Points négatifs

[Dans un précédent article Création de personnage (ptgptb)] nous avions parlé de la création de personnages pour les jeux de rôles. Nous nous sommes alors concentrés sur les approches de JdR libres [freeform] ; pourtant il y a beaucoup à dire sur les autres manières de faire.

La majorité des jeux de rôles se répartissent en deux méthodes : aléatoire, ou à base de points [à dépenser]; mais il en existe une pléthore de variations.

Un grand nombre de rôlistes n’aiment pas la génération aléatoire de personnage. Ils veulent avoir la possibilité, grâce aux points, de construire le PJ de leurs rêves. Afin de faire face à l’inévitable vague de cris et de larmes, permettez-moi de me faire l’avocat des systèmes aléatoires.

L’approche par achat entraîne une hypothèse implicite : tous les personnages sont créés égaux, pas devant la loi mais dans les faits. Elle suggère que la star de football, le major de promo, le président du Conseil des Étudiants et le taré de l’école sont tous équitablement pourvus mais ont des compétences dans des domaines différents.

Cela me rappelle le trait d’esprit d’un professeur chauve au début d’un discours, juste après avoir été présenté par l’hôte chevelu à la barbe imposante : “Je suppose que nous recevons tous la même quantité d’hormones, et s’il préfère utiliser les siennes pour se faire pousser des cheveux - c’est son choix”.

Le fait est que nous n’avons pas tous été créés égaux, même si on peut expliquer nos différences. Les humains sont égaux devant la loi, mais qui pourrait soutenir que Stephen Hawking (physicien), Nolan Ryan (lanceur de baseball jouant en Major League), Donald Trump (milliardaire), George W. Bush ([ex-]Président), le révérend Billy Graham (évangéliste) et Angela Lansbury (actrice) sont égaux de fait ? Et même si - après avoir comparé leurs forces et faiblesses -, nous concluions que le tout donne plus ou moins le même capital, pourrions-nous décemment nous inclure ainsi que nos amis dans cette liste ?

Si tous les personnages de jeux de rôles étaient les mêmes, vous n’auriez pas besoin de génération de personnage, vous diriez juste “Voilà une fiche, écrivez le nom de votre personnage en haut” et ce serait terminé. Le jeu de rôle est rendu intéressant par le fait que les personnages ont des forces et faiblesses différentes, mais aussi d’une certaine manière parce qu’ils ont différents niveaux de puissance globale.

Si vous jetez un œil aux héros de nos histoires, vous vous rendrez compte qu’ils ne sont pas égaux non plus. Personne ne pourrait soutenir le fait que les neufs compagnons de la Communauté de l’Anneau sont également doués. Gandalf et Aragorn sont clairement supérieurs aux autres.

Prenez en compte leurs ennemis, et il sera évident que les dons ne sont pas distribués équitablement; Luke, Leia, Han, Chewbaka, Z6PO, R2D2, Obi-Wan et Lando ne sont pas égaux entre eux, ni avec Vador, l’Empereur, Dark Maul ou les représentants de la Fédération du commerce. Si ces personnages disposaient de puissance équivalente dès le début, l’histoire serait bien moins palpitante.

Les systèmes à base de points tendent à créer des personnages aussi doués les uns que les autres dès le départ, hormis dans les cas où les joueurs ne savent pas utiliser le système ou bien créent intentionnellement des personnages plus faibles que la normale. Les systèmes aléatoires offrent au moins partiellement cette différence à la fois de points forts et de puissance générale, rendant certains personnages intrinsèquement meilleurs. C’est plus réaliste, cela donne également de meilleures histoires.

De toute évidence, si un système aléatoire est construit de telle sorte qu’il puisse créer des personnages totalement inutiles, il est défaillant. C’est le cœur du problème avec la plupart des systèmes aléatoires : ils créent des personnages sans intérêt. Ils ont également tendance à créer une majorité de personnages moyens [car utilisant plusieurs dés donc favorisant des résultats intermédiaires (NdT)]. Les astuces proposées pour y remédier varient selon un large éventail :

  • empêcher un personnage d’avoir des caractéristiques inférieures à la moyenne (une faille en soi, puisque les personnages les plus intéressants sont parfois la brute incroyablement forte et stupide et le maigrichon super-intelligent),
  • bazarder les personnages qui ne satisfont pas certains minimums (ce qui ne remédie pas à la prolifération de personnages moyens),
  • ou créer principalement des super-héros dans tous les domaines (encore une fois en éliminant les équilibres intéressants entre forces et faiblesses).

Mais il y a des astuces qui fonctionnent. Ces idées devraient encourager certaines des vôtres.

Une solution consiste en un système basé sur une combinaison aléatoire/par points, où la fourchette de points disponibles est établie, mais chaque joueur doit lancer les dés pour savoir où son personnage se trouve dans cette fourchette. Cela donne une variation de la compétence globale tout en permettant aux joueurs de contrôler où les faiblesses de leur personnage résident. Vous pouvez obtenir le même résultat en lançant d'abord les caractéristiques puis en les ajustant en les répartissants ou en dépensant des points.

J’ai récemment vu un postulat intéressant qui prenait le contrepied de tout ça : le nombre total de points était fixe, mais leur distribution était aléatoire. La mise en œuvre d’un tel système pourrait être complexe, et il souffre de la faiblesse de considérer une égalité générale des protagonistes ainsi que d’un manque de contrôle du joueur sur les forces de son personnage, mais il procure une variation intéressante entre des personnages très compétents dans un domaine ou un autre, et d’autres PJ aux caractéristiques globalement équilibrées.

On a évoqué une idée qui est une sorte de système d’archétype et de points, où l’on choisit d’abord un type de personnage pour ses points forts propres, et on dépense ensuite un nombre de points bien plus réduit pour l’affiner, par exemple en choisissant une brute stupide et en décidant ensuite si on veut la rendre un peu moins stupide ou un peu plus brutale. Un tel système permet au créateur d’échafauder des concepts de personnages qui serviront de point de départ, qu’ils soient aussi orientés que les classes de personnages, ou aussi lâches que de simples domaines d’aptitudes fondamentales. Vous disposez alors de modèles pour les personnages privilégiant la force et d’autres pour ceux qui privilégient la réflexion ou la négociation ou la ruse. Chacun d’entre eux fournit un ensemble de base de capacités pouvant être associées à des compétences, et un capital de points à utiliser pour les personnaliser (1).

Une autre idée peu mise en pratique mais tout à fait viable est de fournir pour différents aspects du personnage différents jets de dés. Par exemple si vous avez six scores compris entre 1 et 20, le joueur a la possibilité de lancer (une seule fois chaque) et d’arranger dans l’ordre qu’il souhaite :

  • 1d20 (1 à 20, linéaire)
  • 3d6 (3 à 18, tendance assez forte vers 10 ou 11)
  • 3d4 (3 à 12, tendance assez forte vers 7 ou 8)
  • 4d4 (4 à 16, très forte tendance vers 10)
  • 2d10 (2 à 20, faible tendance vers 10 ou 11)
  • 2d4+12 (14 à 20, faible tendance vers 15 ou 16)

Cela donne un grand nombre de courbes différentes, garantissant au moins un score à 14, un score inférieur ou égal à 12, un seul pouvant être inférieur à 2 et ainsi de suite. Cela reste très aléatoire mais conserve une certaine constance dans les différences entre personnages. Vous n’aurez clairement pas un personnage avec 20 partout et un autre avec uniquement des 2.

Il y a des moyens de concevoir des systèmes à points qui contournent le concept d’égalité. Une idée fascinante qui émerge ici et là mais qui, à ma connaissance, n’a jamais été intégrée dans un JdR du commerce est la notion d’emprunt de points avec intérêts. Ainsi, vous donneriez à vos joueurs cent points avec lesquels construire leur personnage qui serait alors novice. Toutefois, s’il le souhaite, un joueur peut emprunter une, deux ou plusieurs centaines d'autres points et les utiliser pour développer son personnage jusqu’à en faire un maître dans son domaine. Cela peut sans doute paraître injuste au début de la campagne ; mais par la suite, en admettant que les mêmes points dépensés pour créer les personnages sont gagnés dans les parties et dépensés en améliorations, les personnages ayant emprunté un grand nombre de points auront des dettes dont ils devront s’acquitter, et seront donc privés d’une partie de ces points.

Pendant ce temps le personnage novice, n’ayant pas de dettes à rembourser, progressera rapidement jusqu’à – en théorie – dépasser le maître à un moment donné. Ce dernier, en effet, à cause des intérêts sur les points empruntés, doit payer ses compétences plus cher à long terme.

Les détails d’un tel système n’ont pas encore été définis. Quelle proportion de points doit-elle être utilisée pour rembourser l’emprunt ? Quel est le taux d’intérêt ? Y a-t-il un maximum de points que l’on peut emprunter ? Que se passe-t-il si un personnage a des arriérés de paiement ? La tenue des comptes peut se révéler rédhibitoire. Toutefois, pour créer un jeu de rôle où Luke Skywalker, Obi-Wan Kenobi et Han Solo démarrent tous en même temps, cela se révèle plein de promesses. Luke, qui n’aura dépensé que son capital de départ, progressera plus vite. Han aura emprunté quelques points pour ses compétences et sera donc meilleur que Luke au départ, mais avancera plus lentement. Obi-Wan quant à lui aura emprunté énormément, et dépensera désormais quasiment tous ses points pour couvrir sa dette, incapable de s’améliorer notablement dans un futur proche.

Il y a toute une armée de rôlistes qui aiment l’idée de démarrer sur un pied d’égalité (une idée très spécifiquement ludiste, bien que tous les ludistes ne la partagent pas). Aucun système de création de personnage ne correspond à chaque joueur ou à chaque jeu de rôle. Le meilleur moyen d'obtenir ce que vous voulez est de créer un personnage en définissant le concept et l’identité de PJ, avant de les traduire en termes de règles comme nous en discutions dans Création de personnage – mais c’est beaucoup plus difficile pour un univers de Fantasy ou de Science-Fiction, puisqu’il sera moins évident de disposer des références nécessaires à la conversion. Disposer d’options est important, mais comprendre leurs forces et leurs faiblesses est essentiel ; sinon les options sont inutiles.

Article original : Game Ideas Unlimited: Negative Points

(1) NdT : Le Rolemaster Standard System utilise cette notion avec les training packages. Il s'agit de groupes de compétences que le joueur peut acquérir à un certain coût, dépendant de sa profession initiale. Par exemple, le training package Érudit coûtera moins cher aux utilisateurs de sorts qu'aux combattants. Mais bon, Rolemaster est un système reconnu pour sa complexité... [Retour]

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Commentaires

Deux remarques à la lecture de cet article :

D'abord, le problème de la création complètement aléatoire est selon moi le manque de contrôle sur le rendu final. En général, quand je me lance dans la création d'un personnage, j'ai déjà une idée de ce que je veux obtenir. Du coup, je n'aime pas que le système me pousse dans une autre direction. On peux remédier à cela avec un mémange "aléatoire + point à répartir" pour donner une base différente et une variation de puissande et puis laisser le joueur corriger (ou pas) selon son inspiration et ses motivations.

Ensuite pour le concept d'emprunt de points de création. Je ferais juste remarquer que si l'objectif est de créer des personnages plus agés donc plus compétents à la création (ce qui est le cas des exemples proposés), divers jeux proposent déjà cela (Ars Magica, Pendragon) et l'équilibre par un mécanisme de vieillisement qui donnera bien des soucis par la suite aux personnages un peu vieux. Cela suppose néanmoins que le campagne dure suffisament longtemps sinon, celui qui aura pris des compétences à crédits n'aura jamais le temps de les rembourser et sera ainsi très avantagé.

Après peut être aussi que l'on s'en moqe éperduement et que jouer des personnages de puissances différentes n'est pas problèmatique, si les joueurs les plus puissants font attention à ne pas en profiter pour monopoliser la narration ce qui, pour le coup, est problématique.

Auteur : 
Pal'

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