Donnez-moi des sensations – Le JdR émotionnel

En collaboration avec le podcast n°54 des Voix d’Altaride

Voix d'Altaride

J’ai attendu ce moment pendant des années, avec mes fines nageoires et mes cruelles dents acérées. Enfin, [le moment de] ma vengeance est proche – la femme – autrefois mon amour – qui m’a vendue à un cirque, est de nouveau à portée de mon aquarium mal entretenu. Je viens à peine de conclure le pacte, me sacrifiant pour détruire sa vie comme elle détruisit la mienne.

Tandis qu’elle agonise devant moi, elle me demande pourquoi je lui fais ça. Elle [me dit qu’]elle était venue pour me sauver, pour me ramener ; elle n’avait pas pu me protéger mais le cirque le pouvait, lui, juste pour quelque temps, jusqu’à ce qu’elle puisse me récupérer.

Et à la table de jeu, moi, une humaine normale, fixe la meneuse de jeu de cette partie (la talentueuse Kate Bullock bluestocking blog), alors que des larmes coulent sur mon visage face à la cruauté de ce monde imaginaire. Après la partie, elle m’impressionne énormément pour avoir permis une expérience aussi intense. J’ai besoin d’un câlin et je ne peux pas m’arrêter de parler de cette partie si géniale ! J’ai tellement hâte de pouvoir rejouer de cette façon.

Je me souviens d’une époque pas si lointaine où j’aurais été horrifiée par ce genre d’incident à la table de jeu. Exprimer autant de vulnérabilité fut une expérience inconfortable et terrifiante, et le travail émotionnel nécessaire pour la réprimer fut intense. Pour cette version de la joueuse que je suis, cette partie aurait été un désastre et pourtant c’est maintenant une expérience inoubliable, de la meilleure des façons. Alors qu’est-ce qui a rendu ces sensations possibles pour moi ?

  • La sécurité : en ce qui me concerne, les larmes ne veulent pas forcément dire “stop”, mais certains éléments déclencheurs (triggers) le signifient toujours.
  • Le consentement/l’adhésion : tout le monde à la table doit jouer pour vivre la même expérience.
  • La confiance : j’ai besoin de savoir que chacun va respecter nos accords.

Procédures de sécurité

Il existe de nombreux outils pour introduire de la sécurité dans le jeu de rôle, et je sais que je n’ai pas encore joué avec la totalité d’entre eux. Je joue avec une carte X ptgptb ces temps-ci, même dans des parties où je ne m’attends pas à des émotions fortes, simplement parce que ça me permet, en tant que MJ, de me sentir plus en sécurité. J’ai déjà fait des gaffes, et je l’ai déjà fait même avec une carte X sur la table, mais c’est au moins un filet de sécurité de base. Les lignes et les voiles ptgptb [limites à ne pas franchir, et voile pudique sur le sexe et la violence (NdT)] sont la ligne de défense suivante. Si vous connaissez vos sujets-déclencheurs et voulez les éviter en jeu, alors mettre en place ces limites avant la partie est essentiel. Cependant, nous jouons tous et toutes parfois dans des situations inattendues, découvrant des choses dont nous ne savions pas qu’elles allaient générer des émotions indésirables, et c’est là que nous abordons deux autres écoles de pensées impliquées dans le jeu de rôle émotionnel : Personne ne sera blessé et Je ne t’abandonnerai pas.

L’idée derrière Personne ne sera blessé est que, si vous commencez à vous approcher des zones sensibles d’un personne, elle vous le dira ; vous ferez marche arrière et enchaînerez, en tirant un voile, en faisant avance rapide, ou tout ce qui permettra de sortir de cette zone.

L’idée derrière Je ne t’abandonnerai pas est que vous vous mettez d’accord en tant que groupe de rôlistes pour appuyer sur ces zones sensibles, peut-être même intentionnellement, pour expérimenter ces émotions – mais que quoi qu’il arrive à la table, vous resterez présents et émotionnellement disponibles, les uns et les unes pour les autres.

Je me suis rendu compte que ma zone de confort réelle est presque une fusion de ces deux écoles. Il y a des sentiments et des discussions qui ne sont vraiment à leur place que chez ma thérapeute et pas à la table de jeu – et ces éléments déclencheurs constituent pour moi des limites strictes. Dans ces parties de JdR, j’ai à la fois envie de m’investir très profondément et d’y être très vulnérable ; je joue pour repousser ces limites et avoir des émotions intenses.

Il y a une différence pour moi entre ressentir une expérience émotionnelle forte et la terrible peur panique d’un vrai sujet-déclencheur. Être ouverte à l’expérience empathique d’un personnage, quelles que soient les circonstances, peut impliquer de révéler à mon fiancé que je suis un vampire (en) ou de dire à ma fille de dénoncer son petit copain à la police (en), ou réaliser que j’ai sacrifié mon immortalité pour me venger d’une femme qui m’aimait vraiment en fait. Ce sont des sentiments forts, et ce ne sont pas des sentiments qui sont agréables à ressentir à ce moment-là : la colère, la peur, l’angoisse sociale, le regret, la culpabilité et la haine ne sont pas des choses que j’apprécie de ressentir dans ma vie de tous les jours. En faire l’expérience à la table de jeu est intense, et permettent de se laisser aller

  • à ressentir ces émotions
  • puis à les laisser s’estomper, emportées par la fin de la partie.

Ces limites – ne pas vouloir ressentir des émotions que je considère habituellement comme “mauvaises” - sont des limites beaucoup plus souples, en quelque sorte. C’est en repoussant ces limites souples que je trouve une catharsis.

Oui veut dire Oui

Ok, le consentement est important à peu près pour tout, et la table de jeu n’y échappe pas. Dans une partie de JdR, le consentement et l’adhésion fonctionnent de pair pour moi :

  • Consentons-nous tous à vivre cette expérience ensemble ?
  • Ayant consenti, adhérons-nous tous au même scénario et au même type de sécurité ?

Si vous jouez en mode Personne ne sera blessé et que je joue en mode Je ne t’abandonnerai Pas, quelqu’un sera blessé. Être sur la même longueur d’onde et adhérer à la même expérience sont les clefs pour faire fonctionner ces séances pour tout le monde.

Faites-moi confiance, je suis une rôliste

Je suis maintenant assise à la table. Je sais comment nous allons gérer la sécurité pendant la partie ; je sais que nous sommes tous sur la même longueur d’onde. Il me reste encore à faire confiance aux gens autour de cette table, qu’ils et elles soient mes amies ou des personnes sur qui je tombe en convention ; je dois m’assurer qu’ils et elles respecteront les décisions du groupe concernant le jeu et la sécurité ; et qu’ils et elles respecteront les émotions que je produirai dans la partie, et moi.

Je ne veux pas vivre cette expérience à chaque fois que je joue, pas plus que je ne la désire avec tous les groupes avec qui je joue. De la même manière que de nombreuses personnes apprécient les maisons hantées, les films d’épouvante, ou les drames intenses à la télé, j’aime prendre mon “faire semblant” avec un complément de catharsis dans laquelle je peux m’épanouir quand je me sens personnellement en sécurité. C’est se rapprocher des Grecs anciens, qui allaient voir des tragédies pour se laisser aller à leurs émotions, de la même façon qu’ils se faisaient plaisir avec la nourriture et les boissons. Parfois tout ce qui compte c’est la tragédie… et parfois je reviens à vouloir juste une comédie.

Et vous, jouez-vous des parties avec une intensité émotionnelle forte ? Pourquoi ou pourquoi pas ? Qu’est-ce que vous préférez ?

Sélection de commentaires

Joseph Collins

Il y a quelques années, j’ai eu la chance de répondre à un message Meet-Up qui disait simplement : “Jouons à quelque chose !”. J’ai bien aimé, et je reconnus le désespoir léger du rôliste qui veut rassembler un groupe de gens et juste jouer à quelque chose, peu importe le jeu.

Ce qui en découla a été la campagne la plus riche sentimentalement à laquelle j’aie jamais participé, et j’ai toujours essayé de m’immerger dans la vie émotionnelle de mes personnages. Mais les éléments profondément sensibles arrivent dans les séances de Livre Bleu (1) : nous avons un site web avec tous les personnages (PJ et PNJ) et c’est là que se passent les scènes hors-champ entre un PJ et un petit nombre de PNJ.

Une des raisons pour ça, c’est qu’en cours de partie, tout le monde n’est pas à l’aise avec l’expression de ces sentiments au débotté – leurs personnages ont des vies émotionnelles riches, mais on ne fait qu’en discuter à la table de jeu – on ne les expérimente pas.

J’imagine que l’autre raison est d’éviter de “s’exposer sous les projecteurs” – je n’ai pas à m’inquiéter si je monopolise la scène et rends les autres joueurs spectateurs, quand il n’y a que le MJ et moi.

Ça marche vraiment bien, et bien que j’intégrerais volontiers cet aspect en jeu, j’apprécie le fait que ceux qui sont plus réticents aient toujours un exutoire pour explorer [de nouvelles possibilités].

Quelle en est la raison ? Nos souvenirs du monde “réel” sont de toute façon totalement faits de bricoles et de babioles, ce qui fait que nous apparaissent comme authentiques nos souvenirs d’événements qui n’ont jamais eu lieu, dans des endroits qui n’existent pas, à des gens qui ne sont pas réels. J’adore le fait que je puisse bavarder avec des amis rôlistes autour d’une bière, au sujet de ces souvenirs imaginaires partagés, avec autant de clarté que de ceux de nos “vraies” vies. Qui ne voudrait pas rendre ces faux souvenirs riches en émotions ?

Article original : Give Me the Feels – Emotional Gaming

Cet article est tiré du blog de Gnome Stew, le Blog des MJ, et est reproduit et traduit avec leur permission. Vous pouvez trouver les livres de Gnome Stew sur le site de Engine Publishing.

 (1) NdT : Le livre bleu bastion permet d’enrichir le passé d’un personnage-joueur en coécrivant une histoire courte avec le MJ. [Retour]

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