Le manifeste post-bjorneborgien revisité

NdT : Bjorneborg (« le Fort de l’Ours ») est le nom suédois de la ville de Pori, en Finlande. Le titre est une boutade – le mouvement post-bjorneborgien ne succède pas vraiment au mouvement bjorneborgien. Il fait référence au Manifeste 99 ou au Manifeste de (la ville voisine de) Turku. On a failli le renommer « le manifeste post-Pori » pour prononcer plus facilement, mais il y aurait eu trop de jeux de mots.

Aujourd'hui, j'ai reçu un courriel d'une personne intéressée par mon vieux manifeste sur le GN, celui sur l'école post-bjorneborgienne. Au lieu de le lui envoyer par mail, je le présente ici. J'y ai également inclus quelques commentaires car, bien qu'écrit comme une boutade vers la fin de l'année 2000, il contient beaucoup des idées fondamentales que je continue à mettre en œuvre dans mes propres parties. Désormais, le ton est juste moins satirique. En lisant, gardez à l'esprit que ça a été écrit comme un document du genre « ma façon de faire les choses est : », pas comme une exigence que tous les GN soient conçus selon ce dogme.

Règles de l'École post-bjorneborgienne, telles qu'écrites en 2000.

1. Un GN est avant tout une expérience. Ce n'est ni une compétition, ni une forme d'expression théâtrale

Réalité : les GN que je conçois tendent à suivre cette idée. Je veux qu'ils apportent des expériences communes à leurs participants, quelque chose dont ils font l'expérience ensemble (par opposition à des expériences individuelles) mais dans une perspective personnelle de personnage/joueur (par opposition à des expériences collectives). Je suis également content que d'autres fassent des GN qui satisfassent des intérêts différents, y compris ceux mentionnés dans la Règle n°1.

2. La composante cruciale d'une bonne partie réside dans une sélection correcte des joueurs. Tout le reste est secondaire.

Réalité : partiellement vrai. A présent, je crois en une équation de « sélection de joueur + bon concept + préparation de partie suffisante = au moins 80 % de la réussite potentielle d’un GN ». Mais de ces trois éléments, trouver de bons joueurs est toujours le plus important. Même un GN mal fichu peut s'avérer excellent avec les bonnes personnes ; mais avec de mauvais joueurs, tout s'écroule, quel que soit le concept de la partie.

3. Les joueurs sont sélectionnés selon trois critères : la capacité à s'immerger dans la personnalité d’un personnage, l'attrait physique, et le consentement à changer son attitude pour répondre aux besoins de la partie. Chaque joueur doit remplir au moins deux de ces critères et il doit y avoir une raison assez forte pour que le troisième critère ne soit pas respecté.

Réalité : cette règle est celle dont les gens se sont le plus moqués. C'était, bien sûr, assez intentionnel. Mais sur un ton plus sérieux, cette règle est à la fois là pour faire reconnaître qu'un GN et ses joueurs doivent être sur la même longueur d'onde, et que les personnes sont influencés par des considérations extradiégétiques. Pour permettre de nouvelles expériences de joueur au travers d'expériences de personnages, la relation entre le joueur et le personnage doit être suffisamment forte. Ou si vous voulez une partie plus centrée sur l'action, la relation doit être assez ténue.

Mais l'immersion n'est pas le but final : un immersionniste égoïste ne gagne rien et diminue l'impact pour tout le monde. L'équilibre entre l'immersion, la flexibilité et l'influence externe est requis pour une expérience de jeu optimale.

4. Il faut laisser de côté au moins un joueur populaire. Ceci afin d'insister sur le statut élitiste de la partie (« c'était tellement réservé à des VIP, que même X n'a pas été invité. »)

Réalité : évidemment, c'est de la pure foutaise. Toutefois, il faut reconnaître que le statut perçu d'une partie aura toujours une influence, à la fois sur la partie elle-même et sur l'impression qu'elle laissera aux joueurs et aux non-participants qui en entendront parler après.

5. Il faut inviter au moins un petit nouveau prometteur, afin d'éviter à la fois la stigmatisation de la partie comme « pour initiés seulement » et pour former une nouvelle génération de joueurs d'élite.

Réalité : à nouveau, former des « élites » est stupide. Mais le milieu du GN expérimental a besoin de trouver de nouveaux joueurs et de partager ses trouvailles avec le reste de la communauté des GNistes. Sinon, les deux groupes finiront par s'appauvrir et disparaître. N'oublions pas que faire du GN avec toujours les même personnes devient assez rapidement ennuyeux. Donc du sang neuf est synonyme de meilleur GN pour tous, que les nouveaux venus aiment ou détestent votre partie.

6. Un joueur qui a été accepté dans la partie est un client qui paie et dont les souhaits doivent être pris en compte, autant que faire se peut. Faire plus attention aux éléments externes à la partie qu'aux personnages équivaut à insulter directement les joueurs.

Réalité : à mon avis, c'est une règle que tout concepteur de GN devrait suivre. Respectez vos joueurs-clients : si vous oubliez, disons, de leur envoyer des informations sur leur personnage, il est de votre responsabilité de régler le problème, même si ça implique que vous leur achetiez les accessoires nécessaires etc.

Ne copiez/collez pas de personnages.

Ne dépensez pas la moitié du budget de la partie sur un élément de décoration que seulement un joueur sur deux cent verra. Les joueurs étant à la fois des clients et la ressource la plus importante de votre GN, méritent ce qu'il y a de mieux.

7. Les personnages doivent être écrits à une échelle adaptée à la partie. Plus c'est petit, meilleur c'est. Des informations de personnage excessives ou redondantes ne font que réduire l'expérience de jeu.

Réalité : je maintiens celle-ci aussi. Je déteste réellement les trouducs qui pensent (et le prêchent très bruyamment) que la longueur d'un texte est synonyme de qualité. Ce n'est pas vrai. « Efficacité » est réellement le maître-mot en ce qui concerne les informations de la feuille de personnage. Bien sûr, c'est plus utile d'inclure des éléments des « quatre D » : Costumes (Dressing), Décoration, Fausses-pistes (Decoys), Diversions (Distractions). Par exemple, tout depuis la petite bizarrerie sympa dans la conception du personnage jusqu'au frère perdu qui n'apparaît pas du tout durant la partie. Mais une histoire de famille sans intérêt ne construit pas un personnage. C'est juste, eh ben... sans intérêt. Faire avec le strict minimum, avec quelques bonus tirés des 4D, est optimal. Parfois, c'est juste trois lignes de texte en police taille 10. D'autres fois, c'est 40 pages. Faites simplement ce qui est nécessaire.

8. Un joueur est sélectionné pour chaque personnage d'une façon appropriée à la partie. En cela, les besoins pour la partie ont priorité sur les souhaits des joueurs. Les personnages sont des outils pour l'expérience de jeu, pas une forme d'évasion personnelle ou une expérimentation relative à l'image de soi idéale d'un joueur.

Réalité : le concepteur de la partie a une meilleure compréhension des contenus du GN. De fait, il ou elle sait mieux que quiconque qui devrait jouer qui. Les GN ne devraient pas s'occuper (excepté peut-être de façon accidentelle) des caprices de ceux qui cherchent l'évasion ou à jouer des personnages surpuissants. Être au service d'un joueur égoïste, c'est mettre en danger l'expérience de jeu globale (le truc pour lequel vous organisez toute cette foutue partie). Cette règle fait également référence au fait qu'associer tel joueur à tel type de rôle (typecast) peut rendre un immense service à un GN - tant que cela ne devient pas une routine.

9. Le joueur créé la représentation du personnage. Un personnage ne peut jamais être la représentation du joueur.

Réalité : une fois que vous avez donné un personnage à un joueur, ce personnage est à la fois la propriété du joueur et sa responsabilité. Il ne devrait pas le modifier, mais vous ne devez pas diriger ses actions non plus - à moins que vous ne vous soyez mis d'accord pour que ce soit un rôle de PNJ, bien entendu. De plus, même une situation de « vous vous jouez vous-même, dans ces circonstances particulières », ne veut pas dire qu'un joueur se joue lui-même. Un personnage devrait toujours être une entité séparée, même lorsqu'il partage de multiples traits (ou presque tout) avec le joueur.

Des zones sensibles existent bien sûr. Par exemple, qu'arrive t-il s'il est diégétiquement logique pour votre personnage d'insulter un personnage sur son poids alors qu'il est joué par un joueur avec un sérieux problème pondéral? Cette règle est également un autre avertissement contre le fait de laisser les gens jouer leurs fantasmes d'évasion/sexuels/grosbills aux dépends de votre GN.

10. L'utilisation de la simulation doit être minimisée. Tous les mécanismes de jeu viennent en déduction de l'ensemble de l'expérience.

Réalité : « minimisée ». Cela veut dire que les mécanismes doivent être maintenus au minimum, pas complètement exclus de la partie. De bonnes règles, des descriptions et des mécanismes pour tout ce qui va du sexe au tir avec des armes à feu, en passant par les combats à l'épée, sont un indispensables. Toute personne un peu intelligente comprend que les mécanismes amoindrissent en effet l'expérience dans son ensemble, mais qu'ils sont néanmoins nécessaires.

Cette personne devrait aussi garder à l'esprit le fait que ne pas utiliser de règles peut être un choix et non la conséquence de l’ignorance de tout un attirail de règles adaptées par le ou les organisateurs.

Ce n'est pas parce que dans les GN nordiques les règles sont souvent réduites au minimum que l'on doit penser que certains mécanismes potentiels n'y ont pas été explorés. Néanmoins, si vous voulez une puissante expérience de Grandeur Nature, vous ne pouvez réellement pas la ponctuer avec des dizaines de pierre-feuille-ciseaux [comme c'est l'usage pour résoudre les combats dans le Mind's Eye Theatre, les règles Grandeur Nature pour Vampire, la Mascarade].

11. Chaque partie doit contenir au moins un démon.

Réalité : attention les yeux, la vraie « blague supposée». Comme certains le savent, avant l'école post-bjorneborgienne, il y avait l'École bjorneborgienne, nommée d'après la ville où je vivais à l'époque (je ne pouvais pas devenir le numéro deux de l'école de Turku, n'est-ce pas?). Il manquait à l'original la règle n°11, c'était l'unique différence entre les deux manifestes. Bref, qu'en est-il du démon ? Deux choses concrètes.

La première est simple. J'ai remarqué absolument tous les GN auquels j'ai participé durant les cinq dernières années, comportait au moins un démon.

La seconde est bien plus importante. La présence (suspectée, réelle ou non) d'un démon définit le « niveau de réalité » de la partie à celui, par défaut, de « réalisme magique » (comme dans le genre littéraire sud-américain).

Ainsi, chaque fois que des joueurs dans un GN post-bjornborgien rencontrent quelque chose d'inexplicable, ils le traitent comme quelque chose de réellement étrange dans la partie, pas comme une bourde du MJ. Et c'est réellement précieux, surtout lorsque l'on veut faire des GN sur une horreur surnaturelle discrète (je sais que ça m'arrive).

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Bon. C'est tout pour l'instant sur le dogme post-bjornborgien. Gardez à l'esprit que c'est juste ma façon de voir (quelque peu périmée), pas la façon à laquelle je (j'ai) souhaite (souhaité) que tout le monde adhère. Je trouverais cela foutrement ennuyeux si chaque créateur de GN suivait la voie de quelqu'un d'autre, que ce soit moi ou un autre.

Article original : Post-Bjorneborgan Manifesto, revisited


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