L'approche post-campagne de JdR

Arrive un moment où les aventures sont finies et le monde n’a plus besoin de héros. Peut-être ont-ils tué tous les dragons, sauvé le monde de machines démoniaques, ou chassé la dernière horde de gobelins des terres civilisées. Mais le soleil se lève sur le monde et aujourd’hui est le jour le plus tranquille depuis la nuit des temps…

Peu importe le système de jeu, peu importe l’implication émotionnelle des joueurs dans leur personnage, tout PJ (s’il ne meurt pas prématurément) devient un vétéran. Le voici usé, épuisé, rendu fou par les horreurs rencontrées. Et même s’il reste beaucoup à corriger dans le monde, on peut toujours compter sur une nouvelle génération de héros.

Les nouveaux héros seront peut-être moins expérimentés mais plus efficaces, plus enthousiastes (voire naïfs ?) que la génération précédente. Leur temps est venu ; et même s’ils tomberont parfois sur les traces de leurs prédécesseurs (ils croiseront peut-être de modestes mots gravés dans la poutre du temple incendié : “Conan est passé par là”), pour eux, ce sera de l’histoire ancienne, même si elle a eu lieu il y a seulement 10 ou 20 ans.

Attendez une minute ! Vingt ans ? Eh bien, oui. La vie des héros de JdR est un enchaînement d’aventures, de dizaines de campagnes. C’est un miracle s’ils arrivent à prendre le temps d’un repas normal (et par là, j’entends autre chose qu’un repas près du feu de camp ou à l’auberge au milieu de nulle part). Des années passées à faire le sale boulot n’aident pas vraiment à établir des relations normales, ou même une vie ordinaire.

Peu de héros pensent à leur retraite. La plupart n’ont pas de grands projets comme d’ouvrir une taverne un jour… Et leur famille ? Si elle existe, la plupart du temps elle est dysfonctionnelle. L’un de mes PJ avait une femme et un enfant, mais ne les avait pas vus depuis 15 ans ! Durant toutes ces années, il était au glorieux service secret du roi d’Aquilonia. La plupart des joueurs (qui ont souvent la vingtaine, comme leurs personnages) ne pensent même pas à vivre “une vie fade et banale”, ou à fonder une famille, avec des enfants, des couches, des animaux de compagnie, etc.

L’amour ? Bien sûr, mais plutôt passionnel. Des responsabilités ? Pourquoi ? Le monde entier compte sur eux !

Beaucoup d’entre eux voudront peut-être des enfants. Mais quand la carrière d’un héros touche à son terme, il est parfois trop tard pour débuter une vie “normale”.

Pourquoi ? Parce qu’avec la somme de leur expérience, de leurs cicatrices physiques et mentales et de leurs combats passés, vient la sensation accrue d’être en décalage avec le reste (ou peut-être la majorité) d’une société en paix. Beaucoup d’anciens héros n’arrivent pas à trouver leur place dans une existence ordinaire. Et c’est sans compter l’autre partie du problème. Ils n’arrivent pas à se réintégrer à la société, mais ils n’ont plus envie de repartir à l’aventure non plus, à cause de leur âge ou de leurs blessures. C’est dans cette situation qu’apparaît une autre “quête”. Comment gérer les vestiges de la vie qu’ils ont abandonnée quand ils sont devenus aventuriers ?

Mon PJ est rentré chez lui pour retrouver sa maison vide. On lui a dit que sa femme s’était trouvé un autre type, plus normal. Et son enfant ? Sa fille, adolescente, était partie aussi. Il paraît qu’elle avait décidé d’aller vivre au couvent. Et maintenant, l’ancien héros se demande : tout cela en valait-il vraiment la peine ? Il soupèse une vie de famille avec ses glorieux états de service. Encore une fois : tout cela en valait-il la peine ? Fut un temps où il croyait en “la cause”. Et maintenant ?

Maintenant, il se sent coupable du malheur de sa famille. Il a tué nombre d’ennemis de l’État et comprend à présent que beaucoup d’entre eux avaient aussi des familles. Il se sait responsable de leur douleur. Il ressent une peine et une frustration inimaginables. Sa vie est un chaos sans nom. Que faire, dorénavant ? Se lancer à la recherche de sa fille ? Ou essayer d’obtenir le pardon des familles de ses victimes ? Mais ses victimes se multiplient et le revoilà qui questionne la valeur de sa vie.

Des histoires similaires peuvent être multipliées à l’infini. Même après la bataille décisive pour sauver le monde viendra un autre matin où on se regarde dans le miroir en se demandant : et maintenant ? Ce n’est pas un problème imaginaire restreint à la terra incognita des JdR. Ce sont des histoires vraies. Combien de fois avons-nous entendu parler de ces grands athlètes qui, après avoir pris leur retraite (dès qu’ils atteignent la trentaine, comme les personnages de JdR), sont tombés dans l’oubli ? Fini les entraînements quotidiens. Ils ne se nourrissent plus de l’enthousiasme d’un public en liesse. Ils disparaissent de l’imaginaire collectif. C’est une vie plus tranquille. Une vie sans couleurs. Et les couleurs reviennent seulement lorsqu’un ancien héros cherche de l’aide au fond d’un verre d’alcool, pour revivre le “bon vieux temps”.

On entend parler des vétérans de retour de la guerre, de l’homme fort qui a peur de prendre son nouveau-né dans ses bras. Ce n’est pas par manque d’amour, mais parce qu’il ne peut pas s’empêcher de voir le sang sur ses mains. Lors d’une fête pour célébrer son retour, le bruit du bouchon de champagne le terrifie car il ravive des souvenirs et des sons de la guerre.

Les marins rencontrent le même genre de problèmes. De longues années à naviguer, ponctuées par de courts moments en famille et la douleur récurrente de la séparation. L’heure venue, le marin s’assoit dans son fauteuil devant l’âtre. Ses enfants sont grands et indépendants. C’est alors que le son “détesté” des vagues revient. Mais, alors, il ressemble à la plus douce des musiques. Que faire ? Où est son vrai foyer ?

Pourquoi est-ce que j’écris ça ? Parce qu’il est important d’y penser quand vous préparez vos séances de JdR. J’appelle ça l’approche post-campagne de JdR.

Je pose toutes ces questions à mes joueurs, avant et après qu’ils prennent des décisions [importantes]. Cela en vaut-il la peine maintenant ? Et plus tard ? Et avant ? Quel impact ton personnage a/aura-t-il sur le monde, sa famille, ses amis, le commun des mortels ? La plupart de mes joueurs ont des personnages-joueurs d’âge mûr. Ils ont laissé derrière eux leur existence héroïque. Bien souvent, ils n’ont plus la force de partir à l’aventure et s’ils doivent encore y repartir, leur approche est différente.

Ce sont des aventures où ils se battent non pas pour sauver le monde, mais eux-mêmes. Souvent, cela implique des liens forts avec leur passé. D’anciens ennemis pourraient-ils devenir des alliés ? Peut-être (et c’est là une pensée très désagréable) qu’ils avaient raison par le passé ? Peut-être que nous étions du mauvais côté du conflit ? D’ailleurs, dans ce genre d’aventures [post-retraite], nous jouons avec de “nouveaux” personnages, de “nouvelles” personnes. Des gens dont le système de valeurs est complètement inversé. Ce sont des personnages différents : ils ont conscience de leurs péchés, de leurs défauts, de leurs erreurs… Comment vont-ils agir, à présent ?

PS : Cette façon de jouer demande beaucoup de souplesse, d’implication et de maturité, non seulement de la part du MJ, mais aussi des joueurs. Oubliez les mondes manichéens. N’ayez pas peur de vous demander : sommes-nous encore les “gentils” ? Car peut-être ne l’avez-vous jamais été…

Pour aller plus loin avec PTGPTB… hydre

  • Vieillir imagine des personnages qui s’affaiblissent au fur et à mesure de la campagne. Des lecteurs vieux rôlistes n’ont pas aimé parce que cela leur rappelait trop leur propre déclin, mais que ce soit par maladie ou malédiction, l’idée de rendre ludique un affaiblissement progressif reste à creuser…

Article original : The Post RPG Approach

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