Comme on prépare, on maîtrise

Un matin, je préparais mon petit déjeuner en écoutant les gars du podcast Gaming and BS, plus précisément, j’écoutais l’épisode 101 où l’on se demandait – je paraphrase – “Est-ce que la ruée vers un style de maîtrise en improvisation n’est pas en train de diluer le type de maîtrise plus traditionnelle orienté vers la narration ?”

Ça m’a fait réfléchir, pas tant pour savoir s’il y a ou non dilution, mais plutôt sur comment l’on adopte l’un de ces styles et comment l’on peut changer son style. Alors j’ai retourné mes œufs dans la poêle en y réfléchissant un peu, et suis arrivé à ça…

Les trois types de MJ

Afin de rester concis, pour vous éviter de perdre votre santé mentale ou de provoquer une guerre sur Internet, je diviserai les styles de maîtrise en trois grandes catégories. Durant mes trente années et plus de JdR, j’ai maîtrisé des parties appartenant à chacune de ces catégories, donc je suis sûr qu’elles existent dans la vraie vie. Bon, donnons un nom et une définition à ces catégories :

  • Conteur (storyteller)– Le conteur était mon premier type de maîtrise. C’est le MJ qui construit une histoire qu’il souhaite faire vivre aux joueurs. Il construit généralement cela comme une intrigue relativement linéaire avec une fin attendue.
  • Narrateur (narrator)– Le narrateur est un conteur en plus détendu. Il a toujours une histoire à raconter et une fin en tête, mais il a relâché l’intrigue linéaire pour aboutir à une autre plus flexible, avec un ensemble fini de scènes pouvant être jouées dans n’importe quel ordre, toutes menant à la fin attendue.
  • Facilitateur – C’est le MJ improvisateur. Il ou elle arrive à la table avec seulement une petite idée d’où la partie commence et une direction souhaitée. Il va alors utiliser les événements et les idées du groupe pour conduire la partie à une conclusion, qui n’est le plus souvent pas connue au moment où la partie démarre.

Laissez-moi bien souligner qu’il n’y a rien de mauvais dans aucun de ces styles. Chacun d’entre eux peut être adopté d’une manière qui crée une expérience de jeu agréable pour tous les joueurs autour de la table.

Qu’en est-il du dirigisme ?

Ahh… c’est bien que vous le mentionniez. Le dirigisme est différent de l’intrigue linéaire. Je répète : le dirigisme, ce n’est pas la même chose qu’un scénario linéaire. Le dirigisme, c’est le MJ qui réagit à l’action d’un joueur pour le conduire vers une direction précise. Cette réaction est typiquement de :

  • nier,
  • faire faire machine arrière à
  • couper court à

… l’action du joueur afin que la partie progresse dans la direction que le MJ désire.

Ce comportement est généralement associé aux intrigues linéaires, car elles sont les plus susceptibles de dévier, et un MJ inexpérimenté réagira de façon brutale afin de ramener les joueurs dans les rails de l’intrigue linéaire. Mais un Facilitateur qui improvise une partie peut facilement étouffer l’action d’un joueur qui pourrait mener dans une direction qu’il ne souhaite pas. C’est moins courant car le style “impro” essaye de son mieux d’incorporer le Oui… Et dans le jeu, ce qui aide à ne pas étouffer les joueurs (1).

Bon… retournons au boulot.

Barton Fink

La préparation façonne la maîtrise

Ce titre semble évident, mais laissez-moi le détailler un peu. Notre préparation façonne la manière dont nous allons maîtriser une partie. Et comme dans le cas de la poule et de l’œuf, notre style de maîtrise détermine comment nous allons préparer nos parties. Il y a une raison à cela, que je mentionne dans Never Unprepared en. À savoir, notre préparation est ce dont nous (MJ) avons besoin pour nous sentir assez à l’aise pour mener la partie. Ce peut être court ou long, ce peut être propre ou désordonné, mais tant que nous nous sentons assez sûrs de nous pour mener une partie après l’avoir préparée, ça a fait le boulot. Donc, à quoi ressemble la préparation de nos trois styles :

  • Conteur – Cette préparation aura une structure linéaire, – souvent basée sur un plan –, qui contiendra les scènes attendues, l’une menant à la suivante jusqu’à atteindre la conclusion. Les notes seront, elles aussi, linéaires : un document texte ou tout autre document Word fonctionnera très bien.
  • Narrateur – Cette préparation sera un survol de ce qui arrivera dans la séance. Il y aura un début et une fin déterminées, et puis une série de scènes possibles qui mènent toutes à la conclusion. Cette préparation convient à quelque chose du genre OneNote, où votre prise de notes peut être moins linéaire.
  • Facilitateur – Alors, cette préparation peut aller du Post-it® à la page complète. Le plus souvent, elle contient quelques idées générales et ignore les détails, qui seront improvisés par le MJ ou fournis par le groupe durant la partie.

Remarquez donc comment les styles de préparation et de jeu se répondent (mais Phil, tu viens d’écrire que… oui… je les ai tous pratiqués, j’en veux pour preuve mes campagnes passées). L’important est que, lorsque vous préparez votre partie pour un style précis, vous créiez votre zone de confort autour d’une maîtrise pour ce style. Quand vous déviez de votre préparation, vous quittez votre zone de confort, ce qui vous demande de vous reposer davantage sur votre capacité à improviser (ce que vous pouvez faire à la table) que sur votre préparation (ce que vous avez fait avant d’arriver à la table).

Les gens qui ont d’excellentes capacités d’improvisation peuvent prendre la préparation la plus linéaire, ou des aventures publiées, et les mener d’une manière improvisée. Si vos compétences d’improvisation sont faibles, c’est alors une mission intimidante que de vous demander de maîtriser une partie complète avec seulement une fiche de notes.

Changer de style

Bon, quel est l’intérêt, et à quoi est-ce que je pensais en préparant mon petit déjeuner ? L’intérêt, c’est que si vous voulez changer votre style de maîtrise, vous devez changer de style de préparation.

Il y a de nombreuses raisons pour vouloir changer votre style. Vous pouvez vouloir aller vers un style Facilitateur car vous n’avez pas de temps pour la préparation. Vous pouvez vouloir devenir un Conteur car vous avez une formidable histoire à raconter. Vous pouvez vouloir être un Narrateur parce que le scénario d’enquête que vous menez fonctionne mieux avec ce style. Encore une fois, tous les styles sont bons, et comme les outils, ils fonctionnent mieux lorsqu’ils sont utilisés à bon escient.

Du coup, si vous voulez changer de style, comment pouvez-vous changer votre préparation ? Eh bien, vous allez prendre l’une de ces deux directions :

Du plus vers le moins

C’est le type de changement le plus courant, aller du Conteur vers le Facilitateur. Le plus souvent, ceci est dû au fait que lors de notre entrée dans le jeu de rôle, nous avons appris la technique du Conteur avec des aventures du commerce. Dans ce cas, il faut adopter quelques trucs pour changer notre préparation :

  • Enlevez les petites choses pour lesquelles vous êtes doué•e à la volée (descriptions de salles, dialogues, etc.) (Jetez un coup d’œil sur les vieux articles que j’ai écrits sur le sujet de la préparation allégée !)
  • Coupez l’intrigue linéaire en morceaux qui peuvent être réorganisés (Jetez un coup d’œil à l’article de John Arcadian sur la théorie des Îles dans Unframed en. [Ou à une présentation du modèle insulaire ptgptb du même auteur ])
  • Préparez des aides de jeu pour faciliter l’improvisation : des listes de noms, de motivations, des caracs de PNJ déjà déterminées, etc.

Du moins vers le plus

C’est plus rare, mais pas inconcevable. Quoique certains puissent être en désaccord, j’avancerai que les jeux d’enquête fonctionnent mieux avec un style de Narrateur (2). Quand je mène quelque chose comme Gumshoe, je vais de Facilitateur à Narrateur. Quand vous voulez aller vers le Conteur, voilà quelques-unes des choses dont vous aurez besoin :

  • Faites un plan des scènes. Vous n’avez pas besoin d’une intrigue complètement linéaire, mais en faire un plan montre comment les scènes se connectent les unes aux autres, et cela vous aidera à garder le cap pendant votre maîtrise.
  • Soyez sûr•e que chaque scène peut mener à une autre, et de préférence plus d’une.
  • Écrivez pour vous un résumé de “Ce qui se passe vraiment” (Merci [au podcast rôliste] Fear the Boot). Dans ce résumé, écrivez pour vous ce qui se passe dans les coulisses pendant la séance. Cela vous aidera à ne pas vous éloigner de l’histoire tandis que vous maîtriserez.

Préparez-le, jouez-le !

Il y a de nombreuses façons de mener votre partie. Trouvez celle qui convient à votre style et au scénario que vous voulez mener. Puis apprenez à préparer votre partie pour ce style. Trouvez les choses dont vous aurez besoin pour vous sentir à l’aise durant la partie, et affûtez votre préparation. En faisant cela, vous verrez que votre style s’adaptera.

Avec quel style êtes-vous le plus à l’aise ? Quel style trouvez-vous difficile à mener ? Votre préparation convient-elle à votre style ? Avez-vous tendance à sur- ou à sous-préparer ?

Article original : How You Prep Is How You Run

Cet article est tiré du blog de Gnome Stew, le Blog des MJ, et est reproduit et traduit avec la permission. Vous pouvez trouver les livres de Gnome Stew sur le site de Engine Publishing.

(1) NdT : Au sujet du Oui… Et… et de ses dérivés, lire notamment sur PTBPTB : Oui, mais… et (ô surprise) Oui, mais… – Le scénario, Utiliser le “et” plutôt que le “mais”, Apprenez à dire non. [Retour]

(2) NdT : Zak Smith a développé des manières de mener des parties d’enquête comme un parcours libre dans des salles de donjon ptgptb, ou – avec une main plus lourde – quand le poursuivi devient poursuivant ptgptb. [Retour]

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