Tropes courants et nuisibles dans la représentation du handicap
Partie 1 : amertume et remèdes magiques
© 2017 Fay Onyx
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Cette série d’articles est une extension de ma liste de Cinq représentations courantes et nuisibles du handicap ptgptb provenant de ma Guideline for Game Masters web (en) (Directives pour Maîtres de Jeu).
Note de la traductrice
Dans cet article, vous trouverez 2 des 10 points présents dans l’article Ableist Tropes in Storytelling (en) (Clichés narratifs validistes (1)).
- le n°2 : Le handicap amer
- le n°6 : Des remèdes magiques et le handicap comme défi à relever
Les tropes wiki sont des conventions [rhétoriques] (ou des motifs répétés) utilisés dans les récits. Ils peuvent contenir des thèmes ou des éléments d’intrigue. Le triomphe d’un personnage sous-estimé (outsider) après un entraînement acharné est un exemple de trope, tout comme la beauté associée à la bonté, ou encore les méchants révélant leur plan secret au héros qu’ils viennent tout juste de capturer.
Certains tropes renforcent les messages oppressifs, et dans cette série, je parcourrai une liste de clichés narratifs nocifs utilisés dans la représentation de personnages en situation de handicap. Parce que savoir ce qu’il faut faire est tout aussi important que savoir ce qu’il ne faut pas faire, je conclurai chaque article avec des suggestions pour améliorer les choses.
Le Handicap Amer
À travers ce schéma, les personnages handicapés sont représentés comme étant profondément amers quant à leur vie et leur handicap. Le personnage Richard III [tiré de la pièce éponyme wiki (NdT)] de Shakespeare est un exemple classique de cette amertume qui consume une vie [Richard est un affreux bossu qui se décrit lui-même comme « mal façonné » et « déformé, inachevé » (NdT)]. Ce schéma d’amertume est souvent combiné à d’autres représentations stéréotypées, comme des personnages
- mauvais,
- pathétiques,
- sans défense,
- qui sont des fardeaux pour autrui
- qui contrarient leurs propres efforts (self-defeating - « auto-saboteurs »)
- ou même autodestructeurs.
Lorsqu’un personnage amer en situation de handicap est un méchant, comme c’est le cas pour Richard III, son amertume est typiquement une cause majeure de sa méchanceté. Parfois, ce type de personnage se venge de leur sort en s’en prenant au monde (qu’il soit né avec un handicap ou qu’il se retrouve handicapé plus tard dans sa vie).
Parfois, le personnage décide simplement, lors d’un coup de théâtre défiant la logique que, puisqu’il ne peut pas être un héros, il se doit d’être un méchant.
Sous cette amertume se cache le postulat que le handicap est une tragédie terrible qui détruit la vie des gens et les empêche de mener une vie fructueuse. Après tout, si ces personnages avaient des vies bien remplies, ils n’auraient aucune raison d’exprimer cette rancœur.
De plus, l’idée qu’un personnage en situation de handicap choisirait de devenir un méchant simplement parce qu’il ne peut intrinsèquement pas être un héros est toxique. Elle vient du cliché erroné qu’une personne en situation de handicap ne peut rien accomplir de significatif ni d’héroïque.
Suggestions de solutions
Faites attention lorsque vous créez un personnage handicapé qui se trouve être amer. Demandez-vous :
- Pourquoi lui avoir donné cette rancœur ?
- Est-elle vraiment nécessaire ?
- Qu’apporte-t-elle à l’histoire ?
- Soyez particulièrement prudent si son amertume est associée à d’autres traits de caractère stéréotypés, comme être méchant, pathétique, sans-défense, un fardeau ou auto-saboteur.
Si l’amertume est une part importante de votre personnage, assurez-vous qu’il y ait une raison évidente à celle-ci, que le handicap n’en soit pas l’explication simpliste. Il existe beaucoup de choses qui peuvent rendre un personnage amer. Par exemple, il peut ressentir de la rancune …
- pour des raisons politiques ;
- parce que sa famille est dysfonctionnelle ;
- ou même à cause de la manière injuste dont on le traite du fait des stéréotypes liés à son handicap (s’il vous plaît, assurez-vous de distinguer cela d’une rancœur due à son handicap même).
De plus, puisque l’amertume est une représentation si commune du handicap, je recommande fortement d’avoir d’autres personnages handicapés qui ne soient pas amers.
La meilleure façon de ne pas véhiculer le message que le handicap détruirait la vie de quelqu’un, est de s’assurer que les personnages concernés aient une vie pleine de sens. Chaque personnage en situation de handicap doit avoir une vie qui va au-delà de ce handicap. Quelles activités pratique-t-il ? A-t-il des passions, un travail ou fait-il du bénévolat ? Qui fait partie de sa vie ? Vit-il une romance, a-t-il des amis bienveillants ou une communauté qui le soutient ?
Même si, un personnage lutte et a des problèmes, il devrait y avoir des éléments significatifs dans sa vie.
Des remèdes magiques et le handicap comme défi à relever
Beaucoup de contes de fées classiques comportent des remèdes magiques contre la maladie ou le handicap. Par exemple, à la fin de Raiponce, le prince est aveuglé par des ronces et erre durant plusieurs années avant d’enfin retrouver Raiponce. Dès lors, ils s’étreignent et les larmes de la jeune fille lui redonnent la vue, ce qui leur permet de retourner dans le royaume pour vivre heureux [et d’avoir beaucoup d’enfants (NdT)].
Dans ce genre d’histoires, le handicap est traité comme un obstacle temporaire. Les remèdes magiques deviennent une récompense pour la persévérance des héros. Ce schéma n’est pas exclusif aux contes de fées. Les remèdes magiques sont répandus,
De Star Trek (dans l’épisode Ethics, le Lieutenant Wharf subit une opération chirurgicale à risque pour remplacer sa colonne vertébrale endommagée) à des histoires comme Forrest Gump, censées se passer dans le monde réel (les attelles orthopédiques que Forrest portait dans son enfance tombent miraculeusement en pièces quand il se découvre soudainement une aptitude exceptionnelle pour la course).
Quand un handicap est traité comme un obstacle temporaire à surmonter, au cours d’un périple dont le but est d’acquérir un corps valide [non en situation de handicap (NdT)], cela renvoie un message préjudiciable sur ce que signifie être handicapé.
Dans ces histoires, devenir valide est présenté comme un but de la plus haute importance, qui éclipse tout le reste de la vie du personnage en situation de handicap. Cela réduit le personnage à son handicap et lui retire la chance de faire d’autres choses significatives. Cela véhicule également le message que le handicap serait une chose terrible et qu’être en situation de handicap serait inférieur à être valide, renforçant « la pression pesant sur les personnes en situation de handicap pour normaliser, contourner et cacher notre handicap » forbes (en). Ceci est aggravé par le fait que les personnes valides disent d’une personne en situation de handicap qu’elle a « surmonté » ce dernier quand elle « trouve des moyens de masquer [son handicap] du point de vue des personnes valides ».
Il existe un mythe répandu selon lequel les personnes souffrant de handicap, de maladies chroniques et de neurodiversité (2) ont juste besoin de modifier quelque-chose pour améliorer leur condition. Cela inclut :
- changer son alimentation,
- faire plus d’exercice,
- consommer des plantes médicinales et
- changer de traitement médical.
À cause de ce mythe, les personnes en situation de handicap du monde réel sont noyées sous les conseils bien intentionnés mais ineptes lorsqu’elles abordent leurs besoins d’accessibilité ou les épreuves auxquelles elles font face. Les histoires où les personnages soignent leur handicap à force de persévérance nourrissent ce schéma nuisible. L’idée qu’un travail acharné et une attitude positive peuvent triompher du handicap conduit à ce que on reproche aux personnes réellement en situation de handicap d’être responsables de leurs problèmes.
Pour finir, les histoires de remèdes magiques ne représentent pas de manière réaliste le vécu des personnes handicapées. Pour la plupart des personnes du monde réel, le handicap est permanent, même lorsqu’il évolue. Les remèdes magiques qui retirent le handicap créent une fausse image du handicap, rendant plus difficile pour les personnes vraiment en situation de handicap de s’identifier à ces personnages. Qu’est censé ressentir une personne souffrant d’une pathologie de longue durée face à une histoire où un personnage souffrant d’un handicap guérit par magie à la fin ? Les guérisons magiques privent l’audience de l’opportunité de voir un personnage handicapé avec des perspectives d’avenir significatives.
La guérison magique rend l’histoire moins centrée sur les expériences des personnes handicapées, et plus orientée vers les peurs et les désirs des personnes valides.
Suggestions de Solutions
Évitez de faire du handicap un obstacle temporaire, qu’un personnage doit surmonter ; et n’offrez pas au personnage une guérison magique en guise de récompense. À la place, envisagez le handicap comme un composant de la vie du personnage, sur le long terme. Sa condition pourrait s’améliorer avec des changements de style de vie, des médicaments et des soins ; mais si leur état ne pourrait pas disparaître dans le monde réel, alors faites preuve de prudence si vous la faites disparaître dans la fiction.
Faites les recherches nécessaires pour amener de manière réaliste chaque changement dans la situation du personnage. Si certains états s’améliorent, d’autres se détériorent, et d’autres évoluent. S’il vous plaît, faites des efforts pour prendre en considération toutes les possibilités.
Puisque représenter le travail acharné et la persévérance comme des moyens de guérir un handicap est un schéma préjudiciable, réfléchissez bien avant de faire quoique ce soit allant dans cette direction. Une des choses à garder en tête au sujet des handicaps permanents est que la gestion d’un handicap implique nombre de concessions.
- Les médicaments peuvent avoir des effets secondaires.
- Les exercices de rééducation nécessitent du temps et de l’énergie.
Donc, même pour les personnes en situation de handicap ayant peu de symptômes persistants, maintenir cet état de santé a un coût, un coût que les personnages valides n’ont pas à payer. Montrer ces coûts oriente moins l’histoire vers un état idéalisé de « guérison », et davantage vers les choix personnels sur la manière dont les personnages peuvent obtenir la meilleure qualité de vie.
Assurez-vous que les personnages en situation de handicap aient des objectifs et des vies bien remplies, allant au-delà de leur handicap. En particulier, évitez que le but principal d’un de vos persos soit de « devenir valide » (même s’il dépasse ce but plus tard). Il existe déjà bien trop d’histoires au sujet de personnes qui deviennent handicapés et qui se lamentent sur combien c’est terrible d’être en situation de handicap. Même si le personnage finit par accepter son handicap, ce processus de tourment excessif peut véhiculer beaucoup de messages négatifs.
Se tourmenter sans cesse est seulement une des réponses possibles au fait de devenir handicapé. Il existe beaucoup d’autres manières de réagir à cette situation et elles sont rarement représentées. Montrez certaines de ces autres réactions. Demandez-vous comment votre personnage résout généralement ses problèmes en général, et faites en sorte qu’il applique cette stratégie pour aller de l’avant dans sa vie. Quel but a-t-il qui ne soit pas lié à son handicap ?
Bien sûr, plusieurs personnages auront des objectifs liés à leur handicap. Pour changer de l’objectif « devenir valide », des objectifs tels « qu’avoir une bonne qualité de vie » sont souvent plus réalistes et plus sains. Tous les objectifs n’ont pas non plus à être introspectifs. Les objectifs peuvent aussi consister à obtenir les accès aux aménagements nécessaires ou bien encore vouloir participer à la sensibilisation sur le validisme.
Il est également important d’admettre que tout le monde ne souhaite pas être « guéri ». Par exemple, il existe des personnes ayant un trouble dissociatif de la personnalité (3), comme moi, qui affirment qu’il n’y a rien de mal avec leur psyché. Les problèmes que nous expérimentons viennent entièrement de la société qui ne laisse pas de place à nos façons naturelles de nous comporter. Nous pouvons faire face à ces défis en utilisant un large panel de méthodes (incluant les soins), mais le remède que nous recherchons est pour la société.
Articles originaux : Trope of the Week #2: Bitter Disability et Trope of the Week #6: Magical Cures and Disability as an Obstacle
(1) NdT : « Le capacitisme ou validisme est une oppression pouvant prendre la forme de discrimination, de préjugé ou de traitement défavorable contre les personnes vivant un handicap » Capacitisme wiki [Retour]
(2) NdT : Personnes ayant un fonctionnement cognitif différent de ce qu’on considère comme étant la norme : « La neurodiversité est un concept désignant à la fois la variabilité neurologique de l'espèce humaine, et les mouvements sociaux visant à faire reconnaître et accepter cette différence contre le capacitisme. » Neurodiversité wiki [Retour]
(3) NdT : Il s’agit d’un trouble où plusieurs personnalités viennent prendre à tour de rôle le contrôle d’une même personne. Pour plus d’informations, voir cet article sur le Trouble dissociatif de l’identité sur le site du Manuel MSD [Retour]
Pour aller plus loin…
Deux autres articles (en anglais... pour le moment! ;) ) sur le sujet :
- Ridding Your Monsters of Ableism mythcreants
- Respectfully Depicting a Character Adapting to a Disability mythcreants
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