le tueur les connait et les suit ELLES, dans l’espoir qu’elles le mènent à la suspecte.
À l’inverse, il y a des systèmes narrativistes qui disent explicitement que « Le tueur devrait arriver au pire moment ». Si on jouait à FATE grog, par exemple, le tueur pourrait arriver pile au bon moment à condition que les joueuses acceptent cette contrainte.
Qu’est-ce que vous en pensez ?
forged
À la lecture des commentaires, j’ai une réaction un peu différente de celle de Jin Cardassian ci-dessus.
Si le groupe arrive en premier et interroge la suspecte sans danger, que font-elles quand elles apprennent le lendemain, par les infos ou les journaux, que la suspecte a été assassinée à peu près au moment où elles se trouvaient sur place ?
De même, que se passe-t-il si elles arrivent trop tard et sont les premières personnes à découvrir le corps de la suspecte assassinée ?
Voici deux situations potentiellement intéressantes pour compliquer l’histoire.
Avoir la possibilité de se confronter directement au tueur serait certainement théâtral, mais ce sera tout aussi vrai si le groupe doit retrouver la trace du tueur. Cela ne devient dirigiste que si le MJ veut qu’il n’y ait qu’une seule fin possible, quoi que les joueuses choisissent de faire (et dans ce cas, elles devront se battre contre le tueur…).
Aeshdan
Justin, je trouve en fait qu’imposer un succès, c’est bien du dirigisme, parce que les joueuses peuvent, en fait, choisir d’échouer. Si une joueuse choisit de s’attaquer à un ennemi trop puissant pour elle, ou d’utiliser des tactiques pas optimisées, ou de continuer à avancer sans préparation adéquate, ce sont tous des choix qui mènent à un échec du PJ. Si le MJ impose quand même un succès à cette PJ, alors il supprime ces choix pour produire son résultat prédéterminé.
Jin, pour répondre à ton argument sur la chronologie des évènements narratifs, je crois que la clé est de se demander si changer la chronologie annule des choix des joueuses. Dans l’exemple que tu donnes, les joueuses n’essayaient pas d’atteindre la suspecte avant le tueur, donc déplacer l’arrivée du tueur n’annulerait pas leurs choix. Si les PJ essayaient délibérément d’arriver aussi vite que possible pour avoir le temps de l’interroger en toute sécurité avant l’arrivée du tueur, ou si elles savaient que le tueur cherchait cette personne et choisissaient de privilégier d’autres priorités, alors modifier la chronologie devient du dirigisme.
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