Le pouvoir du mythe dans les jeux de rôles

présente

Comment faire pour que vos parties débordent de “sens”

Cet article est inspiré de deux sources majeures : HeroQuest et The World of the Dark Crystal (1). Je vous recommande fortement ces deux livres. Ceci dit, cet article provient de mon observation personnelle que :

  • les mythes dans les parties de HeroQuest peuvent devenir un élément du décor, une histoire…
  • …alors que le monde de Glorantha (2) consiste à : vivre un mythe, vivre dans un mythe, et la création d’un mythe en cours du jeu.

En pensant au “mythe vivant” de Glorantha, j’ai commencé à penser à la nécessité de laisser assez “d’espace” dans les mythes pour permettre aux joueurs de créer leurs propres légendes. En plus de cela, j’ai également pensé à la nécessité de faire apparaître des thèmes.

Mettre du mythe dans vos parties

Nous savons tous à un certain niveau ce qu’est un mythe, mais ce n’est pas aussi facilement transposé aux jeux de rôles. Nous avons peut-être tous les éléments du mythe, tels que la magie, les monstres et les contrées étranges, mais, quelque part, l’essence du mythe est perdue. Dans le même temps, nous voyons des films – Star Wars, Gladiator ou Matrix – produire de nouveaux mythes sous nos yeux et cela parfois sans avoir la plupart de ces éléments. Assurément, ce n’est pas l’élément fantastique qui définit le mythe. C’est plutôt la manière de le présenter.

Voici comment apporter cela à vos parties.

Le Thème

Tous les mythes sont fondés autour de thèmes. Nous pouvons reconnaître des personnages mémorables et des histoires extraordinaires dans les récits de mythes, mais ce sont les thèmes que nous lions à un niveau plus profond, des thèmes qui donnent au mythe un sens plus fort. Les thèmes abstraits sont courants dans la mythologie. Nombre de mythes sont brodés avec des récits de lumière, de ténèbres, de Bien, de Mal, de vie, de mort, de renaissance, de logique, de passion, de rédemption, de corruption, d’innocence et plus encore. Si vous voulez créer du mythe, vous devez créer du thème.

Introduire le thème

Le thème dans les jeux de rôles détermine “de quoi parle le jeu”. Je vous recommande de vous asseoir en groupe et de vous mettre d’accord sur deux ou trois thèmes fondamentaux dans vos parties. À ce stade, vous êtes simplement en train de décider quels thèmes sont actifs et si un groupe ou un personnage donné agissent comme représentants de ces thèmes. Vous n’êtes pas en train d’émettre de jugement sur les thèmes. C’est mieux si les personnages-joueurs restent “indécis” et ne soutiennent pas déjà un des thèmes à coup sûr. Considérez ce stade simplement comme l’annonce du cœur du conflit, pour qu’en tant que groupe vous vous accordiez sur le thème à explorer dans la partie.

Exemple

Les membres d’un groupe décident qu’ils veulent avoir les thèmes de la Vie, de la Mort et de la Renaissance. Aucun ne prend de décisions telles que “Toutes les trois sont nécessaires à l’existence” ou “La Mort viendra à nous tous” ou autres dans ce goût.

Toutes les idées de ce genre viennent plus tard, durant la partie elle-même. Cependant, le groupe décide qu’un mouvement politique en particulier représente la Mort et qu’un groupe d’indigènes représente la Vie, le conflit entre les deux groupes étant le reflet du conflit thématique.

Utilisation des thèmes

Il est évident qu’en cours de partie, la plupart des jeux de rôles n’ont pas de règles explicites pour encourager les gens à utiliser les thèmes. Soit les joueurs le font, soit ils ne le font pas. C’est le moyen le plus simple, mais aussi le plus difficile, de faire surgir les thèmes dans les parties.

Votre groupe peut envisager des règles maison pour encourager les thèmes. Le moyen le plus simple pour cela est de faire en sorte que le maître de jeu récompense les joueurs à chaque fois qu’ils avancent le thème. Ou le maître de jeu peut offrir des bonus (points d’expérience, points d’héroïsme, karma, etc.) pour chaque jet impliquant le thème choisi par le groupe. Certains jeux, tels que The Riddle of Steel ou The Questing Beast (3) ont ces règles intégrées à leur système en tant que composantes du jeu.

Exemple

Un personnage-joueur utilise la magie et ramène un ennemi du seuil de la mort. Le personnage dit : “Tu es mort. Le lien qui te reliait à ton maître est rompu, car tu as donné ta vie. Cette vie que tu as dorénavant est la tienne, libre de toute obligation. Trouve qui tu es. Vis ta vie.”

Le maître de jeu considère cela comme étant une utilisation exceptionnelle du thème, sans parler de l’important retournement des événements dans la partie. De façon appropriée, il récompense le joueur avec une quantité importante de points [d’expérience].

Thèmes personnels

Les personnages devraient être construits autour de thèmes personnels. En tant que groupe, vous devriez tous vous réunir et créer vos personnages ensemble, parlant librement et échangeant des idées. Au lieu de vous lancer dans le jet de dés et de jongler avec les points [de création], vous devriez commencer avec un thème personnel. Ce thème peut être une variation sur l’un des thèmes principaux ou il peut être un thème neutre à interpréter à la lumière des thèmes principaux.

Là encore, le maître de jeu peut choisir de récompenser systématiquement l’utilisation d’un thème personnel. De nombreux JdR font du thème personnel un point central de leur système, dont Sorcerer, Dust Devils et Everway (4).

Exemple

Un joueur choisit de créer son personnage autour du thème de la Rédemption. Alors qu’il reste proche du concept de Renaissance, il indique également une forme de culpabilité, de péché ou de corruption, une forme de Mort.

Son personnage est un prêtre qui a perdu la foi. Un autre joueur décide de contraster le concept avec celui du Fanatisme ; [il crée] un zélateur inébranlable dans ses croyances, alors qu’il ne fait que paver la route vers l’enfer de ses bonnes intentions. Peut-être le fanatique sera-t-il à même de montrer au prêtre le chemin de la Rédemption, ou peut-être le conduira-t-il droit vers la damnation. Peut-être que le prêtre sera capable d’apporter la Rédemption au fanatique. À elle seule la situation créée par ces deux personnages-joueurs rend la partie très intéressante.

Passé et Futur, les chaînes du destin

Dans la mythologie, tout a un passé et tout ce qui est important a un avenir. Le passé dans le mythe est le miroir du futur, soit en présageant ce qui pourrait arriver soit en mettant en garde contre cela. Dans vos parties, faites en sorte que tous les personnages-joueurs soient liés à une notion d’histoire. Même si tous les personnages ne sont peut-être pas conscients de leur histoire, elle doit toujours exister. Les joueurs devraient en avoir conscience, mais pas forcément leurs personnages.

Le passé pointe vers le futur. Ce peut être une prophétie littérale qui doit être accomplie ou empêchée de se réaliser. Cela peut être comme la légende d’Atlantide se détruisant elle-même avec un pouvoir interdit, utilisée comme présage pour empêcher la récurrence [de cet événement]. Cela peut être une légende pleine d’espoir d’un messie qui revient tous les dix mille ans.

Exemple

“Cette épée a tué le plus grand roi que le monde ait jamais connu et le plus grand tyran que la monde ait jamais vu et désormais elle repose entre tes mains. Cette épée coupe les fils du destin. Comment l’utiliseras-tu ?”

En examinant cet exemple, il est plutôt évident que le personnage rencontrera probablement des individus plus puissants et sera en mesure de modifier l’histoire soit en leur laissant la vie, soit en la leur enlevant. Le passé annonce le futur…

Certains JdR offrent aux joueurs la possibilité de “mettre en place” le type d’événements qui peuvent survenir en jouant. Sorcerer, The Riddle of Steel et Dust Devils permettent tous cela en autorisant les joueurs à définir des points névralgiques pour les conflits de leurs personnages. Les règles peuvent facilement étayer l’idée d’une destinée ou d’un avenir conspirant à mener le personnage à un moment de vérité.

Le chaînon manquant – Le présent

C’est là que les choses deviennent complexes. Tout ce qui précède est de la préparation pour une vraie partie. Pour que le mythe soit mis en avant dans votre façon de jouer, vous devez être capable d’utiliser les thèmes mentionnés ci-dessus, mais également de laisser un “espace” dans lequel le groupe pourra vraiment jouer. Vous pourriez dire que la mythologie que vous avez développée ne peut être un produit fini ; elle doit libérer de la “place” pour que vos héros y gravent leurs légendes, du triomphe à la tragédie.

Les protagonistes sont importants

Dans un mythe, les décisions des protagonistes ont un impact important. Le succès et l’échec ont chacun des conséquences. Il n’y a pas d’action insignifiante. De la même manière, le MJ doit lâcher les personnages-joueurs dans des situations significatives. Les personnages-joueurs doivent faire des choix difficiles et les situations doivent mettre quelque chose de décisif en jeu. Les conséquences de ces choix pourront survenir de manière inhabituelle ou inattendue, ou encore peut-être qu’elles auront des effets plus importants que ceux escomptés.

Exemple

Dans un exemple ci-dessus, le joueur choisit de ressusciter un vil personnage. Bien plus tard, celui-ci revient sauver le personnage d’une situation périlleuse. “Tu as sauvé ma vie, j’ai sauvé la tienne. Nous sommes quittes. À notre prochaine rencontre, je serai à nouveau ton ennemi !” L’action passée du personnage-joueur revient à un moment crucial.

Une croisée des chemins

Dans tous les mythes, il y a une croisée des chemins. Alors que de nombreuses décisions pertinentes sont prises au long du périple, à l’approche du point culminant de l’histoire, une “ultime” décision doit être prise. C’est un choix final impliquant les forces abstraites qui œuvrent. Soit l’une d’entre elles prend le dessus, soit une forme de réconciliation apparaît. Pour que les joueurs soient capables de créer leur mythe, ils doivent être capable de choisir librement comment il surviendra.

La croisée des chemins est un moment piège parce que ce que vous voyez comme une “décision majeure” n’est peut-être pas, en réalité, le vrai nœud du conflit pour votre personnage. Le joueur peut faire campagne en faveur d’une décision qu’il considère comme être le véritable centre d’intérêt de son personnage. C’est pourquoi les règles de certains jeux de rôles offrent du renfort pour permettre à la fois aux joueurs et aux maîtres de jeu de vraiment s’accorder sur la “cote” qu’ont les décisions sur “l’échelle dramatique”.

Exemple

Dans l’exemple cité plus haut, le joueur a créé un prêtre qui a perdu sa foi et dont le thème est la rédemption.

À ce moment, le prêtre est au sol, vaincu et meurtri, à la merci de son ennemi. Le félon lui demande de lui révéler où les indigènes ont caché leur artefact sacré. Le prêtre lève les yeux et dit “Je ne sais peut-être pas si Dieu me voit encore, mais au fond de mon cœur je sais ce qui est bon et mauvais. Et cela me suffit. Tu ne sauras rien !”. Il se relève brusquement et saisit une dague dans la ceinture de son adversaire puis se poignarde avant que l’autre n’ait pu faire quoi que ce soit.

Ici, nous avons la Mort, mais accompagnée de la Rédemption. Tant le thème principal du groupe que le thème personnel du joueur se rejoignent en une seule décision ultime.

Conséquences

La décision ultime doit posséder un plus grand poids et une plus grande importance que simplement l’action seule. Une telle décision doit récompenser le joueur en propageant ses conséquences. Le choix du joueur doit être signifiant. Généralement avec la décision ultime, tout ce qui était en jeu jouit ou souffre donc des conséquences.

Nous voyons ce dénouement dans des films populaires. Dans le film d’animation Princesse Mononoké, la terre est sauvée. Dans Dark Crystal, le monde est guéri. Dans Tron, le Système est libéré. Dans tous ces cas, nous assistons aux conséquences fantastiques qui sont le résultat des décisions des personnages. Voilà ce que vous devriez rechercher dans vos parties.

Exemple

Bien que dans l’exemple précédent le prêtre soit mort, sa mort n’a pas été vaine. Le scélérat se démène, mais il ne trouve toujours pas l’artefact sacré. Il ne découvre la tribu indigène que lorsqu’il est trop tard pour atteindre son but ; la tribu accomplit son rituel et soigne la terre. Le cœur du sbire (qui avait été ressuscité dans un premier exemple) chavire au dernier moment. Il se sacrifie pour stopper son maléfique employeur. Le personnage-joueur qui avait sauvé l’homme de main arrive à temps pour ses dernières paroles :

“Je ne sais pas si Dieu me voit, mais ton ami avait raison. Je sais ce qui est bon et mauvais… Même en essayant de faire ce qui est bien, je choisis toujours la mort.

– Non, tu as bien choisi, répond le personnage-joueur. Tu as bien choisi.”

Les larmes coulent, on entend une triste musique, mais la Terre est sauvée. La mort devient renaissance qui devient vie.

Hourra ! Une partie profonde et un final plein de sens que tout le monde partage.

C’est le mythe en action.

(1) NdT : The World of The Dark Crystal est un livre illustré qui accompagna la sortie du film The Dark Crystal (réalisé par Jim Henson et Frank Oz en 1982), dont l’univers féerique fait se croiser d’étranges créatures telles que les urRu, les urSkek ou encore les Skeksis. [Retour]

(2) NdT : Glorantha est un univers d’heroic-fantasy complexe créé par Greg Stafford, qui sert de décor aux jeux de rôles RuneQuest, HeroWars et HeroQuest. Non seulement cet univers de jeu met en scène des conflits de civilisations incluant des guerres de religion mais, par le biais des quêtes héroïques, des adorateurs peuvent “rejouer” les mythes des dieux, les renforçant, en tirant des effets bénéfiques, ou en les modifiant, changeant ainsi le passé et le monde. [Retour]

(3) NdT : The Riddle of Steel ou “TROS”, comprend un système de “spiritual attributes” (caractéristiques spirituelles) qui permet d’améliorer considérablement l’efficacité d’un personnage lorsqu’il œuvre selon ses motivations profondes. De plus, ces caractéristiques sont étroitement liées au système de récompense (cf. http://www.indie-rpgs.com/reviews/4/).
The Questing Beast propose une approche fantastique du mythe du Roi Arthur, attachant le plus d’importance aux thèmes, aux styles et aux couleurs des légendes. Ici une version française simplifiée. [Retour]

(4) NdT : Sorcerer s’articule autour du thème du pouvoir et ce qu’on est prêt à payer pour y accéder. Le score d’Humanité, diminue au fur et à mesure que l’on invoque des démons pour gagner en puissance. Dans Dust Devils, chaque personnage doit lutter contre un diable intérieur qui reflète son passé trouble et ses crimes. Quant à la magie d’Everway, elle est très thématique et propre à chaque personnage. [Retour]

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