Les minuteurs narratifs dans les JdR : comment mieux gérer la tension ?

N’êtes-vous jamais restés en haleine lors d’une scène où la caméra se focalise sur le minuteur d’une bombe sur le point d’exploser ? Que ressentez-vous ? La respiration s’accélère et la tension augmente. Cette technique cinématographique, qui a pour objectif de tenir le spectateur en haleine en matérialisant visuellement l’escalade de la tension, trouve son équivalent dans l’univers du jeu de rôle sous la forme des minuteurs narratifs.

Une vieille montre à gousset.

NdA: Nous avons choisi de nommer cette technique “minuteur narratif”, mais elle peut porter différents noms : horloge, compteur, compte à rebours, sablier, clepsydre, chrono, décompte, jauge de progression, piste d’évolution, indicateur de tension, timer ou encore baromètre de crise… N’hésitez pas à choisir le nom qui conviendra le mieux à votre univers.

Pour donner un aperçu de ce concept en jeu de rôle, imaginons que les Personnages des Joueurs et des Joueuses (les PJ) tentent de s’infiltrer discrètement dans un manoir gardé. Vous créez alors un minuteur « Les gardes vous surprennent » qui commence avec 8 jetons. Chaque fois qu’un-e PJ rate un jet de Discrétion, un jeton est retiré. Quand un-e joueur-euse décide que son personnage enfonce une porte plutôt que de chercher une clé, cela génère davantage de bruit et alerte les gardes : un jeton de moins. 

  • Lorsqu’il ne reste plus que trois jetons, les Héros entendent des voix qui se rapprochent. 

  • À un jeton, un garde commence à faire sa ronde dans leur direction. 

  • Quand tous les jetons sont retirés, iels sont découverts et doivent fuir au plus vite.

A travers cet exemple, on peut voir que le minuteur apporte une plus-value par rapport à la simple narration. En effet, il rend tangible l’approche de la menace - à savoir la découverte des PJ par les gardes du manoir. Lorsqu’un-e joueureuse décide que son perso force la porte - faisant alors du bruit qui se symbolise par la perte d’un jeton - le minuteur permet alors de refléter les conséquences du choix (privilégier la force plutôt que la délicatesse pour ouvrir la porte) qui, autrement, n’aurait eu qu’un effet narratif. 

Cette représentation concrète du temps produit aide les joueureuses à mieux sentir le rythme de l'action et à évaluer l'impact de leurs décisions.

Un bras de fer entre JdR et Minuteur donnant la tension.

En game design, avoir des objectifs clairs et percevoir les conséquences de ses actions sont deux facteurs reconnus pour renforcer l'immersion dans un jeu.

Couramment utilisés dans les jeux de plateau, et en particulier les jeux coopératifs comme L’Île interdite de Matt Leacock, dans lesquels ils représentent souvent l’adversité ou l’ennemi à vaincre, ces minuteurs n’ont été introduits que plus récemment dans les jeux de rôle avec Apocalypse World de Vincent Baker. Ils seront ensuite perfectionnés par d’autres jeux tels que Blades in the Dark de John Harper - qui raffine et systématise leur usage - ou bien Ironsworn de Shawn Tomkin qui exploite leur flexibilité dans le jeu de rôle en solo et en coopératif.

Boite du jeu : l'ïle interdite.

Plus récemment, Cezar Capacle ne consacre pas moins d’une centaine de pages à détailler le fonctionnement et l’utilisation des minuteurs dans son jeu Everspark. Ses réflexions constituent une véritable mine de conseils et d’exemples pour ceux qui veulent aller plus loin.

Ainsi, le présent article propose une analyse du fonctionnement des minuteurs à partir de ces quatre jeux de rôles. La description des mécanismes en dégagera les principales lignes de force pour permettre d’intégrer et d’adapter ces minuteurs à n’importe quel univers.

Afin de se faire une idée, voici une description simplifiée des différentes horloges des jeux mentionnés dans cet article. N’hésitez évidemment pas à lire les jeux associés pour une description plus complète.

Couverture du jeu Apocalypse World.Apocalypse World : le minuteur est un compte à rebours inspiré par l’horloge de l’apocalypse, héritage de la guerre froide, indiquant la proximité d’une menace majeure pour l’humanité ; plus on est proche de minuit plus la menace est réelle. Dans la version d’Apocalypse World, elle contient 4 segments mais le dernier segment est divisé en 3, ce qui donne 6 segments au total.

Un cercle séparé en 3 quart et 3 douzième numéroté : 3, 6, 9, 12, indiquant les crans d'avancement d'un front dans Apocalypse world.

L’horloge avance d’un segment à chaque fois que les conditions définies par le MJ sont remplies. On marque le progrès en noircissant un segment et l’horloge se résout quand tous les segments sont remplis. Elles sont utilisées notamment pour définir les menaces globales et fonctionnent comme une sorte d’indicateur qui donne du rythme à la campagne et permet de guider l’action des joueureuses.

 


Couverture du jeu Blades in the darkDans Blades in the Dark, les minuteurs se nomment « progress clock » (horloges de progression) et sont représentés par des cercles divisés en 4, 6 ou 8 cadrans selon la difficulté et/ou la durée de l’événement qu’elles représentent.

Trois cercles coupés en 4, 6 et 8 parts.

On marque le progrès en noircissant un cadran, et l’horloge est terminée lorsque tous les cadrans ont été noircis. Elles permettent notamment de suivre la progression des efforts contre un obstacle narratif ou bien d’afficher l’approche d’un problème.

 


Couverture du jeu Ironsworn

Dans Ironsworn, les pistes de progrès sont associées à des objectifs que les joueureuses se sont données (les vœux de fer). Elles sont représentées par une suite de 10 cases que l’on va cocher à chaque fois que la fiction le justifie.

5 Choix dénoté : Troublesome, Dangerous, Formidable, Extreme, Epic et 10 cases à cocher.

En fonction de la difficulté de la tâche, le nombre de coches que l’on réalise à chaque avancement est plus ou moins élevé, ce qui permet de faire varier le temps avant la résolution de la piste. Quand les joueur-euses le décident, iels peuvent vérifier si la tâche est accomplie en comparant un jet de dés à 10 faces avec la valeur actuelle de la piste. En cas de succès, la piste est résolue et l’événement associé également. Dans le cas contraire, elle est remise à zéro, car la difficulté de la tâche s’est révélée sous-estimée.


 

Dans Everspark, les minuteurs s’appellent des Sparks et sont représentés par des étoiles à 5 branches sur une note autocollante. Elles sont utilisées dans de très nombreuses situations : obstacle, menace, ressource, compétition, amélioration des personnages…

Des post-it avec des dessins d'étoiles à 5 branches inachevées et les situations correspondantes.

Couverture du jeu Everspark.Pour représenter l’évolution, on ajoute une branche à chaque fois que le minuteur avance. À chaque progrès, on lance 1d6 : si le résultat est inférieur ou égal au nombre de branches dessinées, l’événement se déclenche. Il existe beaucoup de variations à ce fonctionnement par défaut et nous en verrons quelques-unes dans la section des variantes.

Si chacun de ces quatre JdR a développé sa propre approche des minuteurs, en optant pour des choix visuels et mécaniques différents, nous pouvons toutefois extraire des principes fondamentaux communs à tous. Nous verrons comment l’intégration des minuteurs passe d’abord par le choix d’une mécanique qui définit leur représentation ainsi que leur mode d’avancement et de résolution. Nous nous pencherons ensuite sur leur utilisation en définissant, pour chaque minuteur, sa conséquence et ses déclencheurs. Enfin, nous considérerons les variantes proposées par les règles pour rendre vos minuteurs encore plus riches et flexibles.

La mécanique des minuteurs

Pour faire fonctionner un minuteur, il faut définir au minimum trois éléments :

  • la manière de représenter la progression du minuteur

  • la manière de faire progresser le minuteur

  • et la manière dont le minuteur se résout

Ces trois éléments fonctionnent ensemble et méritent une vraie réflexion. Ici se joue l’aspect le plus créatif et le plus libre des minuteurs. Choisir la mécanique de son minuteur est l’occasion de mettre en valeur l’univers de son jeu.

Illustration du jeu Jenga.Par exemple, le jeu d’horreur Dread de Epidiah Ravachol propose une idée tout à fait originale : il invite les joueur-euses à reprendre une tour de Jenga® dont on doit enlever les pièces au fur et à mesure pour réussir des actions. Quand la tour s’effondre, un personnage doit mourir.

L’instabilité de la tour reflète ainsi l’inconfort des personnages dans la fiction et l’imminence de la catastrophe?; le format de ce minuteur sert à renforcer l’immersion des joueurs.

Le choix ne se limite donc pas aux propositions faites par nos 4 jeux, nous pouvons également envisager de nombreuses manières de représenter, faire progresser et résoudre un minuteur. En voici quelques exemples :

  • des jetons/pièces/cailloux sur la table ou sur une carte, à chaque progrès on lance un dé et on retire autant de jetons. Le minuteur se termine quand il n'y a plus de jeton.

  • un chiffre sur un post-it, que l’on barre pour écrire la nouvelle valeur à chaque progression. Atteindre zéro signifie la fin.

  • un dé posé sur la table qui affiche la valeur actuelle, et que l’on tourne au fur et à mesure de la progression, s’il est sur «?un?» alors qu’un nouveau progrès doit être marqué, le minuteur prend fin.

  • des minuteurs mécaniques du commerce ou «?faits maison?» en carton, qui s’arrêtent quand l’aiguille a fait un tour.

  • une horloge sans pile dont on déplace les aiguilles manuellement ; on peut utiliser le nombre de succès d'une action d'un-e joueur-euse pour avancer l'aiguille. Quand l'aiguille tombe sur minuit, le minuteur est résolu avec la possibilité que l'aiguille dépasse minuit et reparte pour un tour.

  • un paquet de cartes à jouer. On tire trois carte à chaque avancement ; s’il y a un «?as?», cela termine le minuteur.

  • le ou la joueuse qui fait l’action prend un mikado à chaque progrès et si d'autres mikados bougent trois fois d'affilée, c'est la fin du minuteur.

  • piocher et poser sur la table une carte à jouer. Au bout de la cinquième, le minuteur est terminé et la combinaison de poker obtenue permet d'influencer l'événement associé à celui-ci.

  • remplir un verre à ras bord et ajouter une goutte à chaque progression. Quand il déborde, c'est fini (attention à vos feuilles).

  • piocher des lettres de scrabble au hasard. Dès que les joueur-euses peuvent former un mot de plus de 3 lettres, le minuteur se termine.

  • ou tout simplement, lancer un vrai chronomètre (ou un sablier) jusqu’à ce qu’il s'arrête comme le propose Dernières Volontés de Oxymore (au 9e Défi PTGPTB 3 Fois Forgé)

Le minuteur peut ainsi devenir un mini jeu à part entière et rendre les sessions encore plus ludiques. De manière générale, n’hésitez pas à aller faire un tour du côté de vos jeux de plateau ou de vos jeux vidéo favoris afin d’en extraire tout ce qui ressemble à un minuteur utilisable pour votre jeu.

Lorsqu'on définit une mécanique, il convient d'accorder une attention particulière à la lisibilité tant de la progression du minuteur que de la conséquence qu'il représente, car celle-ci constitue l'un des objectifs premiers de cet outil. Un minuteur complexe à interpréter ou difficile à consulter nuirait à son efficacité.

À noter que les minuteurs ne doivent pas nécessairement être menés à terme?; ils peuvent devenir obsolètes si les circonstances fictionnelles ont rendu leur progression inutile. Quand par exemple, un minuteur représente un combat contre une créature mais que les joueuses ont trouvé un moyen de la contourner, ce minuteur n’a plus lieu d’être. Un minuteur n’est donc pas nécessairement résolu, mais peut aussi être simplement retiré du jeu.

L’utilisation en jeu des minuteurs

Examinons maintenant leur utilisation en jeu. Deux éléments sont nécessaires à la création de chaque minuteur?:

  • la conséquence narrative activée par la résolution du minuteur

  • les conditions qui le font progresser

Définir la conséquence narrative

Couverture du jeu DreadLa conséquence narrative est la raison d’être des minuteurs. Elle désigne l’événement dramatique (au sens de drama, l’action) qui sera déclenché lorsque le minuteur aura atteint ses conditions de résolution.

Cette conséquence est en général une phrase du type : « Le volcan entre en éruption » ou encore « Les renforts arrivent ». Dans l’idéal, la conséquence doit décrire ce qui va arriver si le minuteur est résolu mais, pour rendre le mécanisme plus simple et bref, vous pouvez également nommer le minuteur « L’éruption » ou « Les renforts ».

Les conséquences peuvent être catégorisées en trois groupes selon la réaction qu’elles suscitent chez les joueurs et les joueuses : les Menaces (à éviter), les Opportunités (à atteindre) et les Fatalités (inévitables).

Les Menaces représentent tous les événements indésirables auxquels les persos font face et qu’iels vont chercher à éviter ou, tout du moins, à ralentir. Chaque Menace repose ainsi sur une tension entre un danger et les moyens de l’éviter :

Situation

Conséquence du minuteur

Les personnages sont en présence d’un dragon endormi qui menace de se réveiller à chaque instant.

Le dragon se réveille.

La coque du vaisseau vient d’être percée par un astéroïde et la cabine est dépressurisée. Il faut colmater la fuite et rétablir la pression en gaspillant le moins possible l’oxygène des combinaisons.

Plus d’oxygène.

Le groupe possède une trousse de premiers soins mais elle ne pourra soigner qu’un nombre limité de blessures.

La trousse de premiers soins est vide.

 

Ensuite, les Opportunités désignent les conséquences que les joueurs vont essayer de favoriser. Elles peuvent inclure le franchissement d’obstacles ou d’ennemis, des actions à réaliser pour accomplir une quête, ou bien des occasions de gagner certains avantages - personnels ou pour le groupe.

Situation

Conséquence narrative

Les personnages doivent combattre un dragon afin de continuer leur quête.

Le dragon est vaincu.

Le vaisseau doit être réparé avant que l’oxygène ne manque.

Le vaisseau spatial est réparé.

Un-e PJ a décidé d’apprendre un sort pour soigner ses coéquipiers.

Il ou elle a appris le sort de soin.

 

Gardez les conséquences les plus ouvertes possibles afin de ne pas présumer de la manière de les résoudre ; définissez et formulez les Opportunités avec soin, afin d’offrir un maximum de liberté d’action. « Les câbles du système central sont débranchés » n’apporte en effet que peu de possibilités d’action comparé à «?Le serveur central est neutralisé », conséquence elle-même plus restrictive que « La sécurité du bâtiment est contournée »

Un homme de dos regardant une éruption volcanique

Comme ces Opportunités ont pour vocation de suivre des projets personnels, il est tout à fait possible que les joueuses prennent l’initiative et demandent elles-même la création de leurs minuteurs.

Pour finir, il existe des événements sur lesquels les joueuses n’auront pas d’impact direct par le biais de leurs actions : les Fatalités. Ce sont des événements inexorables qui se produiront quoi qu’il advienne. Les joueureuses doivent juste faire en sorte de s’y préparer.

 Ces événements peuvent être négatifs, neutres ou positifs?:

Situation

Conséquence narrative

Un volcan va entrer en éruption, ce n'est qu'une question de temps avant que la lave ne jaillisse et que les cendres toxiques obscurcissent le ciel, forçant l'évacuation des villages alentour.

Le volcan entre en éruption.

Au loin, de gros nuages de sable annoncent une tempête de sable corrosif.

La tempête de sable est sur nous.

La bataille bat son plein, et on attend avec fébrilité l’arrivée des alliés.

Les alliés arrivent.

 


Concernant l'étendue temporelle de la conséquence narrative, les minuteurs offrent une grande adaptabilité aux différents rythmes narratifs du jeu de rôle?:

  • à l'échelle d'une scène : une infiltration où chaque action risque de révéler la présence des PJ

  • à l'échelle d'une session : les PJ tentent de s'attirer les bonnes grâces d'une faction pour obtenir son aide

  • à l'échelle d'une campagne : la formation d'une alliance galactique que les PJ renforcent en ralliant chaque peuple à leur cause

Choisir les déclencheurs

Pour chaque minuteur, veiller à définir au moins une condition qui va déclencher son évolution. Cela peut être 

  • un événement purement narratif récurrent, comme le passage du temps dans la fiction, 

  • une action donnée des joueurs, 

  • ou encore une mécanique du système de jeu comme les réussites ou échecs aux tests de compétences. 

Il n’y a pas vraiment de limites à ce qui peut faire évoluer un minuteur. On n’est pas obligé de définir explicitement tous les déclencheurs dès le début. Il est en effet possible d’attendre que ces conditions se produisent dans la fiction.

Voici quelques exemples de déclencheurs pour les conséquences décrites dans la section précédente :

Conséquence narrative

Déclencheurs possibles

Le dragon se réveille

À chaque jet de discrétion raté ou en cas d’action particulièrement bruyante.

Plus d’oxygène

À chaque tour de jeu (tant que la fuite n’est pas colmatée) ; en cas d’action physique ou à chaque échec critique.

La trousse de premier soins est vide

À chaque utilisation, voire deux fois plus vite pour des blessures particulièrement graves.

Le dragon est vaincu

Quand une action de combat est réussie par deux PJ dans le même tour de jeu.

Le vaisseau est réparé

À chaque jet de réparation réussi.

J’ai appris le sort de soin

A chaque session avec un grand maître de la magie ou à chaque méditation suffisamment longue.

Le volcan entre en éruption

Chaque jour qui passe dans la fiction.

La tempête de sable est sur nous

Toutes les dix minutes de jeu réel.

Les renforts alliés arrivent

Après chaque événement marquant de la bataille.

 

Variantes pour enrichir les minuteurs

Les sections précédentes n’ont fait qu’effleurer les possibilités offertes par ce système simple en apparence mais extrêmement flexible. Certains des jeux étudiés proposent des améliorations. Voici une liste non exhaustive de variantes que vous pouvez adopter afin d’augmenter la tension narrative et/ou l’aspect ludique.

Durées variables

Blades in the dark et Ironsworn proposent de faire varier la durée des minuteurs à leur création. Cette durée peut refléter la complexité de l’obstacle ou le délai avant la conséquence. On peut vouloir qu’un combat contre un dragon soit plus long que contre un gobelin par exemple. Mécaniquement, il suffit de créer un minuteur avec plus d’étapes ou de diminuer la vitesse de progression.

Toutefois veillez - sauf cas particulier - à rester dans une durée relativement courte, au risque d’obtenir l’effet contraire à celui désiré, à savoir que les joueur-euses ne voient pas la fin arriver et finissent par se lasser.

Durées aléatoires

Deux jeux ont une particularité en ce qui concerne le système de résolution : la durée avant résolution des Sparks de Everspark et des pistes d’Ironsworn (pour une difficulté donnée) n’est pas prédéterminée. 

Dans le cas de Everspark, le jet de dés à chaque progression rend la résolution possible après seulement une étape ou bien au bout de cinq. Pour Ironsworn, ce sont les joueurs qui décident de tenter une résolution quand ils pensent qu’ils ont suffisamment progressé ; un jet de dés permettra alors de vérifier si la piste se termine ou non.

Cette variante ajoute une incertitude que les joueureuses doivent prendre en compte dans leur stratégie. Tout en gardant un aspect prédictible, les choix deviennent plus risqués, ce qui peut rendre les réussites ou les échecs plus héroïques.

Conséquences intermédiaires

Pour le moment, nous n’avons défini qu’une seule conséquence par minuteur lorsque celui-ci se résout, mais comme le propose Everspark, il peut y avoir des seuils dans la progression, qui déclencheront des conséquences intermédiaires.

Des dominos de plus en plus gros, le premier indique "fumées", puis "gaz toxiques" et enfin "Explosion du laboratoire".

Par exemple, si un laboratoire est sur le point d’exploser, on peut imaginer que la progression soit marquée par des étapes : 

  1. des fumées se répandent dans le bâtiment forçant les personnages à progresser plus lentement, puis 

  2. des gaz toxiques envahissent certaines salles rendant le cheminement encore plus complexe et dangereux.

On peut pousser cette variante plus loin et imaginer un nouvel effet à chaque progression augmentant les enjeux au fur et à mesure de la progression du minuteur.

Renversement de situation

C’est une variante particulièrement intéressante, car elle définit une condition supplémentaire dans la mécanique des minuteurs - de préférence rare - qui modifie voire inverse le résultat initialement attendu lorsque l'événement survient.

Dans Everspark, cela se produit si l’on trace la cinquième et dernière branche de l’étoile qui forme la Spark et que lorsqu’on lance le dé pour vérifier la résolution de celle-ci, on fait un six sur le dé. Si ce cas se produit et que la conséquence initiale est par exemple « Le dragon se réveille », on pourrait imaginer que les personnages se rendent finalement compte que le dragon était mort, ou bien que ce ne sont pas un, mais deux dragons qui se réveillent, ou encore que le dragon se réveille mais qu’il a une attitude amicale. 

Bref, le renversement de situation introduit alors un principe de surprise et une conséquence inattendue.

Minuteurs à rebours

Everspark propose également de définir des conditions pour lesquelles le minuteur recule au lieu de progresser, ou même revient à sa valeur initiale. Cela peut récompenser une action particulièrement audacieuse d'un PJ, ou constituer une condition pré-établie lors de la création du minuteur - par exemple lorsque celui-ci se termine ou qu'un autre minuteur est résolu.

Par exemple, un minuteur représente l’évolution d’un incendie qui ravage une bibliothèque ; on peut imaginer que si les persos appellent les pompiers, cela permet de reculer le minuteur d’un certain nombre de crans pour représenter le délai supplémentaire dû aux pompiers.

Combiner plusieurs minuteurs

La présence d’un minuteur apporte déjà beaucoup aux parties mais cela devient encore plus intéressant lorsque l’on combine plusieurs minuteurs ensemble.

D'innompbrables réveils sur des étagères.

Compétition de minuteurs

Il est courant d’avoir deux forces qui s’opposent : un poursuivant et un poursuivi, deux groupes qui essaient de s’attirer les faveurs d’un prince, … Il est alors possible de suivre l’avancement des opposants à l’aide de deux minuteurs - un pour chaque camp. Le premier qui se résout indique le résultat de la compétition.

Si les personnages tentent de semer les gardes de la ville qui les poursuivent, un minuteur représente la progression des PJ, et l’autre des gardes. Si le premier minuteur se termine avant le second, les personnages sont saufs. Dans le cas contraire, ils n’ont plus qu’à faire face à leurs poursuivants.

Influence entre minuteurs

On peut imaginer que la résolution d’un minuteur influence la progression d’un autre, par exemple une remise à zéro ou encore l’excès de progression d’un minuteur peut «?déborder?» sur un autre. Un minuteur peut également avoir des conséquences intermédiaires qui vont changer le rythme ou générer d’autres minuteurs.

Imaginons trois minuteurs pour représenter le siège d’un village par des pillards :

  • A : « Les défenses cèdent » si les pillards envahissent le village.

  • B : « Les renforts arrivent » ; les guerriers du village voisin ont été appelés au secours et sont attendus.

  • C : « Les villageois sont évacués » quand tous les civils sont sortis par un tunnel secret.

Interactions possibles :

  • Si C se termine, on peut imaginer que les défenseurs peuvent se concentrer sur le combat et que cela va reculer le minuteur A.

  • Si B se résout, les pillards se dispersent et les minuteurs A et C s’arrêtent.

  • Si A s’approche de la fin, C progresse plus vite car la panique gagne les civils.

Épreuves en série ou en parallèle

Lorsque l’on affronte un obstacle majeur, il est possible d’allonger la durée d’un minuteur - comme vu dans la variante des «?Durées variables?» - pour rendre la résolution plus longue et donc plus mémorable. Mais il existe une autre possibilité qui donne plus de relief au défi et qui consiste en la création de plusieurs minuteurs qu’il faut résoudre en série ou bien en parallèle. Les minuteurs en parallèle pourront évoluer indépendamment les uns des autres alors que les minuteurs en série devront être résolus dans un ordre bien précis.

Dans cette variante, chaque minuteur représente un aspect différent du problème. Cela permet de rendre ces obstacles plus intéressants à résoudre car ils se décomposent en plusieurs sous-obstacles qui auront leurs propres mécanismes, donnant ainsi à chaque personnage la possibilité de briller.

Cette variante rappelle les jeux vidéo où les « boss » sont composés de plusieurs parties qu’il faut détruire avant de pouvoir attaquer la partie centrale, ou encore quand ils changent de comportement après un certain nombre de dégâts.

Un centaure scorpion géant, arg !

Imaginons par exemple un combat contre un scorpion géant pour lequel nous créerons les minuteurs suivants :

  • «?Pince gauche brisée?»

  • «?Pince droite brisée?»

  • «?Scorpion achevé?»

  • «?Queue coupée?»

Le scorpion ne pourra être attaqué qu’à condition que les deux pinces soient brisées, mais tant que la queue ne sera pas coupée, le scorpion pourra continuer à attaquer les PJ avec son dard empoisonné. Les joueurs et les joueuses devront donc faire des choix de cibles entre les différentes parties du scorpion, ce qui permet d’envisager plusieurs stratégies (I).

Scénario à base de minuteurs

Pour finir, on peut développer encore davantage la piste précédente et combiner des minuteurs de différents types en série et en parallèle, ce qui permet de construire des scénarios complexes avec de multiples possibilités. On prépare ce type de scénario à l’avance, mais on peut aussi l’improviser avec un peu d’habitude.

Pour illustrer ce concept, prenons l'évacuation d'urgence d'une station spatiale qui vient de subir une grosse attaque.

Une station spatiale

  • Le réacteur nucléaire a été touché et va exploser dans les 2 heures, ce qui force les occupants à fuir au plus vite. Il est possible d'imaginer ces minuteurs en parallèle?:

  • « Le réacteur explose » : le circuit de refroidissement du réacteur étant sévèrement touché, il ne le refroidit plus et celui-ci est en train de rentrer en surchauffe.

  • « Les navettes de sauvetage peuvent décoller?» : le pont de décollage a été endommagé lors de l'attaque ; il faut réparer la porte et dégager les navettes endommagées avant de pouvoir utiliser celles qui fonctionnent encore.

  • « Tous les survivants sont aux sas d’embarquement» : les habitants de la station sont dispersés dans toute la station et certains accès sont bloqués.

  • « Les drones sont reprogrammés » : on cherche à reprogrammer le système qui contrôle les drones de maintenance, afin de les utiliser pour refroidir le réacteur avec l'eau de la station.

  • « Il n’y a plus d’énergie dans la réserve de secours » : le réacteur principal étant en mode sécurité afin de ralentir la surchauffe, la station est uniquement alimentée par la réserve de secours, qui est limitée. On peut utiliser cette énergie pour les réparations, mais elle alimente aussi quelques systèmes comme l'ouverture des sas ou encore les drones.

Une fois les navettes réparées, il devient possible de résoudre les minuteurs suivants :

  • « Séparation avec la station spatiale et éloignement  »

  • « Retour sur la planète »

Les réparations du pont de décollage peuvent se faire en utilisant des outils plus puissants, augmentant les chances de succès, mais ceux-ci vont puiser plus fortement dans les réserves de secours au risque de les épuiser plus vite. 

Si la réserve de secours est épuisée, il n'est plus possible d'ouvrir les sas autrement que manuellement, ce qui aura pour effet de ralentir le sauvetage des survivants et de ne pas pouvoir bénéficier de l'assistance apportée par les drones reprogrammés.

Reprogrammer le système de maintenance permet de reculer le minuteur du réacteur car le refroidissement apporté par les drones retarde l'échéance fatale, mais peut ralentir la recherche des survivants car ils aident à dégager les couloirs bloqués.

Au final, plus il y aura de survivants sauvés, plus il leur sera facile de survivre sur la planète qu’ils vont rejoindre ce qui fera probablement l’objet de nouveaux minuteurs.

Voilà de quoi assurer quelques heures de jeu !

Minuteurs à résolution cachée

Dans certains cas, il peut être intéressant de ne pas révéler la conséquence du minuteur. Cela permet d’aller encore plus loin dans le suspense ; les joueurs se demandant ce qui peut se passer et faisant des suppositions. La menace est là mais elle ne se révélera qu’au dernier moment. À utiliser judicieusement car cela entre en contradiction avec l'intérêt premier des minuteurs, qui est justement de rendre visible la progression d'une menace pour tout le monde autour de la table.

Idéalement, la progression du minuteur devrait permettre aux joueureuses de finir par comprendre ce que représente le minuteur. Ou bien même si le minuteur ne donne pas explicitement la conséquence, il devrait être au moins assez clair qu’elle sera bénéfique ou néfaste.

Différentes mécaniques

Pour le moment, nous avons parlé d’une seule mécanique de minuteurs mais rien n’empêche d’avoir des mécaniques différentes en fonction de la catégorie de conséquence (Menace, Objectif, Fatalité) ou de tout autre critère. Par exemple, proposer une résolution décidée par les joueur-euses (comme dans Ironsworn) fonctionnera bien pour les Opportunités mais moins pour les Menaces. On pourrait également rendre certains minuteurs aléatoires et conserver des durées fixes pour d’autres.

Conclusion

Un sablier minuteur posé sur un rocher.Nous avons cherché dans cet article à examiner les minuteurs narratifs afin de cerner leur fonctionnement. Nous avons mis en avant les potentiels de liberté et de créativité qu’offrent les minuteurs et qui offrent souvent aux rôlistes l’occasion de mieux s’immerger dans la fiction. 

Les minuteurs répondent simultanément à une logique narrative (représenter la situation) et à une logique dramatico-ludique (faire progresser l’action), créant ainsi des correspondances tout à fait fécondes entre les systèmes de jeu de rôle et ceux des jeux de plateau.

La grande flexibilité des minuteurs rend cet outil utile dans des contextes variés. Ils peuvent venir compléter un système de règles élaboré ou permettre de gérer des situations riches dans un système plus épuré. Enfin, si les minuteurs sont traditionnellement créés et maintenus par la Meneuse ; on pourrait les mettre en place dans un mode coopératif. Ou encore dans un jeu en solitaire, le participant le créerait dans une position de MJ, et l’utiliserait en tant que joueur.


(I) NdlR : dans cet ordre d'idée, voici une méthode ptgptb pour monstres complexes et puissants, construits en poupées russes, dans une approche D&D / OSR. [Retour]

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