Le GN comme chemin vers l’Illumination
© 2003 Elge Larrson
Cet article est extrait du livre en ligne As LARP Grows Up – Le livre de Knudepunkt 2003 (“Tandis que le GN grandit”), compilation de conférences du festival de GN Knudepunkt 2003 au Danemark. Ce festival annuel se tient depuis 1997 dans les pays scandinaves sous divers noms (Knutepunkt, Knutpunkt; Solmukohta). Knudepunkt, et ce livre, ont pour but de favoriser la créativité, l'innovation et l'échange d'idées. Rien n'est plus pratique qu'une théorie – telle est l'idée de base de cet ouvrage. Dans ses pages, vous trouverez des idées, des conseils et des solutions pratiques à vos questions sur le GN.
En guise d’introduction, je veux parler d’un phénomène que j’ai appelé aura post-GN [Post-Larp Charisma (NdT)] ou APG.
Aussitôt après un jeu de rôle grandeur nature, la plupart d’entre nous éprouvent une certaine euphorie dans ce tumulte post-GN durant lequel nous rencontrons de vieux amis IRL, nous nous faisons de nouveaux amis, échangeons des histoires et des numéros de téléphone et fantasmons sur des GN toujours plus fous.
Cependant, tôt ou tard, l’euphorie retombe et nous pourrions succomber à la dépression post-GN (DPG). C’est souvent une réaction purement biochimique, causée par le manque de sommeil et de nourriture. Mais je commence à soupçonner que la DPG peut aussi être causée par un retour trop rapide au monde réel, point sur lequel je reviendrai plus tard.
Mais si vous avez de la chance, vous constaterez qu’à votre retour à votre vie normale vous avez été frappé par l’Aura Post-GN ! Certains – ou en étant optimiste, nombre d’entre vous – peuvent avoir été étonnés par une indéniable modification du monde. Nos rêves deviennent réels, de belles inconnues nous sourient, nous obtenons la meilleure table au restaurant sans aucun tracas et soudain nous osons faire notre déclaration à l’élu(e) de notre cœur si il ou elle ne le fait pas d’abord. C’est l’aura post-GN (APG).
Quel sorte de phénomène est-ce, comment arrive-t-il et que pouvons-nous faire pour le déclencher quand nous ne faisons pas de JdR grandeur nature ? La plupart d’entre nous ne jouons en GN que quelques fois par an.
Je dis que l’APG est une conséquence de notre incarnation divine durant un certain laps de temps. Quand je dis divine, je veux le dire dans un sens très littéral. Ce que vous faites réellement quand vous êtes en GN, c’est créer une nouvelle réalité. Créer la réalité n’est pas la même chose que jouer à Dieu ; c’est pareil que d’être Dieu.
Je n’envisage pas la création d’une autre réalité dans le sens commun qui veut que vous créiez des choses à partir de rien, comme par magie, je ne suis pas fou à ce point. Ce que j’essaie de dire c’est que la réalité dans laquelle nous vivons est une construction sociale que nous créons ensemble pour nous-mêmes. Si cette construction détermine vos actions, elle est réelle, peu importe qu’elle soit vraie ou non (1). Le monde était plat quand vous n’osiez pas naviguer trop loin de peur de tomber de son bord.
Quand vous avez été divin pendant quelques jours, il est plutôt inévitable que vous reveniez auréolé d’une certaine gloire lors de votre retour à la civilisation. C’est la cause de l’APG ; vous avez vécu dans un environnement où vous avez été presque constamment créatif (en fonction de votre niveau d’activité dans le GN), au sens le plus profond du terme.
Une des raisons de la déprime Post-GN peut être alors que vous essayez de vous normaliser trop vite et de quitter l’état divin pour une existence où vous n’êtes pas un artiste créateur.
Comment être divin
Alors quels sont les prérequis pour devenir créatif de cette divine manière ? Nous pouvons étudier un phénomène qui s’y rattache, à savoir le moment magique où le rôle prend vie dans votre chair et votre sang, quand l’univers du GN devient la seule et unique réalité (2). Il peut y en avoir certains qui pensent que ce n’est pas une chose à laquelle aspirer, que cela peut provoquer un dédoublement de personnalité, que c’est antisocial ou une fuite de la réalité, mais je n’écris pas pour ce genre de personnes.
Dans le monde religieux, il y a une longue tradition d’expérimenter « pour de vrai » ce que d’autres considèrent comme un aveuglement illusoire. Depuis des temps immémoriaux, chamans et mystiques de toutes les croyances ont fait de leur mieux pour rencontrer Dieu ou Bouddha face à face. Y a-t-il quelque chose que nous pouvons apprendre de leurs méthodes ?
Dans la psychologie de la religion, il y a une théorie de prise de rôle, qui essaye d’expliquer comment l’expérience religieuse se produit réellement. Selon ce point de vue, un rôle contient aussi le contexte et les co-acteurs. Par exemple le rôle du petit chaperon rouge active également le rôle du loup. Les rôles sont ainsi des modèles pour nos actes, notre perception et un système de référence qui rend le monde compréhensible. Un homme avec un marteau voit un monde plein de clous.
Bien ; les traditions religieuses sont principalement constituées de rôles, où les co-acteurs peuvent être des dieux ou des saints, des avatars ou des devas (3). Lorsque vous endossez un rôle de cette riche tradition, vous pouvez activer le co-acteur “Dieu”, votre monde change et la croyance religieuse se transforme en réalité.
Que font les mystiques pour acquérir cette expérience ? Voilà les règles :
- Vous êtes un grand lecteur, c’est-à-dire que vous connaissez la tradition sur le bout des doigts (cf. le GNiste qui a appris l’historique de son monde).
- Vous êtes concentré, c’est-à-dire que votre vie est dépourvue de distractions terrestres (cf. le GNiste qui est entouré par des pairs, tous vêtus de la même façon, tous parlant des mêmes choses – comme dans un monastère).
- Vous êtes souvent épuisé par le jeûne, par les prières matinales et vespérales etc. (cf. le GNiste qui oublie souvent de – ne s’en soucie pas ou ne sait pas – cuisiner au milieu de la forêt, et dort seulement quand il n’y a pas d’orques aux alentours)
- Réponse. Ceci est le cœur du problème. Quand un croyant s’investit dans le rôle religieux dans lequel vous avez un “dialogue avec Dieu”, c’est précisément cette sensation d’une réponse qui rend l’expérience si convaincante. Le GNiste a vraiment un gros avantage ici car il est entouré de vraies personnes qui réagissent à ses actions. Des gens en chair et en os entrent dans un échange avec le rôle et ainsi le rendent authentique dans la chair et les os du Gniste.
C’est le même processus qui crée ma personnalité quand je suis un nouveau-né. Mon identité – mon moi – est créé par les réponses que j’obtiens de ma mère et de mon père. Par leurs réactions, j’apprends que je suis un petit être doux ou un foutu enfant gâté. De la même manière, le rôle est créé comme une véritable personne dans mon corps.
Le vrai dialogue
Alors quelle est la différence entre les réponses que j’obtiens quand je fais du GN et dans les autres cas ? Comment se fait-il que ce dialogue donne corps à la nouvelle réalité ? Quelle en est la nature ? Une autre réalité peut-elle être créée par n’importe quel dialogue séculaire ? Nom de Dieu, nous sommes presque tout le temps engagés dans un dialogue, quelle est la foutue différence ?
La raison pour laquelle nous n’obtenons pas le même déclic de la part de notre ego ordinaire est confirmée par le fait qu’il est constitué uniquement de nos concepts et croyances routiniers. Notre dialogue quotidien consiste en un échange constant d’affirmations “C’est mon image de la réalité et merci de l’appuyer”. C’est sympathique mais pas très exaltant.
Trois choses rendent un véritable dialogue créatif : 1) l’exploration, 2) l’absence d’ego et 3) la confiance.
Exploration
Le véritable dialogue n’est pas une conversation où vous essayez de vous convaincre mutuellement, il ne s’agit pas de gagner un débat. Dans ce contexte, nous pouvons penser au tabou du Dogme 99 contre le “ludisme”, où vous essayez de “remporter” le GN. Le dialogue est plutôt un tâtonnement commun à travers une jungle de faits internes /externes et de sentiments, où le principal objectif est de découvrir ce que vous ne connaissez pas. Et, de ce point de vue, collaborer avec les autres joueurs vers de nouvelles visions du monde (insights). Le véritable dialogue se rapproche plus de la recherche scientifique, de l’art ou des ébats amoureux.
Quand nous tombons amoureux, lorsque nous créons des œuvres d’art ou faisons de la recherche, nous arrêtons de nous fixer sur les choses que nous pensons connaître et partons explorer des terres inconnues.
Absence d’ego
L’absence d’ego signifie que nous renonçons à toutes les constructions habituelles qui composent notre identité. Nous devrions rechercher ce que les maitres zen appellent “l’esprit du novice”.
Ça marche comme ça : quand nous nous présentons au monde, nous fonctionnons sur deux niveaux. Nous avons des priorités et un objectif. Dans le même temps, il y a un sous-texte dans lequel nous choisissons une certaine manière de mettre en œuvre ce programme, pour communiquer une impression particulière de nous-mêmes. Si nous sommes trop concentrés sur l’ego, le sous-texte, alors personne n’entendra ce que nous essayons de dire. Si je vais au magasin dans mon déguisement médiéval de GN le plus imposant et demande du fromage, cela prendra un certain moment avant que mes mots ne leur parviennent, puisque que le sous-texte – mon apparence – bloque leurs oreilles.
Notre ego se compose essentiellement de protections. Notre éducation nous a fait croire que le monde se compose de différents types de menaces et c’est ainsi que nous développons une personnalité pour nous défendre contre elles. Nous nous définissons par ce que nous ne sommes pas : pas garçon / fille, pas Norvégien / Suédois, pas homo / hétéro.
L’absence d’ego signifie renoncer à ces définitions et entrer dans une relation où j’ai la possibilité d’être recréé, tout comme lorsque j’étais un nouveau-né.
Confiance
Ainsi, l’absence d’ego du vrai dialogue signifie relâcher ce sous-texte autant que possible. Je ne sais rien, je me fiche de comment tu me vois, j’ai laissé tomber mes défenses et nous fais confiance pour créer conjointement quelque chose de nouveau. C’est ce qui arrive quand nous tombons amoureux et bien sûr, il faut une quantité extrêmement grande de confiance dans le monde.
Pour créer cette confiance, vous devez avoir un environnement où vous êtes accepté, quoi qu’il advienne. C’est pourquoi les gens partent dans toutes sortes de retraites et stages New Age, et c’est le point essentiel dans un cadre thérapeutique : je reçois une confirmation inconditionnelle ; je trouve ce que j’aurais dû recevoir bébé – de la gratitude uniquement pour ma présence, en aucun cas pour mes accomplissements.
Tels sont les trois facteurs essentiels qui créent une nouvelle réalité. J’espère que la manière dont ces facteurs s’appliquent au GN est claire.
- Explorer est facile. Nous ne savons jamais ce qui va arriver dans un GN. Nous bondissons dans le flux des événements, réagissant à eux et en créant de nouveaux pour que d’autres y réagissent à leur tour.
- Absence d’ego. C’est en fait le cœur du GN : vous vous oubliez en vous mettant dans la peau d’un autre personnage. Nous renonçons à notre quête personnelle de reconnaissance – ludisme, théâtralisme (dramatism – le souhait de créer de belles histoires bien tragiques ≈ narrativisme (NdT)) – et laissons le rôle prendre les commandes.
- Confiance. Pour qu’un GN fonctionne, il doit y avoir un haut niveau d’acceptation de la part de tous les joueurs. Si je mets tout le temps en doute les actions de mes co-joueurs, à savoir ne pas “renvoyer la balle”, alors rien ne se passera (4). Si je n’adhère pas à l’histoire de l’adolescent qui possède une épée à trois mains et de tous les orques qu’il combattra, alors en fait je tue la partie (ainsi que sa confiance et son enthousiasme). J’espère aussi que vous voyez que c’est l’état naturel des enfants en bonne santé. Ainsi, si vous n’êtes pas comme des enfants, le royaume des cieux ne s’ouvrira pas pour vous (c’est pourquoi l’anti-jeu est un tel crime : vous fermez les portes du paradis).
Conclusion
Pour arriver à une conclusion je dirai un conte très court : “Dans l’arbre de vie, il y a deux oiseaux. L’un mange les fruits, l’autre regarde”. Fin de l’histoire.
Cette simple allégorie venue des Upanishad, peut-être les plus anciens textes existants, donne une description de la relation de l’ego à lui-même. Il y a une posture mentale d’où vous pouvez regarder les actions de l’ego. Maintenant qui est celui qui regarde l’ego ? Si le mot n’était pas si empreint de sens religieux, je dirais que c’est l’âme, mais maintenant je l’appelle simplement mon vrai soi. Depuis ce point de vue nous pouvons voir que nos névroses et complexes ne sont pas notre réelle identité ; nous pouvons voir que nos croyances, attitudes et modèles de pensées ne sont rien d’autre que des déguisements accidentels qui nous ont été imposés par notre psychohistoire. Bien sûr, il n’est pas toujours facile de nous en débarrasser, mais cela ne peut être fait que depuis cette position d’observateur.
La plupart des types de thérapies consistent à parler de votre propre comportement, ce qui peut être fait uniquement depuis un état extérieur à celui-ci. Par ex. dans la psychanalyse classique vous passez environs 7 ans rien que pour raconter tout ce qui se passe dans votre tête. Cela veut dire qu’une ou deux fois par semaine [– lors des séances –] vous vous mettez en mode d’observation de l’ego.
C’est aussi le message de presque toutes les traditions religieuses : vous devez vous perdre pour vous trouver. Aussi longtemps que vous vous identifiez avec l’ego vous serez toujours prisonnier de votre psychohistoire. Le GN nous montre un chemin menant hors de cette prison.
Ainsi nous revenons à la question de l’aura post-GN. Est-il possible de préserver cet état entre les parties de GN ? Ce que j’ai essayé de démontrer ici, ce sont les facteurs qui soutiennent l’aura post-GN – ce qu’il reste désormais à faire est seulement (seulement ?) d’activer le vrai dialogue autant que possible dans notre vie quotidienne. Si nous pouvons le faire, nous pouvons tout faire – et ensuite les seules limites sont celles imposées par notre imagination. Notre GN devenant ainsi une répétition pour un mode de vie plus authentique (5).
Notez bien s’il vous plaît – c’est important ! – que vous avez besoin des deux parties ; le dialogue authentique et votre vrai soi. En entrant dans un échange basé sur le mode de l’observation de l’ego, vous êtes dans la posture unique d’où vous pouvez vous libérer des contraintes de l’éducation. N’est-ce pas là l’essentiel de la vie ?
Article original : Larp as a Way to Enlightenment (p. 126 de As LARP Grows Up)
(1) NdT : Ceci est la définition de la diégèse. Lire Les Espaces diégétiques en GN. [Retour]
(2) NdT : Autrement dit, l’immersion dans le personnage. Discutée ici et là. [Retour]
(3) NdT : Plus de développement sur les mythes dans nos parties, qui peut vous faire réfléchir à des archétypes de personnages dans Le Pouvoir du mythe dans les JdR. [Retour]
(4) NdT : Retrouvez ce genre de techniques créatives inspirées de l’improvisation théâtrale. [Retour]
(5) NdT : Le difficile d’accès Identités autonomes propose aussi que la diégèse d’un GN puisse nous libérer de la prison des conventions et des contraintes sociales. [Retour]
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Commentaires
Celtos Antikos (non vérifié)
dim, 19/07/2015 - 17:05
Permalien
Bien vu
Bien vu de la part de l'auteur. Il y a sans aucun doute d'ailleurs des origines religieuses païennes au GN, ce dernier en étant une sorte de réminiscence dans la pratique ludique moderne. Il y avait toutes sortes de cérémonies dans l'Europe pré-chrétienne, pendant des milliers d'années, où les acteurs incarnaient,
Cela est à l'origine de beaucoup de nos fêtes, comme du théâtre grec antique.
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