Campagne frontalière - une tambouille de Troy
© 2016 Troy E. Taylor
Photo : Ingo Jakubke
Une idée simple que les Maitres et Maitresses de Jeu peuvent utiliser lorsqu’ils se lancent dans leur première campagne est de présenter une série d’aventures se déroulant aux confins de la civilisation.
Dans une campagne frontalière, les personnages des joueurs et joueuses sont partie prenante de l’effort pour explorer des étendues sauvages. Ils pourront se confronter à des menaces représentées par des espèces monstrueuses errantes sans contrôle, et à de minuscules royaumes créés par des parias.
NdlR: Pour les Étatsuniens, The American Frontier wiki (en) est ce qui pour nous est le Far-West ; mais plus largement, il s’agit de toute l’Histoire de l’expansion coloniale dans l’Amérique du Nord, depuis 1607. Dans cette vision, la Frontière est la zone de contact à la limite des dernières implantations.
Le théoricien Frederick Jackson Turner l’a définie comme part intégrante de la construction de la culture des États-Unis wiki (en). Cette « Frontière entre la civilisation et des terres sans lois » recule au fur et à mesure de l’occupation des « terres sauvages » ; d’abord la Frontière est au niveau du Mississipi, puis elle recule aux Montagnes Rocheuses, au Pacifique.
Avec Kennedy en 1960, l’espace est la « nouvelle frontière » (« l’ultime Frontière », comme dit le générique de Star Trek en 1966), puis le cyberespace.
Dans une certaine vision étatsunienne du Jeu de Rôle, jouer à la Frontière permet de jouer dans un décor « libertarien » plus simple, sans souverain, impôts, lois, administration et complications ; elle permet à quelques PJ entreprenants de se tailler un fief aux dépends des indigènes ou des « monstres », et aux joueurs et joueuses d’accomplir un rêve de construction et/ou d’enrichissements de leurs propres mains. Il est significatif que le premier scénario publié pour D&D soit Le Chateau-fort aux confins du pays. L’article D&D est anti-médiéval est complémentaire de celui-ci.
Au début, les personnages des joueurs et des joueuses suivront les ordres d’un employeur noble ou d’une autorité gouvernementale fournissant aux aventuriers et aventurières des motivations (telles que la promesse de terre, de titres ou de richesses).
Un avant-poste ou une ville frontalière serviront de base d’opérations aux PJ. Puisqu’elle est également isolée, elle est vulnérable aux attaques et risque d’être coupée des lignes de ravitaillement et des renforts militaires.
Les vrais avantages d’une campagne frontalière sont que le ou la maître de jeu peut faire bon usage du Manuel des Monstres ou du bestiaire [de son jeu]. Beaucoup de monstres sont de bon choix pour des séances dans des terres sauvages. Fiez-vous à leurs descriptions dans le manuel, le ou la MJ devrait sélectionner des monstres qui servent au mieux son histoire.
Les PJ rencontreront aussi les habitants de ces contrées, qu’ils soient des elfes, des gnomes ou des peuples autochtones. Faites en sorte que les Héros soient en contact avec eux et ce faisant, qu’ils confrontent leurs croyances, valeurs et conceptions de la découverte, de l’exploration et de la colonisation du territoire.
L’accroche
Un avant-poste est établi aux confins d’un royaume ou d’un empire en expansion. De leur côté, les PJ qui cherchent à tirer parti des promesses de terres ou de trésors, s'ils réussissent à pacifier une partie des lieux pour le compte de leur suzerain.
L'employeur
Un des clichés favoris est celui du « gouverneur peu enthousiaste ». Les PJ prennent leurs ordres d’un noble qui était exilé, banni ou autrement contraint d’aller à la frontière, car il était soit incompétent, soit corrompu ou encore représentait par sa naissance une menace à l’ordre établi.
Au fur et à mesure du développement de la campagne, cet employeur peut continuer à être un mentor ou, pour une tournure dramatique, réaliser qu'il peut utiliser cette nomination comme base d’un nouveau pouvoir. Dans ce cas-là, ce protecteur peut cesser de voir les personnages comme de loyaux alliés, mais les considérer comme des rivaux au fur et à mesure que leurs capacités et leur influence grandissent.
Thèmes et adversaires communs
Voici la partie amusante : choisir des monstres correspondant aux différents épisodes de la campagne. Les descriptions des monstres dans votre bestiaire ou votre manuel des monstres contiennent souvent de bonnes inspirations.
Voici quelques suggestions pour une campagne de la cinquième édition de Donjons & Dragons [ou n’importe quelle campagne d’héroïc-fantasy (NdT)] :
Utilisez des animaux ordinaires
L’Appendice A [du Manuel des Monstres de Donjons & Dragons (NdT)] est rempli de créatures en partie ordinaires qui sont des défis appropriés pour des groupes de bas niveau. De tels animaux ne sont normalement pas une menace pour les humains, sauf quand des changements dans l’environnement encouragent un comportement plus agressif. Pensez à utiliser des situations les ayant affolés.
Exemple : Quessie, une imposante femelle ourse connue des garde forestiers et des trappeurs du coin, a été aperçue à la périphérie de la ville. C’est un comportement inhabituel. Certaines personnes s’alarment et veulent que Quessie soit abattue avant qu’elle n’attaque quelqu’un. D’autres se demandent pourquoi elle s’est aventurée aussi loin de sa tanière. L’enquête dans son repaire peut révéler la présence d'un certain nombre d’intrus, comme un groupe d’éclaireurs gobelins, une infestation de punaises de feu géantes, une araignée géante, un warg ou des bandits humains.
Débusquez des habitants monstrueux
Des gnolls enragés : on ne peut pas raisonner avec, ils ne peuvent pas être contenus, et, honnêtement, ne peuvent pas être éliminés. Mais eux et leur chef peuvent-ils subir une défaite telle qu’ils se cachent loin ? Capturer un gnoll et lui soutirer des informations peut-être la première étape. Mais les PJ ont intérêt à se dépêcher, car la horde de gnolls descend de la montagne et va bientôt assiéger la forteresse ou l’avant-poste. Si elle réussit, aucun renfort n’arrivera.
L’ennemi de mon ennemi est mon ami
L’introduction d’un avant-poste humain dans des terres occupées par des elfes des bois peut mener ces deux civilisations au conflit. Un capitaine hobgobelin offre d’allier ses troupes à celles des nouveaux arrivés. Les hobgobelins, martiaux et d’alignement plutôt loyal, semble avoir – du moins en surface – plus en commun avec les colons humains que les chaotiques elfes des bois inspirés des fées. Et le capitaine hobgobelin cherche à exploiter cela, particulièrement après qu’un accident entre humains et elfes a fait escalader les choses. Le capitaine a clairement un but – mauvais – derrière la tête, et les actions qui paraissent agressives de la part des elfes sont clairement mal interprétées. C'est un véritable défi que les personnages démêlent cet enchevêtrement de conflits. Est-ce qu’une des plus grandes craintes des personnages – une alliance avec les hobgobelins – a fait entrer le loup dans la bergerie ?
Les squatteurs ont des droits ! Hé, nous étions là avant !
L’avant-poste n’est pas la première occupation humaine de la région. Qu’en est-il de ses pionniers éparpillés qui survivent dans les bois ? Ils peuvent mal prendre l’apparition d’une forteresse. Leur désir de vivre loin de la civilisation est-il sincère, ou nourrissent-ils de mauvaises intentions ?
Des hommes mauvais avec de mauvais desseins
Une petite forteresse en pierres noires, bien défendue, sert de repaire à une cabale de magiciens peu scrupuleuse, ayant des suivants fanatiques. Ils ont peut-être même pris le contrôle de tribus de créatures monstrueuses, comme des gobelours ou des kobolds. Ils ont commencé à s’établir dans les collines, où vivent de nombreuses créatures maléfiques. Peut-on arrêter l'expansion des magiciens ? La forteresse peut-elle être infiltrée ? Quel mal est abrité, ou peut-être construit, sous cette tour sombre ?
Un mot sur la météo
Un ou une maître de jeu devrait être évocateur dans ses descriptions de paysages naturels, et la météo quotidienne en fait partie. Assurez-vous que les PJ éprouvent tous les extrêmes possibles des températures et des précipitations de la région.
Cependant le ou la MJ devrait réserver une seule séance de la campagne à des effets météorologiques si puissants qu’ils ont un effet mécanique en jeu. Ceci afin de rendre cette séance particulièrement mémorable.
Cette occasion spéciale peut-être une tempête particulièrement violente incluant une rencontre difficile. Gardez cette tempête de grêle et de pluie glacée pour l’apparition d’un dragon vert, ou cette tornade aux tourbillons lanceurs d’éclairs pour la fois où les PJ affrontent l'un occultiste tieffelin renégat et sa bande de géants des collines.
illustration de Le Grumph pour le JdR Sur les frontières
Inspirations et ressources
Voici de bons exemples de publications fournissant des structures de campagnes frontalières, si un ou une MJ a besoin de partir d'une ébauche :
- Dungeons & Dragons Set 2 : Expert Rules grog (TSR, 1983) : où sont utilisés comme lieux d’aventures les environs de la ville frontalière de Valbourg, et qui contient deux pages de suggestions d’aventures dans des contrées sauvages.
- S1 - La Conquête du Val Sanglant grog (Black Book Éditions, 2008) : [une campagne qui] fournit une série de défis et de rencontres de plus en plus dures pour des PJ essayant de pacifier la région forestière autour de Fort Épine , un avant-poste sous le commandement de Sire Tolgrith.
- Les Marches d’Argent grog (Spellbooks, 2003) : contient quatre aventures destinées à faciliter l’exploration et le jeu dans des contrées sauvages.
Une autre ressource intéressante est le Guide du Maître grog de Pathfinder qui contient, en plus d’une section sur la création de campagne, a 8 pages dédiées aux aventures dans des contrées sauvages, et des tables de rencontres triées par type de terrain. De même, le Dungeon Master’s Guide grog de D&D5 est parsemé de tableaux et de suggestions sur des campagnes dans des environnements naturels.
- Oltrée ! grog Où les joueurs incarnent des Patrouilleurs devant explorer des contrées sauvages pour le compte de leur maître. L’exploration se fait en bac à sable, avec un petit parfum d’OSR.
- Sur les Frontières grog Un peu plus expérimental, ce JdR propose aux joueurs et joueuses d’incarner des adolescents envoyés en poste aux confins de l’Empire. Le jeu contient de nombreuses tables et inspirations pour créer rumeurs, problèmes et peuplades du bout du monde, et ce, de façon collaborative. (NdT)
Article d'origine : Troy's crock Pot Frontier Campaign
Sélection de commentaires
Blackjack
La frontière du royaume, où les normes d’une civilisation cèdent leurs places à quelque chose d’autre, est toujours un décor de campagne riche. J’ai dû l’utiliser pour au moins la moitié des scénarios que j’ai conçu, avec les thèmes que tu as soulignés – et plus encore.
Le thème le plus mémorable que j’ajouterai à ta liste :
Le ou la gouverneur local, représentant l’empire, n’est peut-être pas corrompu, stupide ou disgracié, mais juste simplement dépassé. Il ou elle est une bonne personne (ou partage la même vision du monde que les PJ si ceux-ci ne sont pas « bons ») qui manque simplement de moyens pour faire face aux différents défis de la vie dans une région frontalière. Cela permet aux PJ de non seulement accomplir des objectifs en accord avec leur vision du monde, mais aussi de développer d’importantes relations de longue durée dans l’empire. Le ou la gouverneure appréciera leur aide. Au fur et à mesure qu’il ou elle s’élève, les PJ feront de même. D’autres dirigeants de l’empire en prendront note : certains les considéreront comme des alliés supplémentaires, d’autres comme des rivaux. Il y a tellement de manières de développer ces histoires.
NikMak
Bon article, merci beaucoup
C’est un peu trop héroic fantasy traditionnelle / D&D-esque à mon goût. On peut adapter cette mentalité de « campagne frontalière » à d’autres types d’univers : westerns, antiquité romaine, science-fiction (qui veut être les premiers mineurs de la ceinture de Kuiper ?) ...
Roxysteve
J’aime cette idée et j’ai toujours apprécié les campagnes utilisant des clichés similaires. L’exploration de territoires inconnus m’excite bien plus qu’un combat contre le Monstre du Jour. J’adore découvrir une ancienne ruine déserte, totalement abandonnée mais remplies d’indices à propos de qui l’a bâtie et pourquoi. Pour moi, coller des monstres à l’intérieur brise l’immersion quand je suis dans cet état d'esprit.
Je suis également partant pour une campagne frontalière où la faune reste en majorité la même. Je serais ravi d’avoir à composer en permanence avec la présence (bien que distante) de gobelins ; elle offrirait de meilleures interactions que le basique « Tuez-les ! Tuez-les tous ! » de Rico (1). Peut-être qu’ils mènent des raids ou envoient des éclaireurs qui doivent être persuadés de retourner chez eux, si possible sans déclencher une guerre ouverte.
S’il vous plaît, laissez-nous gérer une faune plus banale mais dangereuse. La partie la plus inutilisée de tout bestiaire est celle contenant les ours. Peut-être que les loups sont de sortie de temps à autre, mais un ours peut poser de véritables problèmes à des personnages de bas niveau. Le/la MJ ne devrait pas rejeter l'utilisation des pièges, mais devrait demander aux joueurs et aux joueuses de planifier correctement, et pas de juste compter sur les dés pour réussir.
En fait, c’est probablement ce qui est à la racine de mon amour pour cette idée : la possibilité de résoudre les problèmes sans jeter de dés. OK, je rêve.
Personnellement, j’ai eu l’idée d’utiliser tout ceci en créant un univers s’inspirant de la trilogie The DNA Cowboys (2), modifiée convenablement, et tout le bordel que j’ai accumulé au fil des ans sur Greyhawk.
Le pitch de l’univers : la réalité s’est retrouvée dissociée pour une grande partie du monde, ne laissant que de petites îles-univers séparées par un épais brouillard, au sein duquel rien n’existe réellement. Je simplifie l’idée à une seule île stable, avec des forts frontaliers faisant face au « néant », attendant les occasions où le brouillard se lève pour quelques heures ou jours, révélant des terres nouvellement créées où on peut piller tout ce qui est utile au maintien de la vie.
Je suis hésitant quant à l’économie du monde et compte jouer avec des idées de différents systèmes. Pour l’instant je favorise D&D5 et Pathfinder, mais j’envisage aussi une hybridation contre nature entre Savage Worlds grog et le système de magie de Pathfinder.
Je sais, je sais, la beauté de Savage Worlds réside dans son approche épurée. Mais son système de magie manque de « Waouh * » et de toute façon je cherche plutôt du côté de Jack Vance et de La Terre Mourante wiki (3), où les sorts individuels sont une ressource rare à échanger et tout nouveau nécessite d’explorer comme mentionné plus haut.
* Quiconque a déjà mené une partie de Savage World avec [les options] de Science Étrange découvrira que les joueurs inventent toujours les mêmes quatre appareils : ceux qui sont assez puissants pour faire quelque chose d'utile et de significatif. Et toutes les parties d’heroic-fantasy aboutiront aux pleurs des magiciens au moment de monter de niveau. Mais [le système] fonctionne assez bien dans des campagnes sans attentes ou idées reçues sur la magie.
Quoi qu’il en soit, cette idée de fort aux frontières est une combinaison gagnante à mesz yeux ; et si nous étions proches, je te supplierai de me permettre de rejoindre ta campagne frontalière.
Oh ! On pourrait faire du fort un lieu comme Gormenghats (4) ? Un énorme, tortueux châteaux tombant en ruine par endroits, bourrées de politiques et de coutumes étranges ?
Illustration de Ian Miller. www.arthive.com
Les joueurs et joueuses pourraient accepter des quêtes juste pour s’en éloigner.
Bref, formidable article, Troy.
(1) NdT : Référence à un dialogue du film Starship Troopers wiki de Paul Verhoeven [Retour]
(2) NdT : The DNA Cowboys Trilogy est très mauvaise et incohérente série de romans écrits par le chanteur et écrivain Mick Farren, jamais traduite en français. Elle se déroule dans un monde morne où pulp, fantasy, western spaghettis, kung-fu - et plus - se mélangent dans un récit de science-fiction sous acide. [Retour]
(3) NdT : La magie Vancienne de cet univers, ayant inspirée celle de Donjons & Dragons, nécessite que les sorts soient mémorisés par ses pratiquants. Le lancement d’un sort l’efface de la mémoire, nécessitant de nouveau son étude. [Retour]
(4) NdT : Gormenghast est le château du cycle culte du même nom de l’auteur Mervyn Peake.
"Gormenghast est un comté isolé, dominé par le château du même nom. Encastré entre forêts, montagnes et vallées inhospitalières, celui-ci est en ruine et son aspect semble terrifiant. S’en dégage une atmosphère pseudo-médiévale fantastique et dérangeante. Si tout y est décrit jusqu’à la moindre pierre, on ne pourra jamais embrasser le château dans son ensemble : il y a toujours une porte dérobée, un escalier condamné, des ailes abandonnées..."
Nadège Rousseau -Librairie Passages (Lyon)
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