L’essor et le déclin des campagnes de jeu de rôle
© 2014 Rob Conley
Sur son blog Hack & Slansh, Courtney Campbell parle des campagnes qui se plantent (en).
Comme certains d’entre vous le savent, je mène [la campagne] les Majestic Wilderlands grog [« Majestueuses Terres Sauvages »] depuis un bon moment. En fait, depuis plus de trente ans. Les toutes premières notes que j’ai datent de 1981. Toutefois je n’ai pas fait jouer une unique campagne pendant 30 ans. La plus longue que j’ai menée, au milieu des années 90, avec mes amis Tim Short et Dwayne Gillingham, dura 3 ou 4 ans. Au lieu de cela, je conserve le même univers de jeu avec un groupe différent ou avec un cadre différent. J’utilise les répercussions des campagnes précédentes comme arrière-plan pour les campagnes suivantes.
Tout cela a commencé parce que j’étais le MJ qui laissait les gens bousiller son univers. Faire tomber une cité-état ? Fonder un royaume ? Aucun problème ! Ce ne sera pas facile et il y aura des aventures ardues, mais si vous réussissez, je ne vais pas me hérisser et vous faire disparaître. Et croyez-le ou non, les MJ qui procédaient ainsi étaient considérés comme un problème à mon époque. Certains ne pouvaient tout simplement pas supporter l’idée que quelqu’un mette la pagaille dans leur précieux univers.
J’étais le fan typique de Science-Fiction/Fantasy qui, non content de lire Le Seigneur des Anneaux, en lisait aussi les appendices. Je prenais beaucoup de plaisir à laisser les joueurs et les joueuses « saccager » ma campagne, parce que les trucs qu’ils avaient à faire finissaient par ressembler à notre propre version de ces appendices, après que tout ait été dit et fait.
Ensuite, j'ai découvert que mes parties devenaient encore plus populaires quand elles étaient le résultat des campagnes précédentes, avec ces dernières en tant que toile de fond. Au début, ce n'était rien de plus que « Hey Rob, est-ce que le royaume que j’ai fondé est toujours là ? » Puis j’affinai à partir de là. Il m’est arrivé de mener des campagnes entières dont le seul but était de définir un aspect de l’univers qui intéressait tout le monde.
Quand vous laissez les gens “bousiller” votre univers, la méthode la plus naturelle pour cela est de mener votre campagne comme un bac à sable. Je ne pouvais pas prédire ce qui intéresserait les joueurs, j’ai donc appris à mener les Majestic Wilderlands comme une réalité virtuelle avec du papier et des crayons.
Les conséquences de ceci portent directement sur un problème soulevée par Courtney Campbell sur Google+. Dans son message, il mentionne cette étude (en) commandée par Wizards of the Coast sur les habitudes du jeu de rôle sur table. Il est indiqué que la durée moyenne d’une campagne est de 8 séances pour les nouveaux venus et que cela monte à 12 séances pour les rôlistes expérimentés.
À mon avis, c’est si court parce que le meneur qui fait jouer ces parties s’appuie trop sur les intrigues. Le jeu de rôle sur table est un loisir. Pour jouer régulièrement, le groupe a besoin de trouver cette activité non seulement amusante, mais aussi intéressante. Lorsque vous basez une campagne autour d’une intrigue, vous lancez littéralement les dés pour déterminer si l’intrigue est intéressante ou pas. Si ce n’est pas le cas, eh bien… cette campagne n’atteindra probablement même pas la moyenne de 8 à 12 séances.
Les campagnes basées sur une intrigue spécifique ont également un talon d’Achille dans le sens où lorsque cette dernière est résolue, alors quoi ? Peut-être que [le Meneur] invente une nouvelle intrigue, auquel cas elle se doit d’être intéressante pour que la campagne perdure.
Je tiens à préciser que les campagnes basées sur des intrigues ne sont pas mauvaises. En fait, quand un Meneur invente une bonne intrigue, il peut créer une sacrée épopée comme pour toute bonne histoire. Une campagne basée sur une intrigue présente aussi l’avantage d’être accessible aux nouveaux venus en fournissant une structure autour de laquelle elle s’articule. Ce type de campagne est également meilleur pour les grands groupes, où il y a un Meneur pour huit joueurs et joueuses ou plus.
Courtney Campbell a beaucoup de bonnes idées dans son billet. En fin de compte, la durée de la campagne dépend du fait de savoir si l’intrigue est intéressante ou pas.
Quelles sont les alternatives ? La campagne en bac à sable, bien sûr. Parce qu’elle porte sur ce que les joueurs et joueuses veulent faire à chaque étape, elle est beaucoup plus susceptible de produire ce que j’appelle l’Effet Soap Opera. C’est-à-dire le désir du groupe de jouer une séance de plus pour voir ce qui se passe. Bien sûr, cela peut arriver avec les campagnes basées sur une intrigue, mais c’est beaucoup plus probable avec celles en bac à sable, car en général, à un moment donné, les joueurs et les joueuses font ce qu’ils veulent.
Cependant les campagnes en bac à sable ont aussi des inconvénients. Puisque vous les utilisez comme une réalité virtuelle avec papier & crayons, le Meneur subit beaucoup de pression pour inventer des détails à la volée. Parfois les joueurs font quelque chose de stupide et les conséquences changent le cours de la campagne en quelque chose de déplaisant. À d’autres moments, le contexte ou la situation initiale de début de campagne s’avère inintéressante pour les joueurs et les joueuses. Ce qui semble être une bonne idée à la création de personnage ne fonctionne pas vraiment bien en jeu.
En bref, une campagne en bac à sable présente des avantages mais aussi des complications. Mais si vous évitez les pièges, j’estime qu’une bonne campagne de ce type durera beaucoup plus longtemps qu’une basée sur une intrigue.
Cependant, elles ne durent pas éternellement ; à un moment donné elles se terminent. Comment se plantent-elles ?
D’après mon expérience, les raisons les plus courantes de la fin d’une campagne en bac à sable sont :
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La situation / le contexte initial s’avère inintéressant.
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Les circonstances de la vie réelle changent, empêchant le Meneur de continuer la campagne.
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Le Meneur ou les joueurs et/ou joueuses foutent le boxon et les choses ne sont plus les mêmes après.
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Quand les personnages sont installés.
La situation / le contexte initial s’avère inintéressant
C’est la raison la plus courante d’arrêt d’une campagne en bac à sable avant une demi-douzaine de séances. Vous pouvez le voir dans les témoignages de forum du milieu des années 2000, lorsque l’idée des campagnes en bac à sable fut popularisée par l’équipe qui est derrière le Wilderlands Boxed Set, dont je fais partie. Nous avons donné l’impression qu’une campagne en bac à sable typique commençait avec les joueuses et les joueurs face à une carte vierge, et qu’on attendait qu’ils explorent leur environnement. En fait, beaucoup de gens ont essayé et trouvé cela déroutant et finalement ennuyeux. Leurs choix avaient aussi peu de poids que dans une intrigue linéaire, un peu comme s’ils lançaient des fléchettes sur une carte.
Les circonstances de la vie réelle changent, empêchant le Meneur de continuer la campagne d’être menée.
C’est plutôt évident. Étant une activité de loisir, le JdR sur table est bas sur la liste des tâches que l’on a besoin d’accomplir. Plus une campagne est longue, plus il y a de chances que cela se produise [ajoutons le burn-out (épuisement) du Meneur (NdT)]
Le meneur ou les joueurs foutent le boxon et les choses ne sont plus les mêmes après
Fondamentalement, la campagne passe par un moment de « n’importe quoi ». Les choses ne sont plus les mêmes après. L’incident du « Blue Demon »(1)est un exemple où j’ai pris une mauvaise décision. En fin de compte, quelques mois plus tard, Tim Shorts voulut continuer la campagne, qui s’avéra une des meilleures que j’ai menées et démontrant qu’il est possible de se remettre d’un tel moment.
Quand les personnages s’installent
C’est l’issue positive d’une campagne en bac à sable. Comme dans la vraie vie, dans une campagne de ce type, il y a des moments où les événements et les circonstances font que les personnages sont « établis ». La campagne pourrait être arrêtée et les personnages se fondraient parfaitement dans le cadre de vie de leur univers.
Mes deux dernières campagnes en bac à sable se sont terminées ainsi. La première avec quelques-uns des personnages-joueurs et joueuses rejoignant le Conseil de Viridstan - la plus grande ville du cadre de jeu -, combiné avec les autres PJ occupant des positions importantes et possédant plusieurs biens immobiliers. La seconde avec tout le monde participant à la construction d’une auberge. La campagne s’est terminée avec la construction de l’auberge et son ouverture sans problèmes.
Un autre exemple notable est la campagne que j’ai menée avec Tim et Dwayne. Tim jouait un forgeron ; Dwayne, un agent de la police secrète du Seigneur du mal, le Black Lotus. La campagne a débuté par une mission consistant à comprendre ce que préparait un duc rebelle. Cela a finalement abouti à la découverte que le duc était en train de construire des armes à feu et des canons primitifs, destinés à être utilisés comme armes de siège. Nous enchaînâmes sur l’arrestation du duc et l’avortement de la rébellion. Après le dénouement, Tim et Dwayne ont conclu que leurs personnages avaient atteint suffisamment de leurs objectifs pour qu’il n’y ait plus de raison de partir à l’aventure. Nous avons ainsi terminé la campagne et sommes passés à une autre avec de nouveaux personnages, et cependant le même cadre.
Article original : The Rise and Fall of Roleplaying campaigns
Sélection de commentaires
Inconnu
Je ferais attention à ne pas trop prendre pour acquis que « la campagne moyenne » dure de 8 à 12 séances. En réalité, cela signifie que pour chaque campagne qui dure 20 séances, il y en a plusieurs qui implosent après seulement une seule.
Chris C.
La façon dont tu gères les Wilderlands est fondamentalement le modèle de ce que je veux pouvoir faire un jour : avoir un cadre suffisamment riche et digne d’y revenir à plusieurs reprises et de le laisser aller où il voudra. Plus j’y joue, plus je l’apprécie.
Hedgehobbit
Toutes les premières campagnes de D&D (Blackmoor, Greyhawk, Tekumel) ont fonctionné comme un cadre de jeu persistant, l’Histoire de ce cadre étant formée par l’action des [premiers] joueurs. Cependant, ces campagnes, du moins au début, n’avaient pas de groupe de PJ constant, car chaque semaine, différentes personnes se pointaient pour jouer. Ainsi vous aviez une réserve de joueurs dont seulement certains étaient à la table de JdR en même temps. Puisqu'ils jouaient sur différentes durées, leurs persos étaient tous à des niveaux différents.
Cela pourrait aider à quand les personnages s’installent. Étant donné que seule une petite partie des joueurs mettra leur perso à la retraite à un moment donné, ils peuvent créer de nouveaux personnages, laissant les autres joueurs avoir les persos aux plus hauts niveaux (et avoir ainsi un rôle moteur plus important).
(1) NdT : référence à l’article From Other Side of Screen de l’auteur. Lassé des triomphes à répétition des PJ, le MJ a lancé contre leur bateau un démon très puissant (« Blue Demon »). Les PJ ont dû abandonner leur navire, et les aventures qui allaient avec. Un des joueurs (Tim) a souhaité poursuivre la campagne malgré tout. Les emplois du temps des autres joueurs ne leur permettaient pas reformer le groupe ; Tim et l’auteur ont donc continué la campagne à deux.[Retour]
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