Les Six cultures de jeu

Un article de The Retired Adventurer

Dans cet article, je présente une classification des six principales cultures de jeu, ainsi que quelques commentaires sur leurs origines historiques. Je souhaite ainsi aider les personnes issues de cultures ludiques différentes à mieux comprendre leurs propres valeurs ; ainsi qu’à encourager des discussions interculturelles plus intenses et plus productives.

Au moins six cultures de jeu majeures ont émergé au cours de l'histoire du jeu de rôle. Il y en a peut-être plus : mon analyse se limite principalement aux cultures de jeu de rôle de langue anglaise, bien qu'au moins trois d'entre elles aient également une présence significative dans des zones qui ne sont pas anglophones. On peut également mentionner une proto-culture qui exista de 1970 à 1976 avant que les cultures ne commencent vraiment à s’organiser.

Une culture de jeu est un ensemble de normes (objectifs, valeurs, tabous, etc.), de considérations et de techniques, partagées par un groupe de personnes suffisamment grand pour que ses membres ne soient pas tous en contact direct les uns avec les autres (appelons cela une "communauté"). Ces cultures de jeu sont transmises par une variété de médias, allant des manuels et des aventures aux individus qui s'enseignent les uns les autres, en passant par les articles de magazines et les émissions de streaming en ligne. Une culture du jeu est largement similaire à un "réseau de pratiques" si vous connaissez ce jargon [un concept rattaché à l'étude des “communautés de pratiques” (NdT)].

Les participant.es du hobby, ayant été formatté.es et formé.es dans une ou plusieurs de ces cultures, développent ensuite des styles personnels. Je tiens à souligner que je pense que parler de JdR précis comme faisant intrinsèquement partie d'une certaine culture est trompeur, car les jeux peuvent être joués selon de nombreux styles différents, en accord avec les valeurs de différentes cultures. Cependant, de nombreux jeux de rôles contiennent des textes qui préconisent qu'ils soient joués d'une manière conforme à une culture particulière, ou bien ils contiennent des éléments qui expriment l’adhésion de l’auteur ou de l’autrice à un ensemble de valeurs propres à une culture particulière.

Les six cultures

1) Classique

La culture de jeu Classique est orientée autour du développement progressif et interdépendant de la puissance des PJ et des défis auxquels ils sont confrontés : les règles étant là pour aider à les maintenir en proportion approximative l'un par rapport à l'autre et à arbitrer "équitablement" les interactions des deux.

Ceci est explicite dans les conseils aux Maîtres du Donjon (MD) du Guide du Maître d'AD&D 1e édition grog, mais revient dans nombre d'autres endroits, peut-être le plus visiblement dans les modules de tournois, en particulier la série R publiée par la RPGA [qui chapeautait le “jeu organisé” de TSR puis de WotC jusqu'en 2014 (NdT)] au cours de ses trois premières années d'existence, qui met l'accent sur des « réinitialisations » périodiques entre les chapitres d’une l'aventure, afin de créer une expérience "équitable" pour les joueur.euses lorsqu'ils passent d'une table de tournoi à l'autre entre deux chapitres.

L'accent mis sur le jeu basé sur les défis implique beaucoup de labyrinthes tentaculaires et d'aventures en extérieurs. La même grille est utilisée pour décrire les villes, qui sont également traitées comme des sites présentant des défis à relever. À un moment donné, les PJ deviennent assez puissants pour gouverner des domaines, élargissant encore plus le champ des défis en permettant à leurs grandes armées de s’opposer dans des affrontements de type wargame.

Le but du jeu en mode Classique n'est pas de raconter une histoire (même si c'est bien si vous le faites), mais plutôt de faire face à des épreuves et des menaces dont l'ampleur et la puissance augmentent avec le niveau des PJ, de façon fluide. L'idée de campagnes longues avec une progression lente mais régulière de la puissance des PC, interrompue seulement par des décès occasionnels, est un idéal de jeu pour la culture Classique.

Cette idée est née entre 1976 et 1977, lorsque Gygax abandonna son idée initiale selon laquelle OD&D est un "non-jeu", et tenta de stabiliser l'expérience de jeu. Cela commence par la dénonciation de Dungeons and Beavers ["Donjons et Castors"] et d'autres déviations de son propre style dans le numéro de Strategic Review d'avril 1976.

NdT : dans cet article du magazine de TSR, Gary Gygax critique “Warlock” : une version de son jeu pratiquée à l'université de Caltech, aux règles modifiées pour permettre des personnages de très haut niveau. Il la surnomme “Dungeons and Beavers” - le castor étant la mascotte de l'établissement

Mais cela se transforma en un changement plus important dans le calendrier de publication de TSR à partir de 1977. En particulier, l’éditeur commença à donner des exemples concrets de jeu - des extraits de donjons et de scénarios, y compris des modules - et des conseils précis pour leur public, sur les procédures de jeu et les valeurs appropriées.

Ce changement commence avec la publication de la version de D&D Basic de Holmes grog (1977) et [du module de tournoi] Lost Caverns of Tsojconth (1976), avant de culminer avec Advanced D&D grog (1977-1979) et la gamme BECMI ptgptb (1983-1986) écrite par Mentzer.

Judges Guild, la RPGA, Dragon Magazine, et même d'autres éditeurs (par exemple Mayfair Games) s'y mirent et diffusèrent les normes « Classiques » avant que Gygax et Mentzer ne quittent TSR fin 1985 / début 1986. En 1985, Judges Guild perdit sa licence d’édition de suppléments pour D&D, et les tournois de la RPGA s’éloignèrent du jeu Classique vers 1983. La plupart des autres auteurs de TSR sont passés au style Tradi (voir ci-dessous) au milieu des années 1980, et le soutien institutionnel pour ce style commence à se tarir, même si des rôlistes continuent à mener et à jouer des parties Classiques.

Le mode Classique renaît au début des années 2000 lorsque les adeptes qui ont continué à jouer dans ce style utilisent Internet pour se réunir sur des forums comme Dragonsfoot, Knights and Knaves Alehouse, et d'autres ; ce renouveau est en partie ce qui motive la sortie d'OSRIC grog (2006) [retro-clone d’AD&D (NdT)].

Couverture du rétro-clone OSRIC

Une bizarrerie de l'Histoire est que les personnes qui ont essayé de faire revivre le mode Classique au début des années 2000 sont souvent regroupées dans l'OSR, bien que les deux groupes aient vraiment des normes et des valeurs distinctes. Une partie de la confusion vient du fait que quelques individus notables (par exemple Matt Finch) sont passés du statut d'amateurs voulant ressusciter le mode Classique à celui de fondateurs de l'OSR.

Comme les deux groupes s'intéressent au jeu basé sur les défis, - même s'ils ont des approches différentes sur sa signification -, des éléments communs apparaissent et créent des interactions productives (et aussi beaucoup de disputes stupides et de ricanements de mépris ; c'est la vie).

Ce mélange de personnes issues de différentes cultures ludiques qui semblent initialement faire partie du même mouvement, mais qui s'avèrent être intéressées par des choses différentes, est assez commun - les jeux narratifs (story games) et le GN nordique passent par un mélange similaire avant de se séparer en différentes entités [« chapelles » ? (NdT)] (nous reviendrons sur ce sujet dans un moment).

2) Tradi (abréviation de "traditionnel")

Ses propres adhérents et défenseurs l'appellent "tradi", mais nous ne devrions pas considérer cette manière de jouer au JdR comme la plus ancienne : ce n'est pas le cas. Le Tradi n'est pas ce que Gary et ses collègues faisaient (qui correspondrait à la culture Classique), mais est plutôt la réaction à ce qu'ils faisaient.

Le Tradi considère que le but premier d'une partie est de raconter une histoire satisfaisante en termes d'émotions ; le ou la MJ étant le principal agent créatif pour y parvenir - en construisant le monde, en établissant tous les détails de l'histoire, en jouant tous les antagonistes, et en le faisant principalement en accord avec ses goûts et sa vision personnelles. Les joueurs et les joueuses peuvent contribuer, mais leurs contributions sont secondaires en valeur et en Autorité par rapport à celles du ou de la MJ. Si vous entendez des gens se plaindre (ou s'extasier !) à propos de parties de jeux de rôles qui donnent l'impression de parcourir un roman de fantasy, c'est du Tradi.

La culture Tradi valorise les JdR qui produisent des expériences comparables à d'autres médias, comme les films, les romans, la télévision, les mythes, etc. et ses valeurs encouragent souvent l'adaptation de techniques issues de ces médias.

La culture Tradi émergea à la fin des années 1970, avec un premier centre intellectuel dans l'équipe de Donjons et Castors de Caltech, mais aussi dans le cercle de jeu de Tracy et Laura Hickman dans l'Utah.

L'incident décisif pour Tracy fut de se demander quelle histoire pouvait bien expliquer ce qu'un vampire que son perso venait de croiser dans un donjon faisait là. En 1980, Hickman écrivit une série d'aventures (la série Night Verse grog) qui tentait d'apporter plus d'éléments narratifs ; mais la société qui devait les publier fit faillite. Il décida donc de les vendre à TSR, mais l’éditeur ne voulait acheter les droits que si Hickman les rejoignait. Tracy Hickman entra donc chez TSR en 1982 et il ne fallut que quelques années pour que ses idées se répandent dans l'entreprise et que sa vision de “jouer un rôle” y domine.

La première publication majeure articulant la vision du jeu Tradi en dehors de TSR s’incarna dans L'Appel de Cthulhu grog (1981) de Sandy Petersen, qui disait aux lecteurs que le but du jeu était de créer une expérience comparable à celle d'une histoire d'horreur, tout en fournissant des conseils spécifiques (le modèle en "couche d'oignon" ptgptb) pour la créer.

Dans D&D, les valeurs Tradis se cristallisèrent comme culture de jeu majeure et distincte avec les modules Ravenloft grog (1983) et la campagne Dragonlance grog (1984), écrits par Hickman. TSR publia Ravenloft en réponse au succès critique et commercial de L'Appel de Cthulhu ; il remporta alors une poignée de prix et en vendit des tonnes d'exemplaires.

Couverture du premier épisode de la campagne Dragonlance : Dragons of Despair

En quelques années,

  • l'idée de "jouer un rôle (roleplaying), pas juste faire rouler les dés (roll-playing)" et
  • l'importance pour le Maître du Donjon de créer un récit élaboré et émotionnellement satisfaisant,

…prirent le dessus. Je pense que la possibilité d'importer des termes et des idées d'autres formes artistiques y a également beaucoup contribué, puisque la compréhension du Tradi était accessible à toute personne ayant suivi quelques cours de lettres à l'université.

Le Tradi resta la culture de jeu hégémonique depuis au moins le milieu des années 1980 jusqu'au début des années 2000, et c'est encore un style de jeu assez courant. Pour un exemple de réflexions sur le jeu Tradi assez bien pensées, par quelqu'un qui a eu une influence sur le milieu au cours des 15 dernières années, consultez le RPG Lexicon en de S. John Ross.

Les deux styles suivants émergent d’éléments problématiques du style Tradi, en particulier les expériences rencontrées lorsqu'on jouait à Vampire - le sommet du jeu Tradi, si on considère les intentions de ses auteurs. La place manquerait pour traiter de ce sujet en profondeur, je vais donc juste le mentionner et remettre ce développement à une autre fois.

3) Le GN nordique (Nordic larp)

Il s'agit encore d'un autonyme. Le terme "nordique" est plus lié aux origines et à la localisation d'une majorité de ses partisans qu'à une véritable limitation géographique. Les raisons pour lesquelles la désignation "GN" est intégrée dans le nom ne me semblent pas claires, puisque les idées principales sont d'abord apparues dans le jeu de rôle sur table, et que sa philosophie et ses aspirations ne sont pas du tout spécifiques au jeu de rôles Grandeur Nature (1). (…)

La culture du GN nordique est construite autour de l'idée que le premier objectif d'un jeu de rôle est l’immersion dans une expérience. Habituellement, [le but est de « se couler dans »] les expériences de son propre personnage, mais parfois dans un autre type d'expérience, où joueur et personnage ne sont pas nettement distingués - le groupe expérimental Jeep ptgptb utilise souvent des jeux abstraits pour affecter directement les participants. Plus vous pouvez créer de "bleed" [transferts, confusion (NdT)] entre un joueur et le rôle qu'il occupe dans la partie, mieux c'est. Les GN nordiques impliquent souvent des "sessions" assez longues (comme des excursions d'un week-end) suivies de longs comptes-rendus où chacun digère les expériences qu'iel a vécues en tant que personnage.

Intégrer le personnage du joueur ou de la joueuse dans une histoire ambitieuse peut être un moyen de produire des expériences vivaces dans lesquelles on a plaisir à s'absorber, mais ce n'est pas nécessaire et cela peut même s'avérer contre-productif (surtout si c'est mal fait). Les joueurs de GN nordique mettent l'accent sur les aspects collaboratifs de leur pratique, mais quand on creuse un peu, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un rejet de l'idée Tradi d'un seul MJ-auteur qui crée une expérience. L'objectif de la collaboration est d'améliorer l'immersion en mélangeant plus profondément les agentivités [les possibilités d’impacter significativement la partie ptgptb (NdT)] des joueurs.euses et celles de leurs personnages.

Je pense que le terme de GN évoque des images de gens qui se déguisent en personnages de fantasy et il y a parfois des éléments de ce genre dans certains GN nordiques. Mais je pense en fait que la tendance est à l'abandon des jeux aux univers fantastiques au profit de scénarios et de mises en scène plus proches de la vie réelle, car cela permet d'incorporer dans le GN l'architecture moderne, la technologie et d'autres détails du monde réel pour faciliter l'immersion.

La première publication majeure concernant le GN nordique est à ma connaissance le Manifeste de l'école de Turku ptgptb de Mike Pohjola en 2000, un texte reflétant que l'auteur était parfaitement conscient de l'existence de ce mouvement. Je pense que les premiers membres de la communauté avaient entamé un dialogue avec l'équipe de la The Forge ptgptb, bien que les deux groupes aient des idéaux de jeu très différents. Dès 2005, des groupes spécifiques comme Jeep développent ces idées, et le livre Nordic LARP en en 2010. Il existe également aujourd'hui un wiki et un site web officiel en.

Couverture du livre Nordic Larp : plein de photos de gens costumés

Le GN nordique semble attirer plus de subventions et de financements pour des études universitaires que le reste de l'industrie du jeu de rôle (…).

4) Jeux de narration (story games)

Encore une fois, un autonyme. La plupart des gens qui ne les aiment pas les désignent comme des "jeux forgiens" ou "indés post-forgiens" en référence au forum de la communauté (et structure de soutien à l'édition) The Forge consacrée au JdR indépendant. On a également utilisé le terme "JdR indé" à un moment donné mais je ne trouve pas qu'il soit suffisamment précis ou parlant. De toute évidence, les adeptes de cette culture ne le pensaient pas non plus puisqu'ils l'ont pour la plupart abandonné. Voici un article en discutant de l'origine du terme "story game" du blog Across the Table.

Le Big Model ptgptb est connu pour être peu clair et la théorie post-forgienne brasse beaucoup d'idées avec lesquelles je ne suis pas du tout d'accord, mais je pense qu'on peut faire une caractérisation honnête de leurs positions qui n'utiliserait pas leur propre terminologie : on dirait alors que l'expérience de jeu idéale minimise la dissonance ludo-narrative (2). Un bon jeu de rôles a une forte consonance entre :

  • les désirs des personnes qui y jouent,
  • les règles elles-mêmes et
  • la dynamique de l'interaction de ces éléments.

Ensemble, ces éléments permettent aux gens de réaliser leurs désirs, quels qu'ils soient.

"L'incohérence” est à éviter car elle crée un "jeu nul" ou des « lésions cérébrales en (3) », comme Ron Edwards a pu l'exprimer.

Les adeptes des JdR de narration, et c'est tout à leur honneur, sont prêts à être très radicaux en termes de techniques à cette fin. À la fois les mécaniques proprement dites, et le développement d'attitudes [« creative agenda » traduit par "proposition créative" par PTGPTB et "démarche créative" par Frédéric Sintes, et de préférences comme le "narrativisme" sont destinés à créer de la consonance et à éviter la dissonance, à autant de niveaux qu'ils peuvent l'imaginer.

La culture des jeux de narration commence avec Ron Edwards en 1999, quand il écrit Le système EST important ptgptb et met en place le forum de The Forge. En 2004 apparaît le Provisional Glossary [non traduit] et le Big Model, ainsi qu'un million de discussions sur Internet sur ce qui est ou n'est pas "narrativiste" et de la quantité de lésions cérébrales dont sont responsables [certains] JdR. Les forums Story Games (en) ont été lancés en 2006 pour succéder à la Forge [ils ont fermé à leur tour et la communauté qui les fréquentait s'est retrouvée dans les groupes The Gauntlet et Fictioneer (NdT)]. Au cours de la dernière décennie, ce grand groupe de créateurs de jeux de narration s’est plutôt orienté vers les jeux de rôles "Propulsés par l'Apocalypse pbta ", inspirés par, ou basés sur, Apocalypse World grog de Vincent Baker.

Couverture du JdR Apocalypse World

D'ailleurs, si vous voulez un excellent exemple de quelqu'un qui applique les normes culturelles des jeux de narration à un JdR qui fut écrit pour être joué de manière traditionnelle, The Sacrament of Death d'Eero Tuovinen décrit son expérience en la matière.

5) L'OSR ("Old School Renaissance / Revival")

Oui, ça arrive bien tard dans cette liste chronologique. Et non, l'OSR n'est pas la culture Classique. Il s'agit d'une réinvention romantique et non d'une chaîne ininterrompue de traditions.

L'OSR s'inspire du style de jeu basé sur les défis caractéristique de la proto-culture de D&D et le combine avec un intérêt pour l'agentivité des PJ, en particulier sous la forme de prises de décision. Le but est d'obtenir un système où les choix des PJ, en particulier les choix diégétiques [du point de vue du personnage (NdT)], sont le moteur du jeu. Je pense que vous pouvez voir cela sous une forme très pure dans les conseils que Chris McDowall donne sur son blog Electric Bastionland pour mener Into the Odd en (4).

Une remarque importante ici : il est nécessaire de distinguer le style de jeu basé sur les défis [de difficulté] croissante de la culture Classique, de celui basé sur des défis beaucoup plus variables de l'OSR. L'OSR ne se soucie guère de "l'équité" dans un contexte de "l'équilibre du jeu" (au contraire de Gygax).

La variation de l'agentivité du joueur.euse à travers une série de décisions est bien plus intéressante pour la plupart des joueurs OSR que pour les joueurs Classiques.

NdT : « l’équilibre de jeu » consiste à mettre en face des PJ des adversaires qui ne soient
  • ni trop faibles – pour rendre la partie intéressante
  • ni trop forts ; pour que les adversaires ne tuent pas les PJ

à l’inverse, comme quand on risque de tuer tous les persos ptgptb, l’idée de ne pas se préoccuper de la puissance des adversaires rendrait les joueurs plus tactiques ; face à un adversaire qui les domine, iels pourraient décider p.ex. de fuir pour revenir reposés.

Une autre grosse différence est l’attitude envers les « mauvais » jets de dés : alors que Gygax avait déclaré que « les dés ne servent qu’à faire du bruit derrière le paravent » (truquer les jets pour que l’histoire continue), l’OSR dit que « les dés doivent rester où ils sont tombés » (let the dice fall wherever they may) ; ce qui implique que les joueurs et joueuses OSR doivent aussi lutter / se prévenir contre d’aléatoires « coups du sort »}

L'OSR refuse précisément la médiation autoritaire d'une structure de règles préexistante, afin d'encourager les interactions diégétiques en utilisant ce que S. John Ross appellerait des "ressources éphémères" et des "livres de règles invisibles", ainsi que ce que l'OSR appelle respectivement "jouer le monde" et "l'habileté du joueur" (player skill). En gros, en n'étant pas lié par les règles, vous pouvez jouer avec une gamme de ressources plus étendue, qui contribue à encadrer les différences d'agentivité des PJ de manière potentiellement très précise et finement graduée, vous permettant ainsi de lancer aux joueur.euses une plus grande variété de défis à surmonter.

Je pourrais écrire un article entier sur ce que les tables aléatoires sont censées faire, mais pour faire court disons qu'elles sont liées à la variance de l'agentivité et introduisent de la surprise et de l'imprévu, garantissant que l'agentivité varie au fil du temps (5).

Je situerais la date de début de l'OSR peu de temps après la publication d'OSRIC (2006), qui a fait exploser les possibilités d'utiliser l'OGL pour republier les règles de l'ancien D&D avant la 3e édition. Avec cette nouvelle option, il y avait celles et ceux qui voulaient principalement ressusciter AD&D1  en tant que JdR pratiqué, et d'autres qui voulaient utiliser les anciennes règles comme tremplin pour leurs propres créations. L'année 2007 a vu naître Labyrinth Lord [traduit en français sous le nom de PMT grog (NdT)], et la suite fût une véritable avalanche de publications.

Couverture de Labyrinth Lord RPG - aussi laide que dans les années 1980

L'OSR des premiers jours avait le blog Grognardia (6) pour leur fournir une vision reconstruite du passé dont ils pouvaient se positionner comme les héritiers. Ils avaient des développements intellectuels distincts comme les "diagrammes de Melan en" des donjons et les « pointscrawls en » de Chris Kutalik. Je dirais qu'ils ont passé la période entre 2006 et 2012 à former leurs normes dans un corps relativement cohérent d'idées sur la façon de jouer la plus appropriée.

6) OC (Original Character, ou « personnage original ») / Néo-tradi

C'est le seul de nos termes qui ne soit pas entièrement un autonyme, bien que "OC" puisse être ajouté à une publication de "recherche de jeu" en ligne pour recruter des personnes de cette culture de manière régulière, donc ça n'en est pas si éloigné. Je l'appelle aussi "néo-tradi", d'abord parce que la culture de JdR OC partage beaucoup de normes avec le Tradi, ensuite parce que je pense que les gens qui appartiennent à cette culture croient qu'ils font du Tradi.

On voit parfois ce style appelé aussi « style moderne », lorsqu'il est opposé à l'OSR. Sur Reddit, OC est souvent appelé "moderne" comme dans "la façon moderne de jouer" ou "les JdR modernes". Voici un exemple en de quelqu'un qui l'appelle "Néo-tradi" et qui élabore une vision très pure du style (bien que je ne sois pas d'accord avec la liste des jeux fournis comme exemples de Néo-tradi à la fin de l'article).

L'OC est fondamentalement en accord avec le Tradi sur l'idée que le but du jeu est de raconter une histoire, mais il retire la primauté de l'autorité du MJ en tant que créateur de cette histoire, et élève les rôles des joueurs en tant que contributeurs et créateurs. Le ou la MJ devient quelqu'un qui sélectionne des éléments dont il pense qu'ils pourront intéresser les autres participants, et un facilitateur qui travaille principalement avec du matériel provenant d'autres sources – en pratique, les éditeurs et les joueurs.euses. La culture OC a une compréhension différente de ce qu'est une « histoire », se concentrant sur les intérêts des joueurs et des joueuses, mais aussi leurs aspirations, et la réalisation de ces intérêts et souhaits, comme le meilleur moyen de leur fournir de la satisfaction.

Cet accent mis sur la réalisation des aspirations des joueuses est ce qui permet à la fois

  • au magicien de niveau 20 lançant une Nuée de Météores pour anéantir un ennemi et
  • aux personnes qui utilisent D&D5 pour jouer à gérer leur propre restaurant

…de partager une culture de jeu. Cette culture est parfois appelée péjorativement la "Tyrannie du fun" (un terme inventé dans l'OSR) en raison de l'accent mis sur une satisfaction relativement rapide par rapport à d'autres styles.

Le terme "OC" signifie Original Character (personnage original) et trouve son origine dans le jeu de rôle en ligne de type "freeform fandom"

NdT : Freeform : ici, une manière de jouer allégée en règles, et sans entraves (définition complète ptgptb) inspirée de la pratique du théâtre d'improvisation. Le freeform fandom utilise ces techniques, le plus souvent sous forme écrite et asynchrone, pour prolonger l'expérience des fictions au sein des communautés de fans. Les pratiquant.es français.es appellent souvent leur pratique : « RP »

Il était populaire sur [le site de blogs] Livejournal et d'autres plateformes similaires au début des années 2000. Le terme « OC » désigne le fait d'introduire par exemple un personnage original dans un jeu de rôle se déroulant dans l'univers de Harry Potter, plutôt que d'incarner Harold le Flic [un stéréotype ridicule (NdT)] lui-même. Bien qu'ils soient freeform (c'est-à-dire qu'il n'y a pas de jets de dés ni de Maître de Jeu), ces jeux ont souvent des règles détaillées concernant les types de déclarations que l'on peut introduire dans la partie, les joueurs faisant appel aux systèmes de règles pour régler leurs différends. Pour les jeunes générations de rôlistes, ces types de jeux ont souvent été leur introduction à notre loisir.

Je pense que la culture OC émerge durant l'ère de D&D3.x (2000-2008), probablement avec la croissance de [la campagne pas-en-ligne massivement multijoueurs de la RPGA] Living Greyhawk Core Adventures wiki en  et l'appareil du "jeu organisé" [plus de 1000 aventures jouées pendant les conventions, des règles propres, 30 « régions » où des dizaines de milliers de participants dans le monde pouvaient jouer, toute une hiérarchie pour gérer les retours de parties et faire évoluer l’univers (NdT)] et plus généralement du jeu en ligne avec des inconnus.

Le « jeu organisé » a fini par diminuer le pouvoir du MJ pour déplacer l'Autorité vers les textes de règles, les éditeurs, les administrateurs, et en fait, sur les joueurs. Puisque les Maîtres de Donjon peuvent changer d'une aventure à l'autre, mais que les personnages des joueurs restent, ils deviennent plus importants, les méta-règles standard assurant la compatibilité entre les parties.

Le pouvoir discrétionnaire du MJ, et ses improvisations, deviennent des obstacles à cette compatibilité, et sont donc dévalorisés. C'est de là que vient l'accent mis sur le respect de la règle telle qu’elle est écrite (Rule As Written) [par opposition à l’interprétation de la règle suivant l’intention – l’esprit – des auteurs (RAI - Rule As Intended). Parce que toutes les tables de Living Greyhawk devaient utiliser le même corpus de règles pour que les joueurs.euses puissent vaquer d’une table à l’autre (NdT)] et l’utilisation exclusive de « matériel officiel », impliquant que si c'est publié, cela doit pouvoir être utilisé à la table. Tout cela sape le pouvoir du MD et place ce pouvoir entre les mains des PJ.

Ces normes ont été renforcées et répandues par les forums « d'optimisation des personnages » qui s'appuyaient uniquement sur le texte des règles, tout en remettant profondément en cause « l'arbitraire du MJ », ainsi que par les outils officiels de création de personnages pour D&D et d'autres JdR (7).

Les modules, qui limitent de manière importante le pouvoir discrétionnaire du MJ, afin de fournir aux joueurs un ensemble cohérent de conditions, sont un autre support textuel important pour ce style. Les styles OC sont aussi particulièrement populaires avec les parties diffusées en streaming comme Critical Role, car lorsqu'ils sont bien faits, ils produisent des parties qui sont assez faciles à regarder, comme les émissions de télévision. Les personnages du streaming deviennent des figures de référence avec qui une communauté de fans développe des relations para-sociales et qui se réjouit lorsqu'ils accomplissent leurs « arcs narratifs ».

Pas de questionnaire

Lorsque j'ai présenté ce concept pour la première fois sur un forum, quelqu'un m'a dit en plaisantant que je devrais créer un questionnaire pour que les gens puissent déterminer à quelle culture ils appartiennent. Je vais m'abstenir. En vérité, je pense que la plupart des rôlistes individuels et des groupes intègrent un mélange de cultures ; ce mélange constituant un style unique.

Les cultures ludiques sont plutôt des paradigmes - elles se rejoignent au niveau des valeurs et de la réflexion sur ce que pourrait signifier un « jeu excellent » (de manière plus formelle, elles partagent des causes finales pour les jeux). Faire partie d'une culture ludique, c'est en quelque sorte être capable de reconnaître quand quelqu'un d'autre joue en accord avec un ensemble de valeurs que vous partagez avec lui ou elle.

L'objectif principal de cette taxonomie est d'aider les gens à mieux comprendre qu'il existe des paradigmes de jeu distincts qui valorisent des choses différentes, même s'ils peuvent être assemblés (avec toutes sortes de résultats amusants) dans des situations concrètes. Je doute que cette liste soit exhaustive, et il y a probablement des cultures que j'ai oubliées, ainsi que d'autres qui émergeront dans le futur. L'objectif de cette liste est principalement d'illustrer brièvement qu'il existe de nombreuses valeurs différentes du jeu, et de discuter de la logique qui anime certaines des valeurs les plus connues.

L'objectif initial de cet essai était de parler du style de jeu de rôle OC, car je pense qu'il est le moins bien caractérisé dans le milieu, et la plupart des caractérisations sont relativement péjoratives (voir la « tyrannie du fun » ci-dessus). Il y a aussi beaucoup de confusion entre les personnes évoluant dans les paradigmes de l'OC et du tradi, puisqu'ils utilisent souvent les mêmes termes pour désigner des choses très différentes.

De plus, sans vouloir être offensant, le jeu de rôle OC, en tant que paradigme par défaut de nombreux nouveaux rôlistes dans le hobby, arrivant par le biais du streaming, a donc la plus grande proportion de personnes qui connaissent peu les aspects techniques et l'Histoire du jeu de rôle. J'espère que l'articulation de leurs valeurs et de leur relation avec le milieu rôliste au sens large les encouragera à développer la culture du jeu de rôle OC de manière intéressante et solide, tout en les éloignant de positions arrogantes sur l'universalité de leur vision.

J'espère que la taxonomie ci-dessus aidera les gens à appréhender, et à naviguer entre, les différences entre les cultures et les styles plutôt que de se retrouver constamment dans des impasses lorsqu'il s'avère que l’on ne partage tout simplement pas les mêmes hypothèses de base sur le jeu - à partir desquelles on travaille - avec ses interlocuteurs

Article original : Six Cultures of play

Sélection de commentaires

Matthias

Je ne saurais dire à quel degré les variantes OC et Neo-Tradi se combinent naturellement ensemble – c-à-d, la version orientée vers les joueurs qui vient des salons « opérés par les PJ » [charop], et la version des streamings et des podcasts. Je (…) me souviens avoir écouté les parties diffusées par Glass Canon pendant quelques saisons et elles étaient extrêmement Tradi dans leurs objectifs de produire une trame narrative à traver des mécanismes de jeu traditionnels, ce qui était en pratique imposé par ce type de format. Mon intuition est que les gens qui arrivent à travers [les émissions du type de] Critical Role s’imprègnent d’une version de jeu narratif guidé-par-le-MJ avec des-mécanismes-traditionnels, davantage que opéré-par-les-PJ, mené-par-les-joueurs ; même si les deux rendent les grognards difficiles.

NiTessine

Les vraies raisons pour lesquelles le GN nordique (Nordic larp – en minuscules, nous nous sommes battus pour ça) est l’objet de tant d’études académiques et se voit attribuer des subventions (…) est que de nombreuses personnes actives sur la scène du Grandeur Nature sont membres du milieu académique. Les universités de Tampere, Gothenburg et Copenhague ont d’importants programmes d’études ludiques ; les pays nordiques ont aussi des budgets assez généreux pour ce genre de choses. Et la dynamique s’amplifie : un créateur de GN peut s’appuyer sur un corpus d’études académiques et para-académiques sur le Nordic larp, et cela lui donne donc de la légitimité aux yeux de comités de financement – de nos jours, quelques fonds culturels ont des vrais experts en GN parmi leurs membres. Les créateurs et créatrices obtiennent des financements ; le domaine d’études gagne en crédibilité, et cela rend plus facile (ce n’est jamais facile) d’obtenir des fonds plus tard.

E.T. Smith

C’est très malin. C’est un des rares points de vue qui soit à la fois suffisamment élégants et novateur pour que l’on s’exclame « bon sang, mais c’est bien sûr ! C’est éclairant : jusqu’à maintenant, je pensais qu’il existait trois grands types de cultures : Old-School, Tradi, et les jeux de narrations, mais cela n’était que le début ; diviser chacune d’entre elles en deux est une idée que j’aurais aimé avoir plus tôt ; surtout que j’étais déjà bien conscient de la distinction entre le style Classique et la Renaissance derrière l’appelation « OSR ».

Une critique : je ne suis pas d’accord avec ton opinion sur l’importance de l’actual play des jeux narratifs : [les vraies parties] sont trop centrées sur les discussions autour des histoires. Je pense qu’une description plus exacte est que les jeux narratifs croient que les règles peuvent (et à un certain niveau, doivent) évoquer des expériences distinctes [par exemple les règles de deux JdR narrativistes, tels My Life with Master et Dogs in the Vineyard sont bien plus différentes qu’entre deux JdR de Fantasy (NdT)]

Il existe d’autres nuances comme la question de l’Autorité, mais l’accent ci-dessus est le principal. Cela explique pourquoi le GN nordique est distinct : là où les storygames disent « les règles soutiennent l’expérience de jeu, l’immersion n’existe pas », le Nordic larp répond : « les règles obscurcissent l’expérience de jeu, l’immersion est la seule chose qui compte »

PhDTwenty

Je suis d’accord avec E.T. Smith. J’ajouterai aussi que les JdR « l’histoire tout de suite » (story now – une variation du Narrativisme) sont incroyablement pour l’agentivité des joueurs. Les jeux story now résistent en général à

  • un scénario pré-écrit - d’où « l’histoire tout de suite » par opposition à « l’histoire déjà écrite » (story before)
  • le pouvoir du MJ, surtout quand il s’agit du MJ comme auteur et juge.

À mon avis, tant l’OSR que les jeux narrativistes sont des contre-mesures à l’Autorité du MJ dans le style Tradi.

George Jirico

Merci pour cet article. J’adore en apprendre plus sur l’Histoire de notre loisir, car cela améliore ma comprehension du “pourquoi”

Je suis arrivé dans le JdR à travers le visionnage de parties en streaming, donc j’ai été exposé en premier au style OC/Néo-Tradi, et c’est ce que j’ai cherché à reproduire dans mes premières parties. Il existe, toutefois, beaucoup de vestiges dans le contenu, les pratiques, les thèmes, dans D&D5, que les règles actuelles expliquent mal. Ce n’est qu’en me plongeant davantage dans l’Histoire et en étudiant d’autres systèmes de règles – surtout ceux de la communauté OSR – que j’ai enfin commencé à comprendre le « pourquoi ».

Par exemple, dans la 5e édition, la classe de Clerc a l’aptitude de « repousser les morts-vivants ». Cela m’a semblé une règle « beurk » la première fois que je l’ai lue. « Pourquoi voudrais-je les effrayer et les faire fuir ? Je veux les combattre ! ». Mais en faisant mon chemin dans [la compilation de règles] Old School Essentials et l’état d’esprit OSR, je comprends maintenant que c’était une capacité très importante de pouvoir éviter certains combats qui auraient pu être meurtriers. Alors que je supposais que si mon perso se battait contre des morts-vivants, ce serait un combat équilibré et qu’il aurait une chance de vaincre.

J’envisage maintenant de migrer le style de jeu de ma table vers un OSR plus favorable au MJ. Mais ce que je gagne en flexibilité comme MJ, les PJ le perdront en termes de résilience et de super-pouvoirs. Mes joueurs aiment les accessoires de la culture OC/Neo-Tradi, mais en tant que MJ, c’est difficile à maintenir. 

C’est pour cela que je pense que nombre de MJ OC/Neo-tradis vont soit migrer, soit faire des burn-outs, et que l’on va assister à une énorme réaction lorsque les tablées exploreront d’autres options.

Lukas

Je pense que les [cultures] Neo-Tradi est OC devraient être davantage distinctes. C’est en partie pour des raisons généalogiques. Dans le lien du passage sur le style Néo-Tradi, on mentionne nombre de JdR de Free Leagues Games (…). Ceux-ci proviennent d’un milieu de créateurs suédois particulier, où le terme « Néo-Tradi » était utilisé au moins aussi tôt que 2006, associé à la sortie du jeu Noir grog de Marco Behrmann et Petter Nallo.

Couverture du JdR Noir - couple armé pris dans les projecteurs (de la police?)

L’attention a toujours été portée sur la reprise de certains mécanismes centrés sur les joueurs, provenant des JdR de narrations, et de les placer dans un cadre plus traditionnel.

Tout le monde avait l’air de récupérer des choses de Fate, Solar System et Powered by the Apocalypse. Toutefois, certaines des caractéristiques décrites dans l’article, comme Satisfaction rapide, la gestion par les PJ [charop], et l’accent mis sur le contenu nettoyé [Curated content : on enlève ce qui pourrait blesser, comme les stéréotypes racistes p.ex. (NdT)], n’en font pas vraiment partie.

Le style OC, qui est plutôt né du roleplay freeform sur Internet, du streaming et de la popularité de D&D5, a sans doute environ dix ans de moins. Je le connais peu, et je supposerai aussi qu’il est toujours en train de prendre forme. Toutefois, il contient tant de nouveaux éléments – comparé au style Néo-Tradi ci-dessus, que je pense qu’il serait plus juste de les étudier séparément.

Pepp : Culture Shipping

Je viens d’une culture non-anglophone, très influencée par le milieu du JdR japonais, et la culture de roleplay OC (qui est différente des jeux de rôles sur table). Il existe un style qui est centré sur les drames personnels des personnages, et surtout sur leurs relations. Personnellement, je l’appellerais Shipping culture.

Cette culture repose sur deux piliers ;

Le premier est l’interprétation du rôle, trouver comment le PJ agira dans certaines situations. L’ensemble des intrigues et des mises en situations ne sont que des outils pour la narration du personnage.

Le second est les relations ; cette culture insiste sur la relation « spéciale, irremplaçable » entre deux personnages, et comment elle se développe à travers certaines circonstances.

Ce en quoi cela diffère de la culture générale OC, et de la culture shipping plus traditionnelle, est que les PJ sont des extensions des joueurs et des joueuses. Bien qu’ils soient toujours deux entités différentes, l’immersion est très importante dans cette culture, et parfois l’immersion atteint le degré d’un rendez-vous amoureux virtuel (virtual dating). Ce qui est dérivé à l’origine des communautés de roleplay OC, qui sont bien plus anciennes que ce mouvement du milieu du JdR.

Les règles associées à cette culture viennent principalement du Japon, mais je pense que tous les JdR avec un.e MJ et un seul joueur peuvent y être associées. Je connais comme exemples Stellar Knights of the Silver Sword et Unsung Duet.

Anonyme : le style OC

(…)

Je suis d’accord avec les autres commentaires : ta catégorie de OC/Neotrad mélange au moins deux cutures de jeu… Je ferais la distinction entre :

  • le style « géré par les PJ » dérivé des JdR sur table et des forums, et
  • le style de jeu Original Character, dérivé du milieu des « fans » (fandom)

… comme des cultures de jeu distinctes, avec des historiques différents. Le style Neo-Tradi pourrait être un troisième style en lui-même, mais je le connais peu. Quelques réflexions suivent pour essayer de mieux définir le style OC :

Je crois qu’il amène avec lui un état d’esprit, et une approche plus large, de « fan », bien que je ne sois pas sûr de comment le décrire au-delà de « cette vibration »

En ce qui concerne les fonctions des joueurs.euses et des MJ, je pense que le style OC se distingue par un haut niveau de pré-planification de la part des joueurs. Tant les jeux de narrations que l’OSR ont une norme forte de « jouez pour voir ce qui se passe » - la devise est Powered by the Apocalypse, bien sûr, mais cette norme est au moins aussi forte dans les JdR OSR ; bien que rarement déclarée aussi explicitement. « préparez des scénarios, pas des intrigues », pourrait être le commandement OSR le plus proche.  Je trouve donc que dans les parties Tradi, la planification est majoritairement le domaine du MJ.

Le style OC implique lui,

  • non seulement d’amener un personnage à la table avec un historique rempli comme étant « une expression d’agentivité et de créativité »
  • mais aussi que la joueuse planifie à l’avance comment elle souhaite que son personnage croisse et évolue en tant que personne ;
  • ainsi que des étapes potentielles, émotionnelles ou scénaristiques, à passer le long de son arc narratif.

Cela est partagé/développé en collaborant avec le MJ, dont la fonction est alors d’assurer que ses trames incorporent tous les plans de toutes es joueuses, en plus de quoi que ce soit qu’ils avaient prévu – et que les joueuses ignorent.

Ce n’est pas gravé dans la pierre, parce que les joueurs et les joueuses changent parfois les arcs narratifs de leurs persos, en réponse à ce qui se passe dans la partie. Mais ielles communiquent alors ces changements au MJ, qui change ses plans pour incorporer ces changements, etc. , de façon itérative. J’imagine que cette tendance vient des discussions hors-personnage sur les plans des PJ, dans la culture de fans RP freeform, mais je n’ai pas fait partie de ce milieu, donc je n’en sais rien.

Je pense que ce style se rapproche le plus de « l’écriture en commun » que toute les autres cultures de jeu, mais qu’il conserve la réaction des joueurs (et de leurs persos) à des évènements inattendus pendant la partie – ce qui est une des forces des JdR sur table en général.

On pourrait faire valoir que « la gestion par les PJ » [charop] comprend aussi un style similaire de pré-planification par les joueurs, que le MJ intègre dans sa trame pour les prendre en compte. En effet, les avancements des persos (builds) sont souvent prévus plusieurs niveaux à l’avance, et les MJ s’adaptent à ça ; mais je pense toutefois que cela représente une culture de jeu distincte.

En ce qui concerne l’expérience de jeu souhaitée, je vais tenter de la définir par :

  1. la création d’un personnage et son développement graduel, en tant que « expression d’agentivité et de créativité » en elle-même.
  2. Être un fan des autres PJ, façon fandom [comme on l’est des héros dans les autres médias (NdT)], et voir comment ils évoluent
  3. Jouer en RP les interactions et les relations – pas nécessairement romantiques, mais parfois – entre les PJ, come Pepp le décrit
  4. La question « comment ce PJ réagirait-t-il à telle situation inattendue, non seulement en termes d’action, mais aussi en termes de ressenti, et comment cela impacte leur marche en avant ? »

Sur ces 4 aspects, c) et d) ne sont certainement pas uniques ou définissant la culture OC, mais a) pourrait l’être. Les JdR PBTA invoquent explicitement b) : « soyez un fan de votre personnage ». Mais en pratique, j’ai l’impression que cela signifie quelque chose de légèrement différent entre les deux cultures à cause de la distinction entre

  • le style strictement « jouez pour voir ce qui se passe » et
  •  l’inclusion itérative des arcs narratifs des personnages

On pourrait dire aussi des choses sur la façon dont l’OSR et les JdR de narration semblent être grandement faits par, et pour, les MJ-créateurs-amateurs, et se concentrent beaucoup sur le « nettoyage » de l’expérience de jeu. Ceci, à travers le « tuning » prudent des règles et/ou des techniques de maîtrise. Alors que le jeu OC semble être bien différent, et accepte davantage les règles telles quelles.

Anonyme (un autre)

… Je me demande si les minimaxeurs de combat ne constituent pas une septième culture de jeu distincte. Dans ta taxonomie, ils sont probablement plus proches du style Néo-Tradi, bien que des morceaux de cette tradition précèdent peut-être même la culture Classique (depuis, vous savez, les wargamers)

Je le vois comme une tradition qui est arrivée,

  • du côté des éditeurs, lorsque Wizards of the Coast a demandé aux gens qui développaient Magic : the Gathering de travailler sur D&D3 [y introduisant optimisations et combinaisons gagnantes (NdT)].
  • du côté des joueurs, quand la moyenne des nouveaux rôlistes avaient une expérience des mécanismes du JdR qui venait des jeux vidéos.

Lorsque ces joueurs, qui avaient l’habitude de bidouiller pour obtenir le meilleur résultat de tout système, rencontrèrent un JdR dont l’état d’esprit était orienté vers l’optimisation compétitive
de son système de règles (8), le résultat a été un style de jeu qui considérait un JdR comme un problème mathématique plutôt que comme une énigme ou du théâtre d’improvisation.

Cela semble profondément lié à la 3e édition de D&D et à Pathfinder.

Bien entendu, les grosbills et les minimaxeurs ont été présents depuis le début, mais ils ne fixaient pas les règles pour le reste des rôlistes.

(1) NdT : la vision de l'auteur sur la génèse du Nordic larp est discutable ; la recherche d'immersion et de bleed existent aussi en JdR sur table. Pour des spécificités du GN : immersion dans l’environnement, etc., lire Le GN comme chemin vers l’Illumination ptgptb et le concept « Si tu peux, alors tu peux ptgptb », qui renvoie quelque part à limiter les compétences du perso à celles du GNiste. [Retour]

(2) NdT : la dissonance ludo-narrative est un terme de ludologie qu'on utilise plutôt dans le game design des jeux vidéo (incohérence entre l’histoire racontée par un jeu et les possibilités qu’offre son gameplay). En savoir plus culture games[Retour]

(3) NdT : sur un forum, Ron Edwards qualifia la formation d'habitudes de jeu générées par les JdR “traditionnels” (proches de D&D) comme des « lésions cérébrales ». Cette critique provoqua de vives réactions. Lire ici ptgptb pour une opinion similaire de John Wick, et une réponse à « ceux qui jouent à D&D sont des demeurés ». Ce dernier article donne aussi un aperçu du « jeu organisé » de la RPGA, donc il peut vous aider à comprendre la suite. [Retour]

(4) NdT : lire aussi la formidable doctrine ICI ptgptb [Retour]

(5) NdT : une explication un peu plus détaillée diceandretry (en français) des principes qui guident le mode de jeu OSR [Retour]

(6) NdT : nous avons traduit une sélection d'articles de The Forge. [Retour]

(7) NdT : cette culture qui utilise les règles contre l'arbitraire du MJ peut être renforcée par la gestion des règles "par ordinateur" p.ex. en ligne sur Roll20. Aussi, les jets de dés "non cachés" des JdR en ligne ne permettent plus au MJ d'obtenir les résultats qu'il veut derrière le paravent… [Retour]

(8) NdT : Monte Cook, coauteur de D&D3, reconnaît dans Création de JdR style « Tour d’ivoire » ptgptb, que l’optimisation de l’évolution du personnage est un jeu dans le jeu. [Retour]

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