Rendre les insectes effrayants

La petite touche pour vos JdR horrifiques

papillon

L’Horreur dans les JdR ressemble beaucoup à l’Horreur que l’on peut voir dans les films. La première fois que vous préparez un scénario horrifique, c’est effrayant. La seconde fois, ça peut être effrayant. Et la troisième fois, avec toujours la même recette ça devient ennuyeux.

Utilisez trois fois les mêmes astuces et vos joueurs et joueuses commenceront à blaguer du ridicule de l’ensemble du scénario.

Avez-vous déjà vu un film d’horreur avec un monstre si terrifiant que vous en trembliez ? Et quand une suite fut annoncée, avec encore plus de monstres, vous êtes-vous précipité.e pour la voir avant d’être déçu.e même si vous avez tout de même eu des frissons ? Est-ce qu’un troisième volet est sorti, avec encore plus de monstres, et une fois vu, après quelques semaines d’attente, vous en êtes sorti ennuyé.e sans avoir ressenti le moindre frisson ?

Lorsque la 4e suite est sortie (avec encore plus de monstres et un maniaque avec une tronçonneuse), avez-vous attendu la sortie du DVD pour le regarder juste pour rire ? Et si un 5e film est annoncé – avec, sans surprise, encore plus de monstres – peut-être attendrez-vous que le film passe à la télévision, pour le regarder dans l’espoir de rire un peu ?

Le genre de l’Horreur consiste à faire ressentir un instinct primaire : la peur. La peur fut un ingrédient clé dans la survie de notre espèce. Peu importe à quel point ils étaient curieux, la peur a retenu nos ancêtres de tapoter un tigre à dents de sabre avec un bâton pendant son sommeil. Qu’en est-il du mec qui a titillé le tigre ? Eh bien, il n’a pas eu de descendants en raison de la disparition soudaine et violente de son ADN du grand capital génétique de l’humanité. Vous voyez le topo : parfois, c’est bien d’avoir peur.

Mais la peur est quelque chose de difficile à susciter chez vos joueurs et vos joueuses, lorsque tout le monde est confortablement assis autour d’une table en mangeant une pizza et en jouant à un Jeu de Rôle. Ce qui effraie habituellement quelqu’un dans la vraie vie :

MJ, dans la réalité : « Mec, t’as une abeille sur l’épaule. »

Joueur : « QUOI ? ! Enlève-la ! Oh mon Dieu ! Ne reste pas planté là ! Aide-moi ! »

… n’est qu’un petit inconvénient en jeu :

MJ, dans la partie : « Une abeille se pose sur l’épaule de ton personnage. »

Joueur : « Oh, c’est une abeille magique ? »

MJ : « Non, elle a l’air d’être normale. »

Joueur : « Je l’ignore. »

MJ : « Hum. Elle pourrait piquer ton personnage ! »

Joueur : « Je me sens surtout d’humeur à me faire un dragon, là. »

Ça explique pourquoi la plupart des JdR d’Horreur comportent des tonnes et des tonnes de monstres. Ils sont effrayants, dégoûtants et sanguinaires, pour tenir en haleine les personnages.

Flatidae

Quand le monde réel n’est pas assez effrayant, nous inventons des choses pour nous faire peur (ne demandez pas pourquoi on le fait). Les vampires, les loups garous, les fantômes, sont tous des éléments communs aux mythes de bien des cultures. Les histoires d’horreur sont racontées dans toutes les langues du monde et il y a souvent un certain monstre au centre de chaque histoire.

Le problème avec les monstres, c’est qu’on a un second instinct de survie qui contrecarre nos peurs sur le long terme : notre espèce a un fort désir d’apprendre. Nous prenons l’effrayant et l’inconnu et nous l’analysons jusqu’à le comprendre.

Vos joueurs.euses feront la même chose dans vos parties d’épouvante. La première fois, leurs personnages feront face à un monstre dont ils auront peur ; la deuxième fois, ils tenteront de l’analyser ; et à la troisième rencontre, les personnages attaqueront s’ils ont l’impression qu’ils le peuvent. C’est un excellent modèle de survie pour l’espèce humaine, mais un modèle bien pourri pour un.e MJ menant une partie d’horreur (1) .

Alors comment pouvez-vous contrer ce phénomène dans vos parties ? Eh bien, rien ne vaut une scène bien conçue, qui ajoute du terrifiant dans du banal. Reprenons l’exemple de l’abeille :

MJ, dans la partie : « Une abeille se pose sur l’épaule de ton personnage. »

Joueur : « Oh, c’est une abeille magique ? »

MJ : « Non, elle a l’air d’être normale. »

Joueur : « Je l’ignore. »

MJ : « Deux autres abeilles la rejoignent et se posent sur la même épaule. »

Joueur : « Je croyais que tu avais dit qu’il s’agissait d’abeilles normales ? »

MJ : « Oui, en tout cas elles semblent normales. Ton personnage a maintenant une douzaine d’abeilles sur son épaule. Tu ne sais pas d’où elles viennent. Tu peux les sentir maintenant remonter vers ton cou… Le col de la veste de ton personnage est-il très serré ? »

Joueur : « Euh, très très très serré ! Est-ce qu’elles le piquent ? Est-ce qu’il y a de l’eau pas loin, dans laquelle mon personnage pourrait plonger ? Pourquoi se sont-elles posées sur lui ? »

MJ : « Non, elles ne le piquent pas, et il n’y a aucune raison évidente pour la présence de cet essaim. Les abeilles commencent à se faufiler jusqu’à tes cheveux et ton visage… Leur bourdonnement remplit tes oreilles. Elles doivent maintenant être près d’une cinquantaine, couvrant le haut de ton dos. Tu peux sentir leurs petites pattes s’agripper à ta peau. Les poils de ta nuque se dressent en sentant leurs dards te frôler, à quelques millimètres de ta chair. »

Joueur : « Mec ! Arrête ! Ça fait peur ! »

abeille

En rendant ces abeilles effrayantes, vous créez une certaine tension. Pour les rendre effrayantes, il suffit de vous baser sur leur comportement habituel puis le déformer. Vous devez faire en sorte que le joueur ne comprenne plus comment agissent les abeilles. Vous devez ignorer tout ce que vous et vos joueuses connaissez à propos des abeilles. Pour parler franchement, vous devez rendre les insectes de nouveau effrayants.

Ça peut même fonctionner avec les plus inoffensifs des insectes, comme les cafards. Quand les personnages entrent dans un appartement, décrivez un étrange bruit de grattement – dont ils ne peuvent identifier l’origine. Après plusieurs tentatives pour localiser d’où vient ce bruit, les personnages comprennent que ça vient du plafond.

Un personnage attrape alors un balai et tape sur la zone du plafond d’où semble venir le bruit. Le placo se fissure sous le coup et une portion du plafond tombe. Et soudain ! Des centaines de cafards tombent sur les personnages ! Tout un nid de cafards sales et dégoûtants (mais sans doute inoffensifs) tombe sur les personnages !

Et vous, en tant que MJ, pouvez aller au-delà des insectes : ombres, bruits, animaux domestiques au comportement inhabituel (2) , enfants qui disent des choses qu’ils ne devraient pas savoir, femmes âgées demandant aux PJ s’ils veulent des biscuits au « jus de cerise »… Toute une série de choses banales peuvent être rendues effrayantes avec un léger changement.

Pendant une scène, prenez le temps de transformer le bizarre en horrible, pour augmenter la tension et pour que, lorsque vous révélerez vos monstres aux personnages, ils aient vraiment peur !

N’hésitez pas à faire revenir les monstres classiques ! Laissez ces zombies rôder dans la campagne et ces loups-garous chasser aux alentours de la ville ! N’oubliez pas de prendre le temps de rendre effrayantes les scènes simples. Après tout, tout le monde aime avoir peur, de temps en temps.

Que faites-vous pour effrayer vos joueurs et vos joueues ? Quelle est la rencontre non-menaçante (comme les abeilles) qui leur a le plus fait peur ?

Article d’origine : Make the Bugs Scary: Little Touches for Horror RPGs

Sélection de commentaires

  • Walt C.

Un des problèmes avec L’Appel de Cthulhu (dont je suis un grand fan) est sa dépendance au Mythe. Lovecraft utilisait rarement le même monstre deux fois et pourtant les scénarios de l’AdC sont pleins de villageois à tête de poisson, de gens à l’esprit dérangé, d’humanoïdes venus des profondeurs, d’insectes aliens, et de dieux octopoïdes.

J’ai découvert que la meilleure façon de faire peur aux joueur.euses (et, par extension, à leurs personnages) était de décrire une scène normale légèrement « fausse ». Deux exemples me viennent à l’esprit :

  1. Dans un scénario, les personnages traversaient les vallées forestières du New Jersey, à la recherche d’un village. Alors qu’ils roulaient sur un chemin en terre, je leur ai demandé de faire un test de Perception. Les personnages qui l’ont réussi ont remarqué que les arbres bordant la route étaient peuplés de corbeaux. Ces oiseaux venaient de se percher silencieusement et les observaient. Ça a vraiment fait peur aux joueurs, et ils anticipaient une attaque (comme dans Les Oiseauxwiki d’Hitchcock) : cette attaque n’a jamais eu lieu. Les oiseaux ont continué à les observer, tournant la tête en suivant la voiture.

Les Oiseaux, d'Alfred Hitchcock - corbeaux sur fils

  1. Dans un autre scénario, les personnages se trouvaient en Virginie Occidentale, dans une ville qui n’apparaissait sur aucune carte. La ville était pittoresque, elle ressemblait à une petite ville qui n’aurait pas changé depuis 60 ans (et on jouait dans un cadre contemporain). Un des personnages est entré dans le magasin principal, et a remarqué que les prix étaient vraiment bas. Les articles en vente étaient propres mais semblaient anciens. Et aucun habitant du coin ne semblait au courant de l’actualité. Les personnages pensaient avoir voyagé dans le temps, jusqu’à voir un Boeing 747 voler dans le ciel. En cherchant des réponses, ils sont entrés dans la mairie : un des personnages repéra une photo de l’inauguration de la mairie, en 1939. Il fut horrifié de se voir dans l’arrière-plan de la photo.
    • Réponse de Martin

Cette ville paumée est terrifiante, Walt ! Qu’est-ce qui est arrivé à la ville après – et pourquoi le personnage était-il dans la photo ?

  • Réponse de Walt C

Je ne me souviens pas de tous les détails, c’était il y a six ans. Je n’ai pas eu l’occasion de mener de nouveau une partie dans ce cadre pour le faire évoluer, parce que je n’ai pas eu de groupe qui ne contienne au moins un joueur ou une joueuse (j’en ai épousé une !) qui l’ai déjà joué. Je vais prendre le temps d’y réfléchir et voir si je peux recoller les souvenirs du scénario pour imaginer une suite.

Pour répondre à ta dernière question, Martin, les personnages avaient en fait bien voyagé dans le temps – mais plus tard dans le scénario. Pendant qu’ils se matérialisaient à l’arrière d’un bâtiment, un PJ avait remarqué du coin de l’œil de l’agitation : il s’est approché pour mieux voir, au moment où le maire coupait la banderole et qu’on prenait la photo.


(1) NdT : ce problème ne se pose pas dans certaines parties de jeux tels Cthulhu Dark ou Lovecraftesque, qui ont pour vocation de ne pas permettre aux personnages de vaincre l’horreur. Les auteurs de Lovecraftesque l’expliquent dans Dans les interstices du monde connu ptgptb. [Retour]

(2) NdT : quoi de moins dangereux qu’une mule, par exemple ? Á part plusieurs mules malignes ptgptb ? [Retour]

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