Le Point de vue du figurant

Quelle est la différence entre les jeux de rôles et les autres médias ? Le public et les acteurs ne font qu’un. Les joueurs jouent ces deux rôles. Mais pour que joueurs aient des défis intéressants à relever, on les laisse habituellement ignorants de plus de choses qu’un public passif n’a besoin de l’être. Le public d’un film peut savoir qui est le meurtrier depuis le début et stresser lorsque le héros tourne innocemment le dos au tueur. Il n’y aurait pas vraiment de défi à résoudre le mystère si les joueurs savaient cela depuis le début.

Dans un film ou une histoire, d’autres informations sont révélées au public pour donner de la profondeur au récit, même si les protagonistes ne les connaissent pas. Le public voit le garde de nuit se faire poignarder dans l’ombre, et comprend que quelque chose cloche dans cette petite ville. Le public voit la comète s’écraser aux alentours de la ville, annonçant l’arrivée du virus zombie extra-terrestre. Mais les joueurs ont une perspective subjective, du point de vue de leurs personnages. Par définition ils ne voient donc que les choses que leurs personnages voient. On ne leur montre jamais d’action contextuelle qui mettrait l’histoire en perspective ou présagerait les événements.

Une alternative est de manipuler une scène de façon artificielle afin que les PJ soient des participants ou des observateurs de ces situations, ce qui ne serait pas logique, ou que les événements soient rapportés par un PNJ tiers, ce qui serait… ennuyeux.

Une meilleure solution est le Point de Vue du Figurant (PVF) [NormalVision dans le texte original, ce qui est construit comme télé-vision “voir au loin” ; ici ce serait “voir une scène comme un personnages normal” (NdT)] : les joueurs endossent temporairement le rôle de personnages qui devraient normalement être des Personnages Non-Joueurs (PNJ) sans importance. En jouant ces personnages ordinaires, les joueurs peuvent participer à des événements que leur personnage principal n’aurait jamais vus directement.

Les personnages d’une scène Point de Vue du Figurant ne sont pas des héros ou des personnages principaux. Ce sont des extras, des personnages jetables, des acteurs de second plan dans la grande trame des événements. Ils sont les gardes de nuit condamnés, les ados curieux présents au belvédère du coin, les pilleurs de tombes indigènes qui profanent une sépulture qui ne devrait pas être violée. En d’autres mots, ce sont des gens normaux (à part peut-être pour les circonstances dans lesquelles ils se retrouvent), et les joueurs voient le monde à travers leurs yeux, du moins pendant un petit moment.

Le Point de Vue du Figurant est une entorse à la façon de jouer habituelle, car les joueurs ne sont pas censés influencer le déroulement de l’histoire. Ils ne devraient pas essayer de changer le cours des choses. Cela pourrait être difficile à obtenir de certains joueurs (ou MJ).

Par définition, les personnages de PVF peuvent être condamnés dès le départ. Si les joueurs jouent le rôle d’un équipage de cargo en haute mer, et le but de la scène est de révéler qu’une mystérieuse menace détruit les navires, les PJ de PFV ont peu de chances de survie lorsque leur navire est attaqué. Ils ne seront même pas capables de commencer un combat. La scène peut très bien se finir en fondu au noir aussitôt que la terreur inconnue frappe depuis les profondeurs marines, à part un dernier plan montrant le navire en train de sombrer.

Un avantage spécifique du Point de Vue du Figurant est qu’il fournit une information aux joueurs et pas aux personnages. Les joueurs peuvent savoir que quelque chose d’étrange se trame ; mais puisqu’ils savent que leur personnage habituel l’ignore, ils peuvent confortablement continuer à s’attendre à être surpris. Cela clarifie les limites du méta-jeu, autorise les joueurs à jouer leur personnage en accord avec le thème de la partie, tout en profitant des bénéfices de leur ignorance.

En tant qu’exercice de jeu de rôle, le Point de Vue du Figurant peut être stimulant et amusant. Il laisse les joueurs expérimenter un nouveau rôle pour un court laps de temps. Ils peuvent improviser et essayer de nouvelles idées sans répercussions à long terme. Le changement de rythme peut être assez rafraîchissant, propulsant les joueurs hors de leur rôle habituel.

Quand l’utiliser ?

Maintenant que l’idée est lancée, il semblerait que presque n’importe quelle situation représente la possibilité d’une scène de Point de Vue du Figurant. Après tout, c’est sympa, non ?

Respirez à fond. Maintenant retenez votre souffle et comprenez que pour qu’une scène de PVF (et, euh, pour n’importe quelle scène) veuille dire quelque chose, il faut qu’elle soit utile. Voici quelques pistes pour décider quand utiliser le Point de Vue du Figurant :

  1. Si il n’y a aucune information à transmettre, zappez-la. Une scène de PVF permet aux joueurs de voir des choses dont leurs personnages ne seraient pas normalement témoins en les laissant jouer temporairement d’autres personnages. Cette définition seule vous dit qu’il devrait y avoir quelque chose à voir ou à apprendre. S’il s’agit juste d’une séquence d’action mais avec des personnages différents, cela peut être un changement de rythme amusant mais cela n’a pas le même objectif que le PVF. Vous devez savoir ce que la scène est censée révéler.
  2. Demandez-vous s‘il y a vraiment un intérêt dramatique à ce que les joueurs soient aux premières loges. La scène de Point de Vue du Figurant prend du temps à mettre en place et à jouer, donc s’il est tout aussi bien d’obtenir l’information par des moyens conventionnels comme des comptes rendus de tiers ou de la narration contextuelle, restez-en là. Les joueurs ont-ils réellement besoin de jouer des citoyens fuyant le monstre géant piétinant la ville, ou peuvent-ils simplement le voir aux informations ?
  3. Les joueurs doivent avoir le temps de “tenir” réellement leur rôle avant l’inévitable conclusion. Une scène de Point de Vue du Figurant où les officiers de police se font simplement attaquer par le monstre n’est pas assez bonne. Les joueurs ont besoin de temps pour jouer leurs nouveaux personnages avant qu’ils ne se fassent manger par des fourmis géantes, même s’il s’agit seulement de raconter combien ils sont impatients de partir à la retraite (“Plus que deux semaines, et je serai en train de faire le tour du monde sur mon nouveau bateau…”). Les personnages devraient avoir le temps d’interagir. Plus une scène de PVF est courte, plus il est probable qu’elle soit inutile.
  4. Les personnages devraient pouvoir participer au lieu de juste assister à la scène. Autrement ce serait seulement du Point de Vue du Narrateur – ce qui n’est pas bien. Les personnages ne devraient pas changer la fin (en fait ils ne le feront probablement pas) mais ils devraient en faire partie. Ils devraient vivre ce qui arrive même si cette expérience consiste seulement à interagir les uns avec les autres alors que quelque chose de plus important se déroule autour d’eux ; un petit drame humain qui se déroule devant une grande toile de fond. Un couple d’adolescents terrorisés et scotchés l’un à l’autre pendant qu’un Mécha-Leviathan écrase la ville, n’interagissent pas physiquement avec la menace, mais ils jouent leur rôle en réaction à la situation. D’une certaine manière cela nécessite des joueurs qu’ils jouent dans la scène, pas qu’ils l’observent simplement en silence. Les paramètres que vous utilisez dans la scène peuvent avoir une influence là-dessus (comme discuté ci-dessous).

Que peut-il arriver de pire lorsque vous utilisez mal ou trop le Point de Vue du Figurant ? Cela ne sera pas forcément un désastre, mais les joueurs s’amuseront sans doute moins. La scène pourra sembler inutile et les personnages de PVF peu mémorables. Les joueurs aiment leurs personnages, alors les emmener loin de ces personnages est toujours un pari. Les enjeux sont le temps de jeu et l’intérêt des joueurs.

Préparer la scène

Alors comme ça vous avez décidé d’inclure une scène de Point de Vue du Figurant dans votre partie. Que devez-vous savoir avant de la faire jouer ?

Avant tout assurez-vous d’avoir vraiment besoin d’utiliser la PVF. Ensuite, décidez de ce que vous voulez que cette scène révèle. Tout ceci a été vu dans la section précédente…

Les joueurs ne devraient pas créer de personnages avant que vous ne leur annonciez la scène de Point de Vue du Figurant au milieu de la partie. Les PJ de PVF ne nécessitent pas autant de détails qu’un personnage normal. Zappez complètement les caractéristiques chiffrées, concentrez-vous simplement sur la personnalité, le nom et une description générale. Idéalement, il faudrait que les joueurs aient créé leur personnage en 15 minutes maximum (quelquefois en moins de 5 minutes) donc privilégiez la simplicité. Voici quelques trucs que qu’il vous faudra dire aux joueurs pour qu’ils puissent créer des personnages adéquats :

  1. Quels sont les types de personnages requis pour cette scène ? Cela devrait être une simple description à partir de laquelle les joueurs pourront travailler : le personnel de garde de nuit d’un hôpital, avec en option quelques personnages-joueurs en tant que patients ; les passagers d’un bateau de croisière ; les invités d’une séance de spiritisme. Cela pourrait donner (ou pas) aux joueurs un indice sur la scène.
  2. Y a-t-il un trait de personnalité précis auquel les joueurs devraient penser en créant leur personnage, un trait qui est particulièrement pertinent pour la scène ? Dans une scène de Point de Vue du Figurant qui se déroule lors d’une séance de spiritisme, un trait clé serait le degré de scepticisme d’un personnage. Un personnage pourrait être très sceptique ou très crédule ; identifier sa place entre ces deux extrêmes est fondamental pour comprendre comment il se comportera dans cette scène en particulier. En identifiant un trait clé, vous fournissez aussi un point d’ancrage pour que les joueurs définissent rapidement la personnalité de leurs personnages.
  3. Y a-t-il un ton ou un genre prévu pour la scène ? Les personnages sont-ils censés être sérieux, ou y a-t-il de l’espace pour quelque interlude comique ? Ayant l’opportunité de jouer tout à coup un vrai personnage “jetable”, certains joueurs voudront rendre leur personnage intéressant en déviant vers l’excentricité. Trop d’excentricité et tout d’un coup les personnages ne sont plus vraiment très normaux. Décider du ton aide aussi les joueurs à être rapidement en harmonie.

Donc, vous pourriez dire à vos joueurs “Ok, nous allons maintenant faire une scène de Point de Vue du Figurant. Tous les personnages sont des pèlerins médiévaux, et réfléchissez aux raisons personnelles qu’a votre personnage pour faire ce pèlerinage. Cela devrait être une scène sérieuse ; des penseurs religieux dévots ; rien de farfelu.” et alors vous les laissez parler théologie autour du feu de camp pendant un moment avant de leur envoyer les OVNI sur la figure, illustrant le contenu de l’étrange manuscrit du XIe siècle que les personnages contemporains viennent de découvrir dans une bibliothèque.

Comme dans tout processus de création de personnage (ars ludi), vous voudrez que les joueurs collaborent pour que leurs personnages soient compatibles, ou s’ils ont des conflits, qu’ils soient utiles à la scène, et ne s’imbriquent pas bizarrement. Vous pouvez aussi obliger les joueurs à prendre des rôles lorsque c’est nécessaire, ou mélanger les sortes de prétirés et des personnages “libres”. Trois joueurs démarrent avec des personnages de gamins se glissant dans un parc d’attractions fermé (rôles libres, ils peuvent être n’importe quelle sorte de gamin) ; un quatrième joueur arrive à un moment en tant que garde qui les attrape (personnage prédéterminé, il ne peut être que le garde). Vous devez aussi décider ce qui va marquer la fin de votre scène de Point de Vue du Figurant. Dans certains cas, ce sera évident (le monstre mange le bateau sur lequel se trouve l’équipage, fin de la scène), dans d’autres fois non. Rappelez-vous en premier lieu de ce que votre scène est censée révéler. Une fois que cette révélation a eu lieu, votre scène de Point de Vue du Figurant a probablement atteint son objectif. Résistez à la tentation de simplement continuer à suivre les vies des personnages de PVF. Ils peuvent vivre pour se marier et devenir vieux, mais allez plutôt retrouver les personnages principaux pour faire cela.

Préparer un Point de Vue du Figurant peut sembler compliqué, mais en fait c’est relativement facile une fois que vous aurez pris le pli. Même si vous n’avez rien préparé du tout, vous pourriez décider au milieu d’une partie qu’une rapide scène de PVF est juste ce dont vous avez besoin. Prenez quelques minutes et suivez les étapes ci-dessus (Avez-vous vraiment besoin de Point de Vue du Figurant – Quelle est la révélation – Quels sont les caractères-clés des personnages) et vous serez prêt à vous lancer.

Aller plus loin

Maintenant voyons comment aller encore plus loin.

Faire la différence

Les personnages de Point de Vue du Figurant sont habituellement plus témoins que promoteurs de l’action. Ils contemplent avec horreur le monstre surgissant des vagues depuis l’autre bout du bateau, mais leur fonction est de s’horrifier, pas de penser à une manière de vaincre la créature. C’est là que les PJ interviendront plus tard. Mais vous pouvez créer des parties telles que les actions des personnages-figurants de PVF affectent le reste de la partie.

Le plus simple est le choix. Les Figurants-Joueurs (FJ) doivent prendre une décision. Tous les résultats mènent à la suite de la partie, mais ce choix précis compte. La différence peut être cosmétique ou fondamentale.

Quelquefois, le choix est le résultat d’une lutte entre les Figurants-Joueurs. Le capitaine intransigeant ordonne une charge frontale sur le bunker, mais le lieutenant plus humain pense que c’est une attaque suicide qui fera mourir tous ses hommes. Qui l’emporte ? Jusqu’où iront-ils ? Quoi qu’il en soit, c’est un moment crucial, mais est-ce un flashback d’une tragédie sanglante, ou un instant secret de couardise et de trahison ? Aux joueurs d’en décider, peut-être sans en réaliser les conséquences.

Naturellement, s’il n’y a qu’un seul choix qui convient au genre, cela n’est plus un choix du tout. Bien sûr l’archéologue ambitieux brisera le sceau du tombeau du pharaon en dépit de la superstition locale. Le joueur sait que c’est une mauvaise idée même si le FJ est aveuglé par son désir de notoriété, mais c’est pour cela qu’il s’agit de Point de Vue du Figurant.

En général, le choix fonctionne mieux si la décision est fermement ancrée dans la personnalité des Personnages-Figurants et ne provient pas d’une décision tactique des joueurs.

Une autre option est le candidat. Un des FJ va faire quelque chose, ou il lui sera fait quelque chose. Qui exactement sera le candidat affectera le reste de la partie. Des gamins jouant dans les bois trouvent un robot géant inanimé. Les joueurs ne le savent pas, mais le premier à prendre son courage à deux mains et à toucher le robot sera capable de le contrôler de façon permanente (“Attaque, Robot Géant !”). Le scénario qui suit sera très différent si c’est le caïd du quartier plutôt que le gentil garçon timide qui collectionne les BD.

Point de Vue du Méchant

Montrer au public ce que les méchants fabriquent derrière le dos des héros fait partie des conventions dramatiques habituelles. Cela nous prépare aux événements qui suivent et donne du contexte au conflit. Un conflit inattendu ou incompris est un conflit mal perçu.

Le Point de Vue du Méchant (PVM) est une variante du Point de Vue du Figurant, dans laquelle les joueurs endossent le rôle de leurs propres ennemis. La principale différence entre le Point de Vue du Méchant et celui du Figurant ordinaire est que les joueurs joueront des personnages de cette histoire (les méchants) et auront la possibilité d’avoir une influence sur les événements s’ils le choisissent. De la même manière qu’en PVF le but est de donner aux joueurs une information de première main et pas de leur laisser déterminer le cours des choses via des personnages dans lesquels ils ne se sont pas investis. Cela rend le Point de Vue du Méchant un peu plus délicat, et demande une plus grande coopération de la part des joueurs. Vous devez déterminer la portée de la scène de Point de Vue du Méchant plus soigneusement. Une scène de PVM idéale est une scène dans laquelle les méchants font quelque chose de prévisible ou parlent de quelque chose de prévisible. Vous pouvez tricher et faire ceci en gardant le chef des méchants sous le contrôle du MJ, en utilisant ce personnage pour faire des révélations.

Le bon côté des choses, c’est les joueurs mordront à l’hameçon pour jouer leur bête noire préférée. C’est un personnage qui existe, donc le but est de coller à la personnalité établie du personnage, pas de créer quelque chose de différent – mais cela peut être sympa en soi. Des rôlistes expérimentés se réjouiront de l’opportunité de pouvoir, cette fois, interpréter les antagonistes et proférer tous les commentaires sournois sur leur PJ, que les méchants faisaient toutes ces années.

Exemple : À l’insu des PJ, le machiavélique Dr Null est en train de réunir des super-méchants pour prendre le contrôle de la ville. On donne aux joueurs une liste de super-méchants ; ils doivent en choisir un pour l‘interpréter dans une scène de Point de Vue du Méchant. La plupart des super-méchants sont de vieux ennemis des PJ, donc les joueurs comprennent ces personnages, et ont suffisamment d’informations pour se glisser dans le rôle. La scène est une réunion de la nouvelle alliance de super-méchants, dans laquelle le Dr Null accueille ses nouveaux camarades et présente les buts du nouveau groupe. Des allusions sont faites à son vrai plan d’ensemble, mais la divulgation du complot n’est pas complète. Le Dr Null est joué par le MJ, et cela laisse le contrôle de la scène entre les mains du MJ car il joue le chef et organisateur de la réunion. Les méchants contrôlés par les joueurs peuvent exulter, objecter, questionner, se battre avec d’autres méchants etc.

Point de Vue Tournant

Pourquoi limiter les joueurs aux mêmes personnages ? Pourquoi ne pas voir les joueurs changer constamment de personnage au fur et à mesure que l’histoire progresse, peut-être même sans revenir aux anciens personnages ?

Imaginez jouer une saga s’étendant sur des décennies ou des siècles, comme l’Ancien Testament ou le Silmarillion. Chaque scène pourrait se dérouler à plusieurs centaines d’années d’intervalle, les joueurs prenant constamment en charge le rôle de nouveaux personnages puisque leurs personnages précédents seraient morts depuis longtemps.

La première scène prend place dans un âge sombre pour l’homme, et un petit groupe de voyageurs voit une lumière éblouissante tomber du ciel. La scène suivante a lieu des centaines d’années plus tard, et ces premiers personnages sont des prophètes vénérés, pères fondateurs d’une jeune religion. Les nouveaux personnages sont les héros idéalistes de l’armée croisée, et propagent la foi. La troisième scène se situe des siècles plus loin dans le futur, à l’heure où la théocratie, maintenant sclérosée, commence à s’effriter de l’intérieur. Les personnages sont-ils des rebelles cherchant le retour aux idéaux originaux des prophètes, ou des inquisiteurs pourchassant l’hérésie ? Tous les joueurs savent que les prophètes n’étaient qu'humains (les ayant joués), mais leurs personnages devraient avoir des débats fervents et houleux. Les joueurs voient le mythe de leurs propres personnages évoluer à travers l’histoire, s’emballant vers quelque chose de bien plus sombre ou bien plus noble que la source. Si vous le souhaitez, vous pouvez ficeler le tout avec une deuxième moitié “Ce qui s’est réellement passé” de la première scène, remettant les siècles de mythe qui suivirent dans une perspective plus modeste.

Ou bien si vous ne souhaitez pas vous étendre sur l’Histoire, que pensez-vous d’un scénario du genre “Des millions d’histoires dans la Cité sans Voiles” (1) constitué seulement de vignettes apparemment indépendantes, liées par quelque fil invisible aux personnages ? Les personnages au sein des différentes scènes de Point de Vue Tournant pourraient être au courant des événements des autres scènes (ou pas). Les héros prolongeant une saga vieille d’un siècle pourraient connaître les événements du passé, mais dans l’exemple des “millions d’histoires”, les personnages ne sauraient probablement rien. Peut-être qu’à l’instar de la saga religieuse ci-dessus, les nouveaux personnages n’auraient connaissance que de demi-vérités ou de mythes. Dans tous les cas, les joueurs connaissent toute l’histoire, même si les personnages ne le peuvent pas. Les joueurs sont le public, ils ont le droit d’apprécier la vue d’ensemble.

Si vous utilisez l’option “Faire la Différence”, le résultat de chaque scène détermine les prémices de la scène suivante. Dans l’exemple de saga séculaire ci-dessus, si les personnages perdent la guerre dans une scène, la scène suivante pourrait être l’avènement de la résistance une génération plus tard. S’ils gagnent, cela pourrait être le fardeau du pouvoir qui incombe à leurs héritiers.

Un inconvénient du Point de Vue Tournant est que les joueurs ne se sentiront pas proches de leurs personnages puisqu’ils en changeront constamment et qu’ils ne pourront se lier à un personnage. Un joueur peut vraiment aimer un personnage dans une scène, et être déçu quand il faut quitter ce personnage et recommencer avec un tout nouveau.

Sélection de commentaires

Higgins

Le Point de Vue tournant est une théorie intéressante. Quelque chose dans le genre a été proposé comme un style de jouer différent pour le jeu de rôle du Trône de Fer sur les forums de Green Ronin. Un joueur a un personnage principal et de multiples personnages mineurs, donc il peut en changer plus facilement si son personnage principal meurt dans le brouillard de la guerre civile.

R00kie

Une des forces du Point de Vue du Figurant qui n’a pas été mentionnée, est la façon dont elle renforce l’intrigue principale en rendant les pertes plus réelles. Trouver deux cadavres derrière un rocher n’a pas grande signification, mais si la semaine d’avant, les joueurs ont vraiment joué les amoureux qui se serraient l’un contre l’autre derrière un mur en espérant que le monstre ne les avait pas vus, alors la découverte des cadavres devient très prégnante.

Il est encore plus intéressant de faire ré-intervenir des survivants. Et si le soûlard incohérent qui prévient les PJ du désastre imminent était un des PJ joués quand le désastre s'est (déjà) produit deux ans auparavant ? Et cela devient vraiment intéressant de faire revenir un ex-PJ que les joueurs savent mort, parce qu’ils ont joué sa mort.

Je suis un grand fan du Point de Vue du Figurant, mais je dois dire que j’ai toujours détesté le concept de Point de Vue Tournant depuis que j’ai lu la série Fondation (wiki) d’Isaac Assimov. On pourrait dire que la série du Cycle du Fulgur (wiki) avait un parfum de Point de Vue Tournant au début, mais au moins au troisième tome, elle se fixe sur un personnage. J’aime vraiment avoir des personnages principaux dans mes campagnes, mêmes si mes joueurs en arrivent à jouer à l’occasion d’autres personnages ou éléments du décor.

Je suis en ce moment tenté de faire une expérience : mener une partie centrée sur les personnages secondaires et subalternes de ma campagne – en particulier les contacts, chercheurs et chefs des PJ. Les PJ sont des agents sur le terrain, mais je crois que je peux faire advenir quelque chose d’intéressant au QG.

Je sais déjà que les joueurs seront intéressés, car ils ont manifesté de l’intérêt pour ces PNJ, et tout événement les impliquant affecte directement les PJ. Un autre avantage est que je n’ai pas besoin de faire arriver de nouveaux personnages : les PJ ont régulièrement interagi avec eux. Le défaut est que ces personnages ne sont pas jetables, et toute mort aurait un impact considérable sur la campagne (et en un sens c’est aussi bien). Une grande révélation arrive dans la campagne, et pour une fois je pourrais faire que les PJ principaux ne soient pas les premiers informés.

Gumby

Je suis d’accord avec toi, R00kie ; je n’ai jamais aimé les livres qui ressemblent au Point de Vue Tournant à moins qu’il n’y ait déjà une histoire ou un lien entre les personnages d’autres sources. On dirait que, pour les joueurs, le risque serait trop grand de se sentir comme un paquet de personnages à usage unique et jetables. D’un autre côté, le Point de Vue du Méchant à l’air super, surtout s'il met en scène des Méchants que les PJ connaissent déjà. Dans votre article sur la peur des joueurs, vous démontrez qu’ils ont davantage peur s’ils savent où ils vont et voient venir les problèmes. Une embuscade nocturne sera bien plus excitante pour eux s'ils savent qu’elle va survenir, et qu’ils ont participé à sa préparation.

Svafa

Je ne suis pas très sûr au sujet du Point de Vue Tournant ; je crois qu’à l’extrême, il est probablement dangereux pour la plupart des groupes, au moins selon mon expérience. J’ai mené une partie avec une organisation similaire, bien que moins poussée, aux “millions d’histoires”. Notre groupe était incohérent, aussi ai-je créé quelque chose comme West Marches (ars ludi) [une campagne destructurée de Ben Robbins (NdT)], bien qu’un peu plus dirigée : je présentai des options et laissai choisir les joueurs. Toutefois, je fournissais aussi tous les personnages (une douzaine au départ) ; les joueurs les sélectionnaient librement en s’asseyant à la table. À chaque session.

L’idée générale était qu’il y aurait toujours un PJ prétiré disponible si quelqu’un se pointait. Vous n’étiez pas non plus enchaîné à un personnage ou un rôle. Si vous décidiez que vous n’aimiez pas jouer un ranger, alors vous pouviez vous essayer à un barbare, Si vous pensiez que la mission du jour demandait les capacités d’un clerc, mais pas un moine, alors vous pouviez échanger votre personnage.

Mais les personnages et leurs personnalités étaient constants. La première fois que quelqu’un jouait un nouveau personnage était toujours intéressante, parce qu’il lui définissait sa personnalité. Et lorsque quelqu’un d’autre récupérait ce même personnage, on s’attendait à ce qu’il joue avec cette personnalité-là et improvise à partir de là. Les feuilles de personnages devinrent couvertes de petites notes amusantes comme “dandy”. “poivrot”, “vantard”, “dangereusement optimiste”, “secoué de quintes de toux”, etc.

La campagne était ainsi conçue pour être commune. Les joueurs se réunissaient, je leur donnais leur mission (ou ils en inventaient) et ils décidaient ensuite de leur personnage. Parfois ils changeaient de personnage au cours de la mission (le roublard fait la reconnaissance, mais ils passent au Guerrier au moment de passer à l’action). Cela donnait au groupe davantage l’impression d’une guilde, ce qui était je crois assez approprié au scénario puisque, eh bien, ils jouaient les différents membres d’une guilde. Cela donna le cachet de “millions d’histoires”, mais les personnages continuèrent d’intéresser les joueurs, car ils revinrent chaque semaine. En tous cas, c’est un exemple de ce que je considérerais comme une vision un peu poussée du Point de Vue Tournant. Et peut-être qu’elle est plus pratique pour la plupart des groupes, qu’ils préfèrent la baston ou l’immersion dans le personnage.

Article original : NormalVision (part I)

(1) NdT : Naked Cityfilm de Jules Dassin, et série TV du type Law and Order (wiki), où l’on suit plusieurs groupes de personnages (témoins,policiers, avocats…) dans, et hors de, l’enquête. Les “millions d’histoires” font référence aux millions d’habitants de New York, dont l’histoire de celui qui se fait assassiner dans l’épisode. [Retour]

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