Billet de Sortie

La Boîte à jouets de campagne n°19

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En quelques mots

L'Australie des débuts de la colonisation est à la fois bourrée de trucs fantastiques et complétement inconnus de la plupart des rôlistes ici-bas. Mettez-y vraiment des aliens et vous pourrez éviter les références à Crocodile Dundee et en bonus faire des campagnes d’enfer.

L’histoire :

Dans la vie réelle le transport de prisonniers anglais en Australie fut la plus grande déportation de gens mis à part l’Holocauste. Et plus d’un historien a établi que l’endroit où ils sont arrivés leur était si étrangère que ce pays aurait tout aussi bien pu être une autre planète. Alors faisons-en une autre planète. La [machine à vapeur surnommée] fusée de Stephensonwiki est une véritable fusée, expédiant l’Angleterre du XVIIIe siècle dans l’espace. Des canons à vapeur géants lancent des vaisseaux dans l’ether de l’espace et leur premier arrêt est Mars la rouge : une région de montagnes marron terne et de poussière ocre.

Mais pour être un avant-poste militaire efficace et un bassin de carénage utilisable, il faut la coloniser. Avec les prisons britanniques qui atteignent leurs limites et les colonies américaines [devenues indépendantes] qui ne sont plus disponibles pour absorber la surpopulation carcérale, il semble possible de résoudre ces problèmes en faisant d’une pierre deux coups.

Sauf que ce n’est pas si facile. Le voyage jusqu’à la Nouvelle Albion prend pratiquement deux ans à bord d’immenses transporteurs ravagées par la maladie. Pour ceux dont le voyage n’a pas signé l’arrêt de mort, l’arrivée risque de le faire. La nouvelle contrée est peuplée d’autochtones hostiles, de plantes mortelles et d’animaux que personne sur Terre ne pourrait imaginer. Toutes les semences apportées pour être cultivées meurent pendant le premier été et le bétail suit le même chemin. Les maîtres sont brutaux, il est impossible de s’évader, et rentrer à la maison est puni de mort sur le champ en cas de découverte.

Il n’y a qu’un seul choix, chercher à évoluer du statut de « bagnard de merde », obtenir une grâce et peut-être votre propre coin de poussière. La première étape sur ce long chemin est d’obtenir une « demi-grâce », un bout de papier vous donnant le droit de retirer les chaînes de vos chevilles et d’échanger le « chat à neuf queues » contre un vrai boulot. Un document qu’ils appellent le Billet de Sortie (1)

Style et structure

Bien entendu vous n’êtes pas obligé de vous focaliser sur des personnages de bagnards. C’est un environnement ouvert avec des opportunités pour plein de types d’histoires différentes :

  • explorateurs indépendants repoussant les frontières du monde connu,
  • soldats sécurisant l’avant-poste,
  • des scientifiques documentant cette nouvelle terre étrange
  • ou corsaires spatiaux gardant la nouvelle colonie en vie et se faisant de l’argent facile où ils le peuvent.

Le simple fait que la Nouvelle Albion soit une colonie pénitentiaire assurera que ces histoires ne se rapprochent pas trop de la colonisation américaine et apportera un tout nouveau genre d’histoires. D’un autre côté, le fait de placer le décor sur Mars implique que vous n’êtes pas limité par l’Histoire avec un grand H.

Une campagne autour de bagnards ne fera qu’accroître cette sensation unique, et elle apportera ses propres arcs narratifs et ses accroches d’intrigues. Le système légal très dur de la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle pouvait emprisonner quasiment n’importe qui rendre tout le monde égaux : seuls, isolés et à un niveau très bas. Essayer de se hisser à nouveau dans la société convient à de nombreux systèmes d’expérience, même si un objectif aussi conforme aux institutions sociales va à l’encontre des tendances à vivre en marge de la société de la plupart des aventuriers errants.

Pour ce type d’aventuriers, il y a toujours l’échappatoire d’une carrière de bushranger [l’équivalent australien du bandit de grand chemin (NdT)], ou de pirate, voire même de combattre l’autorité pour la liberté de tous. Ceux qui ne veulent pas renverser les institutions peuvent aller creuser à la recherche d’or et explorer les ruines perdues sous la surface martienne, rapportant peut-être des reliques et des trésors en échange de leur liberté. Les possibilités sont comme le désert rouge : infinies.

tableau représentant des bandits de grand chemin, en train de voler des objets à une dizaine de personnes, dans un paysage désertique

William Strutt, Bushrangers on the Saint-Kilda Road, 1887

PJ et PNJ

Comme mentionné plus haut, un bagnard pouvait être pratiquement n’importe qui. Ceci dit, il fallait un crime assez grave pour être condamné à la Déportation. C’était considéré comme étant un poil en dessous de la peine de mort. Sinon, vous pouviez être pauvre, irlandais ou une femme ; les deux premiers pouvaient se retrouver déportés après une séries de délits mineurs, comme voler du pain ou être en état d’ivresse. Les classes moyennes et supérieures pouvaient devenir trop pauvres pour éviter la Déportation, une fois qu’ils n’avaient plus d’argent pour la location de leur cellule (je ne plaisante pas) (2) .

De leur côté les femmes étaient considérées comme trop faibles pour être exécutées et les colonies manquaient cruellement de femmes, étant donné que tout non-condamné (et sa femme) avait l’habitude d’avoir plusieurs bonnes pour tenir leur maisonnée. Et nous parlons d’un monde où entretenir une maison peut signifier abattre des monstres pour le dîner et soigner des maladies inconnues. C’est une bonne manière de dire que les joueuses ne sont pas obligées d’incarner des prostituées, des épouses ou des faire-valoir. Bien qu’une poignée de femmes au foyer à la Jane Austen qui tentent d’entretenir une propriété dans un enfer extraterrestre présente un grand attrait dramatique.

En Angleterre, la garde de prisonniers était un boulot pour les roturiers mais dans les colonies la plupart des gardiens étaient des soldats ou des marins (les fameuses tuniques rouges qui servaient de cibles aux révolutionnaires américains [et à quelques Français !] quelques années plus tôt). Leurs rangs étaient composés d’un large éventail de personnes, allant des lords aux gamins des rues. L’argent et le prestige permettaient souvent de s’acheter une charge et l’inverse était certainement vrai, un lieutenant pouvait être rétrogradé en échange d’argent, ce qui permettait une grande mobilité sociale.

C’était encore plus vrai dans les colonies : le système anglais de classe rigide est remplacé par un monde où vous êtes soit un condamné, soit un soldat, soit un colon. Et avec un Billet de sortie, même cette frontière devient floue. Comme si ce monde inconnu n’était pas suffisamment choquant.

En parlant de monde inconnu, les seules personnes qui voulaient aller en Australie étaient des scientifiques. Avec le voyage spatial encore à ses balbutiements, il est encore plus probable que ces types soient présents sur la Nouvelle Albion. Au XVIIIe siècle, on attendait d’un membre de la Royal Geographical Society qu’il soit plus qu’un simple crâne d’œuf : la nature devait être matée au fusil et au compas avant que ses échantillons puissent être mis sous verre. Beaucoup de ces scientifiques en croisade virent le bénéfice d’une assistance autochtone, ouvrant la possibilité pour les joueurs d’interpréter les rôles d’extraterrestres intelligents (peu importe ce à quoi ils peuvent ressembler).

Intrigues et antagonistes

Bien que les prisonniers ayant de l’argent avait de la nourriture correcte et de la place, la libération des bagnards fut un concept victorien, effectif environ 100 ans plus tard. Au XVIIIe siècle, la plupart des gens considéraient qu’être un criminel était un signe de faiblesse spirituelle autant que morale, la marque de Dieu d’une humanité inférieure. La cruauté était la norme et les soldats qui faisaient régner l’ordre avaient appris leurs régimes disciplinaire dans la marine anglaise, un monde où le rhum, la sodomie et le fouet allaient de pair avec trop de rhum et de sodomie.

Dans un environnement de ce genre, les hommes vraiment mauvais s’épanouissent et les bons s’éteignent : dénoncer les premiers et défendre les derniers peut fournir quantité d’intrigues pour les bagnards comme pour les gardiens. Les commandants de camp font de très bons méchants, comme le prouve l’exemple historique du capitaine Logan, un bâtard sauvage dont la cruauté légendaire lui a survécu, après qu’il se soit fait poignarder dans le cœur par un de ses prisonniers cherchant à se venger. Les prisonniers aussi ne peuvent être vus comme des témoins de moralité, et ceux qui se sont évadés peuvent infliger leur absence de moralité à encore plus de personnes.

Mettons de côté le système légal ; une nouvelle planète peut être peuplée d’ennemis et de menaces, intelligentes ou autres. Bien sûr, faire des autochtones des sauvages terrifiants qui doivent être détruits, n’est pas quelque chose que tout le monde considérera acceptable, même si cela reflète la vision de l’époque. En faire des lapins en mignons qui s’adaptent parfaitement est aussi insultant. Une bonne idée est d’adopter une vision intermédiaire, et une bonne manière de le faire est de l’appliquer à plusieurs races. Après tout pourquoi Mars devrait être peuplée d’une seule race de Martiens ?

Sources

L’histoire de l’Australie n’est pas la chose la plus simple à trouver en dehors des Antipodes, en particulier pour tout ce qui est avant la 1ère Guerre Mondiale. Vous pouvez essayer quelques romans classiques comme Je me souviens de Babylone de David Malouf, Jack Maggs de Peter Carey ou l’histoire brute The fatal shore de Robert Hughes. Il y a aussi For the Term of his Natural Life de Marcus Clarke, qui a la valeur ajoutée d’avoir été écrit seulement quelques décennies après les faits.

Il est beaucoup plus simple de se renseigner sur l’Angleterre de cette période, commencez avec la série Les Aventures de Sharpe de Bernard Cornwell, [la série de livres sur le capitaine] Hornblower (3) de C.S. Forester et Master and Commander : De l'autre côté du monde le livre [de Patrick O'Brian] tout comme le superbe film [de Peter Weir], puis passez à n'importe quelle fiction sur la Révolution Américaine pour voir les tuniques rouges se faire botter le cul au nom de la liberté.

L'Amérique au début de sa colonisation peut aussi donner de nombreuses idées d'histoires à voler. Quasiment tout du Dernier des Mohicans de Fennimore Cooper, au film Robe Noire de Bruce Beresford peut avoir lieu sur un littoral différent mais tout aussi violent. Pour des idées d'histoires de prisonniers et de leurs arcs narratifs, la série HBO Oz est une mine d'or, sans oublier de mentionner le bon vieux soap opera australien Prisoner (aussi connu sous le nom Cell Block H). Et si vous arrivez à trouver des programmes télé australiens, la série Rush est historiquement plus tardive (sur la ruée vers l'or dans la province de Victoria) mais est une bonne source pour le visuel sur le sujet.

Jeux de Rôles

Couverture de In Harm's way: Dragons, par Flying Mice Games, représantant un dragon sur la façade d'un bâtiment, entrant la tête dans une fenêtreLà encore, les ressources sont limitées. Les JdR australiens ne se sont pas non plus précipités pour combler le vide. Les soldats napoléoniens de l'Angleterre sont décrits avec force détails dans In Harm’s Way: Dragons!   rpgnet Et dans GURPS Age of Napoleon  rpgnet . Une représentation étonnamment proche de l'Histoire coloniale australienne (ainsi que de l'environnement alien humide et sauvage) se trouve dans Blue Planet  grog. Pour la colonisation d'un monde sauvage alien, il y a le vieux Lost Colony  rpgnet [un univers avec les règles de Deadlans] des éditions Pinnacle. Dans le même registre, le mélange de durs et de pieds tendres sur la frontière sauvage peut s'avérer assez utile. Et tant que nous en sommes à faire des emprunts au Far West, Serenity   grog devrait suffire.

 

Couverture de In harm’s way : Dragons par Flying Mice Games

 

Article original : Campaign Toybox #19: Ticket of Leave


(1) NdT : Le Ticket of leave anglais n’a pas d’équivalent en français et correspond à une libération conditionnelle. [Retour]

(2) NdT : un outil à rajouter dans les idées de punition de la 3e partie de La Loi et L’Ordre dans les Mondes Imaginaires ptgptb [Retour]

(3) NdT : Il y a aussi un film de Raoul Walsh avec Gregory Peck, Capitaine sans peur de 1951 et la série télévisée Hornblower, tournée entre 1998 et 2003.
Parmi les autres inspirations, deux romans de Jules Vernes (en français donc) :
- Mistress Branicanwiki se passe en partie en Australie : "[sa] quête l'emmène jusqu'aux confins de l'Australie, à la tête d'une expédition à dos de chameau qui doit affronter les mille et une péripéties du désert australien, entre les dangers de la soif, des animaux sauvages, des tribus cannibales et les solidarités humaines que Mistress Branican sait susciter pour parvenir au but de toute sa vie."
- Des aventures en Australie (et en Nouvelle-Zélande, avec capture par les Maoris) dans Les Enfants du Capitaine Grant wiki
Et deux événements peu connus hors de l’Australie, cités dans les commentaires : le bataillon du New South Wales Corps wiki, trois compagnies de ramassis de crapules qui devait faire respecter la Loi, et the Rum Rebellionwiki (en). [Retour]

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