Monologue de personnage

Ars Ludi

présente

Racontez comment c’est d’être vous

Nos héros reviennent tout juste en ville après avoir exploré les Terres Désolées et le MJ demande à Fred ce que son personnage, Skark le pilleur, est en train de faire.

“Il jette un coup d’œil aux alentours pour voir s’il peut acheter quelques cartouches de fusil à pompe de plus, ensuite il vérifiera à la tour météo s’ils ont capté de nouveaux signaux radio. Oh, et il va se procurer un baume pour les 6 points de dégâts de brûlure qu’il a pris tout à l’heure.”

Excellent. Maintenant, on sait ce que son personnage fait. Informatif certes mais cela ne vous plonge pas dans le monde magique de l’imagination. Est-ce que ça pique votre curiosité ? Moi, pas du tout.

Le MJ essaye à nouveau et dit “C’est très bien. Raconte-nous ce que ça fait d’être dans la peau de ton personnage, là maintenant. À quoi pense-t-il, que ressent-il, ou bien qu’est-ce que ça fait de voir par ses yeux ?”. Fred réfléchit un instant puis commence à parler, tout le monde se cale dans son fauteuil et écoute.

“Skark est fatigué et couvert de poussière suite à son long séjour dans les Terres Désolées. Il boîte légèrement à cause de sa brûlure à la jambe et enrage encore contre Pog qui a planté le tout-terrain. Revenir en ville lui donne toujours le sentiment de revenir à la maison, mais Skark est trop coriace pour laisser quiconque s’en apercevoir. Alors qu’il progresse péniblement entre les baraques et qu’il voit les gens planter leurs graines et les enfants jouer, il ne sourit pas mais, au fond de lui, il sent qu’il accomplit des choses qui font une vraie différence. Même sa brûlure lui fait un peu moins mal.”

Ça c’est un bon monologue de personnage. Ouais, maintenant Skark me botte parce que je le comprends. Maintenant je veux savoir ce qui va lui arriver. Je suis intéressé.

Partager son point de vue, littéralement

Un monologue de personnage n’est pas un monologue fait par le personnage, mais un monologue à propos du personnage. Ce n’est pas une narration d’action ou une description d’événements. C’est juste une fenêtre ouverte sur le ressenti de ce personnage, en ce moment précis.

Il n’est pas nécessaire de faire de la poésie ou du grand art, seulement de proposer une expérience subjective et franche de ce personnage. Pendant un court instant, un joueur est sous les feux des projecteurs pour nous présenter les réflexions intérieures de son personnage et nous aider à mieux le comprendre.

Monologue d’Otis dans Mission Cléopâtre

Puisqu’il n’a pas la pression de réagir à une situation précise ou de répondre à un autre personnage, le joueur est libre d’éclairer la portion qu’il souhaite des pensées de son personnage. Peut-être que le joueur aurait souhaité mettre en avant certaines facettes de son perso, mais que l’occasion ne s’est jamais présentée. Maintenant, il le peut. Vous risquez d’être surpris quand un joueur va entamer un monologue décrivant combien son féroce barbare commence à sentir le poids des années et éprouve des regrets de ne jamais s’être installé et avoir fondé une famille.

C’est un outil à utiliser à toutes les sauces :

  • Vous ne comprenez pas un PJ ? Faire appel au monologue de personnage vous aidera à vous y intéresser (1).
  • Des joueurs pas dans l’ambiance, ne jouant pas le moment présent ? Faire appel au monologue les forcera à se mettre dans la peau de leur alter ego et de réfléchir tout simplement à ce que c’est qu’être ce personnage, là, tout de suite. Cela les ramène de la vue à la troisième personne à la vue à la première personne, dans le moment présent.
  • Des personnages ne prennent pas d’épaisseur ? Pas de passion autour de la table ? Faire appel à des monologues peut éveiller l’intérêt des joueurs pour les autres personnages et leur donner les informations d’initié dont ils ont besoin pour pouvoir leur donner la réplique (2). Car si vous voulez une bonne partie, il est tout aussi important que les joueurs apprécient les personnages des autres joueurs, comme si c’était le leur.

Quant à vous, les joueurs, ne soyez pas timides. Si vous voulez un monologue de personnage, dites-le, tout simplement.

Mise à jour : j’ai modifié le premier exemple pour ne plus utiliser la première personne mais la troisième, afin d’éviter toute confusion. Les deux exemples peuvent tout aisément être à la première personne. [NdT : voir les commentaires ci-dessous ; une partie des débats s’est en effet focalisée sur les apports au roleplay de l’utilisation de la première personne pour une meilleure immersion. L’auteur a donc modifié cet article pour recentrer le sujet sur le monologue de personnage.]

Sélection de commentaires

Michelle

Je pense que je vois où tu veux en venir mais je préfère la façon “Montre plus, décris moins”. Si Skark est toujours furieux après Pog, j’aimerais que cela se voie uniquement par le biais d’interactions entre eux. Et également, je préfère vraiment quand un joueur investit son personnage en disant “je” plutôt que le nom de son personnage.

Suis-je la seule à penser ça ?

Ben Robbins

L’un peut mener à l’autre. Une fois qu’un joueur a révélé ce que son personnage pensait, les autres joueurs peuvent avoir connaissance de ces éléments avec lesquels jouer.

Frost

C’est peut-être un style de jeu légèrement différent, mais je préfère que les joueurs en sachent plus sur ce qu’il se passe dans [l’univers de] jeu, tout particulièrement en ce qui concerne les autres joueurs. Même si tout le monde joue vraiment bien son rôle il y a toujours quelques incertitudes sur le comportement des autres personnages. Si Skark se montre froid envers Pog quand il rentre en ville ou lui gueule dessus ou quoi que ce soit d’autre, et à moins que le joueur de Skark n’ait explicitement dit “Je suis furieux que tu ais planté le tout-terrain”, l’autre joueur risque de ne pas le deviner. Et quand bien même cela arrive beaucoup dans la vraie vie, et c’est peut-être ce que tu recherches en jeu, personnellement je pense que la partie sera plus agréable si le joueur de Pog sait que Skark est furax mais n’en dit rien, et il peut composer avec ça. Je préfère que le joueur de Skark dise “J’évite Pog parce que je suis furieux qu’il ait planté le tout-terrain” plutôt que de voir ça émerger tout doucement (voire jamais).

Dans la vraie vie, il y a plein d’autres moyens pour communiquer ses sentiments (expression du visage, ton de la voix, etc.) donc il y aura toujours besoin d’une certaine dose de monologue quelque part.

Et pour porter au-delà des réactions individuelles le thème de “Je préfère que les joueurs en sachent plus à propos les uns des autres”, je pense que permettre aux joueurs de connaître les motivations de chacun aide beaucoup, même si leurs personnages les ignorent. J’ai participé à bien des parties où un joueur disposait d’un background et de motivations profondément détaillés, mais qu’il gardait secret (car son personnage n’en parlerait jamais) quand, tout à coup, il fait quelque chose qui ne paraît pas conforme à son personnage, et tous les autres joueurs sont surpris. Parfois ça marche et c’est bon, parfois ça ne marche pas. Si les autres joueurs savent que Skark a secrètement ce faible pour la ville et ses fermiers, ils peuvent jouer en fonction plutôt que d’être surpris.

Et une dernière chose : dans le monologue, le joueur annonce les sentiments/motivations/état d’esprit de son personnage qu’il ressent comme importants, ce qui je pense aide vraiment les autres joueurs à jouer dans son sens. Si personne d’autre ne sait que Skark a ce faible à propos de la ville, il se peut qu’il ne soit jamais révélé au grand jour et son joueur pourrait être un peu déçu que les autres ne l’aient jamais perçu.

Will Hindmarch

Excellent post. J’utilise des approches similaires, avec entre autres des questions provocantes ou incisives, et la tienne est intéressante.

Dernièrement, je me rends beaucoup plus compte des efforts que j’accomplis pour aider les joueurs à être conscients de ce que les autres joueurs tentent de faire. De mon point de vue, les joueurs sont des écrivains collaborant sur une série d’histoires, pas seulement des joueurs coopérant dans un jeu. Leur demander de piger les espoirs et projets d’un autre joueur pour son personnage (et pas seulement ceux du personnage) uniquement au travers du roleplay, c’est un petit peu comme espérer d’un groupe de scénaristes de téléfilms de communiquer exclusivement par le biais de scripts inachevés – c’est inefficace.

Personnellement, je m’efforce de maximiser l’histoire que je retire de chaque partie, même si cette histoire tend à devenir un mélange de sketches, de monologues inachevés et de dialogues pleinement développés. Un JdR se joue en séances d’improvisation, pas en représentations après des répétitions. En savoir plus sur les autres personnages est un bénéfice pour tous les joueurs, même si cela signifie qu’un joueur en sait quelquefois plus que son personnage. C’est une aide au joueur-en-tant-qu’écrivain même si ça court-circuite le joueur-en-tant-que personnage. Moi, ça me convient bien.

Jonathan “Buddha” Davis

As-tu lu le jeu de rôle Hearts & Souls par Tim Kirk ? C’est un jeu de rôle de super-héros, qui requiert spécifiquement des monologues de personnages, autant de vive voix qu’intimes, afin de relancer un mauvais jet de dé.

Je ne sais pas comment il se joue, car je n’ai jamais eu l’occasion de m’y essayer, mais il semblerait que ce soit un mécanisme amusant !

Ben Robbins

@Jonathan : Je n’y ai pas joué mais ce n’est pas vraiment surprenant que nous ayons commencé à employer à la pelle les monologues de personnages durant notre longue campagne de Mutants & Masterminds. Le genre “super-héros” réclame justement à cor et à cris ces dialogues intérieurs et/ou ces bulles de pensées. Une fois qu’on a commencé à le pratiquer, on se dit “Hé, ça marcherait sans problème quel que soit le genre !”.

Je pense vraiment qu’il y a une différence subtile mais néanmoins substantielle entre utiliser le monologue pour répondre ou discuter un incident particulier (comme, par exemple, obtenir une relance) par rapport au “Qu’est-ce que ça fait d’être vous” complètement ouvert que je recommande. Le premier est cool et informatif mais le second peut arracher au joueur des perspectives complètement inattendues, précisément parce que tu ne lui demandes pas de parler d’un sujet en particulier. Tu laisses le joueur décider de ce que son personnage est en train de penser.

Matthew Arcilla

J’adore cette idée.

Il y a de nombreux conseils sur la blogosphère pour demander plus de roleplay et plus d’investissement à des joueurs qui sont conditionnés pour jouer à la façon “méta-jeu” ou, au mieux, ont tendance à faire grossièrement disparaître la différence entre “Mon personnage est plus proche de moi que je ne le prétends” et “Mon personnage, est un autre moi fantasmé, avec une hache”.

Bon d’accord, je parle de mon propre groupe ici. Mais je pense qu’essayer d’obtenir des monologues de tes joueurs, comme l’exemple ci-dessus, les encouragerait à un roleplay un peu meilleur, simplement parce qu’ils doivent dire à haute voix les pensées de leur personnage. Cela les rend responsables de la personnalité de leurs personnages d’une façon pas si différente de “Quelqu’un a quelque chose à dire avant qu’on ne continue ?” mais dans une perspective d’interprétation du personnage.

Article original : Character Monologue: Tell Us What It’s Like To Be You

(1) NdT : Intéressez-vous ptgptb, autre entrée traduite du blog de Ben Robbins développe l’idée que le MJ doit s’intéresser à chacun des PJ, même si certains ne font rien d’excitant en soi, de sorte qu’ils soient tous également importants pour la partie en cours. [Retour]

(2) NdT : Play Constructively : Pass The Ball, article en quelque sorte complémentaire du précédent : c’est aussi aux joueurs de s’intéresser à tous les PJ et de donner matière à chaque autre joueur pour développer son personnage. [Retour]

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Pour aller plus loin… Hydre couchée

Cet article fait partie de l'ebook PTGPTB n°16 intitulé Mon perso, ce héros, que vous pouvez consulter pour de plus amples développements.

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