Lovecraft, les nerds et l’utilisation du berk

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Il se peut que vous n’aimiez pas Lovecraft, mais il y a des chances que vous aimiez quelque chose de lovecraftien – comme ce [crocodile de fantasy (en)] ou [ces hommes-poissons du Nord-Ouest de l’Amérique (en)]. Alors, une fois de plus, parlons de Lovecraft…

Imaginez une personne aimée, quelqu’un dont vous connaissez l’histoire : votre frère, votre chien, votre amoureux, un parent, Prince, Lemmy de Motörhead, vous-même – des personnes que vous pouvez vous représenter avec un vécu précis, avec des détails uniques qui ne s’appliquent qu’à eux.

Ensuite imaginez que vous découvrez que leur histoire s’est terminée. C’est fini, tout comme leurs œuvres. Quelque chose de continu et d’unique a désormais disparu.

C’est la peur de la mort. Cette peur n’est pas lovecraftienne. L’homme frêle et soucieux et son œuvre lugubre avaient peur de beaucoup de choses, mais pas vraiment de la mort.

Dans ses œuvres les plus classiques, celles qui l’ont rendu important aux yeux des écrivains, artistes, cinéastes et créateurs de jeux postérieurs, la mort est rarement le sujet. La mort est l'un des nombreux sous-produits (folie, hybridation perturbante, documentation cassandrienne obsessionnelle) d'une révélation plus terrible. La moitié du temps, les monstres sont à peine actifs, encore moins meurtriers. L'horreur est simplement qu'il y a eu contact.

Alien est très semblable au roman Les Montagnes hallucinées (et Prometheus l’est encore plus, comme beaucoup de gens l’ont remarqué) sauf quand il s’agit d’un passage à suspense (« Jones ! Viens ici minou minou ») c'est-à-dire quand il y a la peur de la mort.

La mort est le vieil oripeau de l’horreur gothique : crânes, squelettes, vampires – et le genre gothique a de l’amour en lui, pour que vous vous souciez de la victime quand la mort survient. Avec Lovecraft c’était autre chose : des personnages dont on se souciait peu de savoir s’ils survivaient ou non à la rencontre qui causerait leur mort ; et à la place, au véritable paroxysme [de l’histoire], ils étaient témoins d’une horreur. Et quelle était cette horreur si ce n’était pas la mort ?

C’était une horreur pullulante, prolifique, impénétrable, d’une inéluctable et grande étrangeté – cette chose dont Werner Herzog parlait quand il pénétra dans la jungle et qu’il décrivit comme « … cette misère écrasante et cette copulation étouffante … cette croissance inéluctable et ce manque d’ordre accablant. » C’est ça, la vie.

Autobiographiquement :

Il fit face à la mort avec courage. Atteint d’un cancer de l’intestin qui s’est généralisé à l’ensemble du tronc, il est transporté le 10 mars 1937 au Jane Brown Memorial Hospital. Il se comportera en malade exemplaire, poli, affable, d'un stoïcisme et d'une courtoisie qui impressionnèrent ses infirmières, en dépit de très grandes souffrances physiques (heureusement atténuées par la morphine).

C’est tiré de H. P. Lovecraft - Contre le monde, contre la vie de Michel Houellebecq, qui soutient, par exemple, que Lovecraft était en opposition avec le monde et la vie. Alors d’accord, il n’avait pas peur de la mort, mais était-il bizarre au point d’avoir eu peur de vivre ? Absolument, tout à fait et – dans une lettre écrite – avec éloquence – quelques jours avant son improbable mariage :

Et quant aux inhibitions puritaines - Je les admire davantage chaque jour. Elles tentent de faire de la vie une œuvre d'art - pour façonner un modèle de beauté dans la mare aux cochons qu'est l'existence animale - et elles surgissent de cette haine divine pour la vie, qui est la marque de l'âme la plus profonde et la plus sensible ... Un puritain intellectuel est un sot - presque autant qu'un anti-puritain est un sot - mais un puritain dans la conduite de la vie est le seul genre d'homme que l'on peut honnêtement respecter. Je n'ai aucun respect ni révérence pour toute personne qui ne vit pas sobrement et purement.

Lovecraft était tellement dégoûté par le sexe, le commerce et les liens sociaux occasionnels, qu'il les a totalement laissés hors de sa fiction. En ce qui concerne les races :

Les choses organiques qui hantent cet affreux cloaque ne sauraient, même en se torturant l’imagination, être qualifiées d'humaines. C'étaient de monstrueuses et nébuleuses esquisses du pithécanthrope et de l’amibe, vaguement modelées dans quelque limon puant et visqueux résultant de la corruption de la terre, rampant et suintant dans et sur les rues crasseuses, ou entrant et sortant des fenêtres et des portes d'une façon qui ne faisait penser à rien d’autre qu’à des vers envahissants ou à des choses peu agréables issues des profondeurs de la mer. Ces choses – ou la substance dégénérée en fermentation gélatineuse dont elles étaient composées – avaient l’air de suinter, de s’infiltrer et de couler à travers les crevasses béantes de ces horribles maisons… et j’ai pensé à un alignement de cuves cyclopéennes et malsaines, pleines jusqu’à déborder d’ignominies gangrenées, sur le point de se déverser pour inonder le monde entier dans un cataclysme lépreux de pourriture à demi liquide. De ce cauchemar d’infection malsaine, je n’ai pu emporter le souvenir d’aucun visage vivant. Le grotesque individuel se perdait dans cette dévastation collective ; ce qui ne laissait sur la rétine que les larges et fantomatiques linéaments de l’âme morbide de la désintégration et de la décadence… un masque jaune ricanant avec des ichors acides, collants, suintants des yeux, des oreilles, du nez, de la bouche, sortant en tous ces points avec un bouillonnement anormal de monstrueux et incroyables ulcères…

Il y a deux choses remarquables dans cet extrait : premièrement, c'est du pur Lovecraft. Deuxièmement, ce n’est pas tiré de Horreur à Red Hook, mais de la lettre d’HP à un correspondant, décrivant le quartier de mon grand-père à New York.

Le type spécifique de racisme de Lovecraft provenait du dégoût, du dégoût de l'ignorance, de l'ignorance d'une autre peur, plus grande : la peur d'un rapport immédiat avec d'autres personnes. C'est en d’autres mots : la vie.
 

Lovecraft est ce qui se produit lorsque nous prenons une figure familière - le rat de bibliothèque timide, nerveux, fragile, opposé aux conflits et introverti, sans le sou et dont la principale sortie sociale consiste en des conventions intellos de sans-vie (nerds) - et qu’on place dans une époque, une classe sociale, et une situation familiale et professionnelle où éviter L'Autre est le chemin de la moindre résistance. C'est un homme qui n'a jamais rien appris dans un bar, une cafétéria ou sur un terrain de sport ; il s'est instruit auprès de ses parents et des livres, et rien de ce qu'il y a appris ne l'a renseigné sur ces «italo-semitiquo-mongoliens» parmi lesquels il vivait.

Dans ces conditions, sa peur de la vie - que nous pouvons sans trop nous avancer appeler sa nerditude (nerdiness) - ne pouvait qu'encourager son racisme. Je n’aspire qu’à être seul dans mon lit avec mes livres. Et c'est une sorte de cas d'école parfait car c’était tout sauf un connard : les personnes qu’il fréquentait ont décrit un homme courtois, gentil et généreux, désireux de rejoindre les associations de fanzines (le pré-Internet) pour aider ses camarades esthètes à traverser l'effroi et la noirceur que sont cette enveloppe charnelle et ses ignobles attentes.

Il considérait les New-Yorkais avec répulsion, mais il contemplait New York avec admiration :

J'ai failli m'évanouir d'exaltation esthétique en admirant ce point de vue – ce décor vespéral avec les innombrables lumières des gratte-ciels, les reflets miroitants et les feux des bateaux bondissant sur l'eau, à l'extrémité gauche l'étincelante statue de la Liberté, et à droite l'arche scintillante du pont de Brooklyn. C'était quelque chose de plus puissant que les rêves de la légende de l'Ancien Monde – une constellation d'une majesté infernale – un poème dans le feu de Babylone ! (…) Tout cela s'ajoutant aux lumières étranges, aux bruits étranges du port, où le trafic du monde entier atteint son apogée. Trompes de brume, cloches de vaisseaux, au loin le grincement des treuils... visions des rivages lointains de l'Inde, où des oiseaux au plumage étincelant sont incités à chanter par l'encens d'étranges pagodes entourées de jardins, où des chameliers aux robes criardes pratiquent le troc devant des tavernes en bois de santal avec des matelots à la voix grave dont les yeux reflètent tout le mystère de la mer.

... et, bien que n'étant pas avide d'expériences, il avait une curiosité livresque. Il savait au moins que les amibes et les pithécanthropoïdes qui occupaient les rues venaient de lieux lointains et que ces endroits avaient des cultures - et plus que la somme de ses peurs intimes, ce pourrait être à cette vision de la ville et à cette connaissance que nous devons cette perspicacité qui construit ses histoires. L'artiste honnête, perspicace et innovateur en Lovecraft prend définitivement l'avantage sur le raciste arrogant, chaque fois que les histoires nous rappellent que les extraterrestres incompréhensibles et hostiles ne sont pas seulement plus grands, mais plus anciens, plus sages et immensément plus sophistiqués et importants que ceux qu'ils dérangent.

Cela révèle un étrange paradoxe de ce raciste impérialiste -- les œuvres de ces étrangers sont magnifiques, leur présence physique est répugnante. Dans Lovecraft, le ‶primitivisme″ et la ‶dégénérescence″ ne surviennent que lorsque les xénomorphes se mélangent à - ou sont adorés par,- les humains ; encore une fois, c'est la promiscuité qui est néfaste.

Le raciste en a fait des histoires d'horreur, mais l'artiste les a écrites sur des dieux. Et s'il y a des dieux, nous devrions tous les craindre. C'est une peur qui peut concerner beaucoup d'autres choses, car elle est en mouvement [perpétuel].

L'horreur lovecraftienne - le genre - est facile à copier : des livres, une neurasthénie, des tentacules, tout ça. Mais si les idées seules permettent de le copier, nous pourrions simplement lire [William S.] Burroughs à la place. L'horreur lovecraftienne - l'émotion - est plus singulière : c’est le dégoût et l’effroi teinté d’admiration face à l’étrange(r).

Le dégoût et la stupeur lovecraftienne peuvent être évoqués par rapport à des choses qui n'apparaissent nulle part dans sa fiction - par exemple, dans le film Alien, il s'agit des processus de la reproduction humaine.

L’effroi mêlé de respect est la partie notoire : nous comprenons l’effroi, sinon ses objets. Penchons-nous alors sur le dégoût :

Mandy [Morbid, la petite amie de l’auteur (NdT)] prend en grippe quiconque porte une robe à manche unique et je me méfie de ceux qui, pour quelque raison que ce soit, portent des [chaussures ouvertes] Crocs. Beaucoup de gens, loin de toute préoccupation réelle pour leur sécurité physique, ont peur d'aller dans un cinéma porno - ou dans certains bars.

Ce sont des exemples mineurs du dégoût lovecraftien.

Alors que Lovecraft avait peur de la vie et des relations avec des personnes différentes de lui-même, le dégoût lovecraftien, plus généralement - le genre que les histoires développent et incarnent - est esthétique, basé sur le goût : une peur esthétique si grave qu'elle dépasse la curiosité ou le sens de l'objectivité qui permettrait de déterminer si elle était justifiée.

C'est un peu le contraire du syndrome de Stendhal [où les gens s’évanouissent devant la beauté des œuvres d’art (NdT)].

Le dégoût lovecraftien n'est pas un dégoût (aux symptômes évidents) que la mort est proche - des blessures et des traces de loup - ce serait rationnel. Le dégoût lovecraftien n'est jamais rationnel, il est émotionnel et les émotions sont les premières ébauches de pensées de l’évolution, utiles quand il n'y a pas assez de temps pour évaluer [la situation], ou pas d'exigence impérieuse.

Le dégoût lovecraftien est viscéral, du genre qui fait dire « beurk ». Le sentiment d'avoir un pistolet contre votre tête n'est pas beurk. Beurk est une peur de la vie - la vie dégoûtante de quelqu'un d'autre. La peur des mollusques, par exemple - qui sont totalement inoffensifs - est lovecraftienne.

beurk !

Une fois, j'ai rencontré une étudiante en art qui peignait un tableau vraiment moche d'hommes barbus en prière, et elle le faisait à dessein. Je lui ai demandé pourquoi, et elle a dit que c'étaient des fondamentalistes musulmans et qu'elle (d’ascendance moyen-orientale) voulait les rendre moches, ridicules et répugnants pour pousser les gens à associer le fondamentalisme à la laideur outrancière. Il s'agissait d'une tentative d'emploi du dégoût lovecraftien comme outil de propagande.

De même, quand Trump récrimine contre la façon de manger de John Kasich, c'est une tentative d'utiliser le dégoût lovecraftien à des fins politiques. Mais c’est pareil quand on se moque sur Twitter de l'horrible perruque et de la vilaine face de cochon de Trump.

Dans Taxi Driver, le dégoût de De Niro est suprêmement lovecraftien :

Quoi qu'il en soit, on devrait nettoyer cette ville, parce qu'elle est comme un égout à ciel ouvert tu vois. C'est plein d'ordures et de crasse. Y'a des moments, je ne peux plus le supporter. Qui que soit le prochain président, faudra qu'il passe la serpillière. Tu vois ce que je veux dire ? Y'a des moments, quand je roule et que je renifle, j’ai des maux de tête tellement c'est moche… ça ne s'en va jamais, tu vois ... C'est comme ... Je pense que le Président devrait simplement nettoyer tout ce foutoir. Il faudrait le vider directement dans des putains de chiottes.

... tout comme le dégoût de Rorschach dans Watchmen (créé par Alan Moore, disciple avéré de Lovecraft) - dans les deux cas, la saleté est manifestement la crasse en elle-même et une métaphore pour tous les autres péchés dans la ville.

La saleté d’une ville, le bronzage, le postiche, la façon de manger, de prier, la laideur ordinaire des gens que nous trouvons moches : tous sont des signes de vie, pas de mort. Et dégueulasses.

Le Silence des Agneaux est un cas fascinant : Hannibal Lecter est un pur [monstre] gothique : froid, piquant, poli, intelligent, calme, patient, inéluctable, efficace, s'exprimant bien, vivant dans une pièce aux murs de pierre, sans doute charmant. À l'instar de Dracula, il est asexué, mais apparemment capable d'une sorte d’étrange affection romantique ou du moins ciblée envers notre héroïne, et il est aussi chauve qu'un œuf. Et nous le voyons tuer, à plusieurs reprises, des gens qui sont en travers de sa route.

Lecter ne partage même pas un verre avec Buffalo Bill [l'alias du serial killer recherché dans le film (NdT)] . Celui-ci est négligent, fuyant, bruyant (il écoute tout le temps de la musique - de la musique pop, pas celle « de gens morts » comme l'aime Lecter), empoté, est suivi par un troupeau de mites. Bill a un chien, de longs cheveux et gromelle à propos de la baise. Bill est centré sur la vie, il est donc dégueu. Il est une sous-culture à lui seul, dans le sous-sol où il habite. (Une amie trans qui adore ce film disait qu'elle avait hésité à franchir le pas pendant des années, de peur de devenir un « homme » comme Buffalo Bill.) Et on ne le voit jamais tuer personne. Lecter fait même remarquer que pour Bill, le meurtre est accessoire: c'est simplement le résultat de son indifférence totale à la vie des autres, tandis qu'il satisfait ses propres pulsions.

Lecter est d'os, Bill est de chair.

Même les derniers des benêts ont remarqué que les mouvements Old School Revival et « DIY D&D » [« créez vous-mêmes votre propre version de D&D »] mettent généralement l'accent sur le côté Horreur de ce jeu, bien plus que TSR ne l'a jamais fait. La forte mortalité à bas niveau de D&D en est en partie responsable. Lorsque vous jouez à D&D en mode « de zéro à héros », vous allez perdre beaucoup de « zéros ». Et quand cela arrive, la seule esthétique cohérente qui convienne est soit l'humour noir dans le style « la vie ne vaut pas grand chose » à la Monty Python/Dungeonmirth [BD sur D&D (NdT)], soit le mode jeu d’Horreur-survivaliste. C'est l'une ou l'autre option si vous jouez des PJ qui ont 4 points de vie.
L'Horreur est ici carrément métal, sombre-sinistre et tout. Bien faites (c'est-à-dire comme Warhammer le faisait), ces choses valent le coup.

Lamentations of the Flaming Princess : Weird Fantasy [un JdR d'aventures et d'Horreur lovecraftienne, dans une Europe fantasmée du XVIIe siècle (NdT)] et d'autres jeux de type « D&D DIY » ont souvent mis l'Horreur au premier plan, et ont occasionnellement affirmé qu’elle est utile, bonne pour nous et que ça vaut le coup de l'envisager.

Voci un formidable exemple tiré de la contemplation par la poétesse Patricia Lockwood d'un meeting de Donald Trump (en), dont je recommande la lecture mais dont je vous livre un extrait ici pour vous simplifier la vie :

C'est nous, était l'idée sous-jacente. On est juste entre nous ici. Le discours martelé sonnait comme une poignée de main, puis comme davantage que cela. Plus il parlait, plus Trump donnait l'impression d'être un homme riche dînant avec une jeune femme, dont le passeport est son visage et sa fraicheur. Il lui explique les termes de leur arrangement : il la portera à son bras, la tournera vers les projecteurs ; elle s'en remettra à lui en public, il lui donnera juste assez de ce qu'il a pour l'entretenir. Dans mon calepin, j'écrivis : « Trump propose d'être notre sugar daddy ? Il veut que l'Amérique soit sa femme-trophée ? ». Ce qu'il promettait vraiment, c'était la liberté de vivre dans le monde à sa façon, sous sa protection, en suivant ses lois. « Personne ne me possède », continue-t-il à nous dire, « ni les lobbyistes, ni les Républicains haut placés, ni les initiés de Washington. Je ne suis dans la poche de personne : sautez dans la mienne ». Ses épouses, l'avez-vous remarqué, se font de plus en plus charmantes. C'est une séduction expérimentée, ça a marché dans le passé. Nous l'ignorons à nos risques et périls.

La communauté JdR nous offre-elle même un exemple des dangers auxquels on s’expose en évitant l’Horreur : sur ce fil de discussion d’un des forums de Something Awful(en), les gens viennent se réaffirmer mutuellement leur dégoût lovecraftien vis-à-vis des femmes qui ne jouent pas à la même édition de D&D qu’eux.

Note du Traducteur : la discussion portait sur une scène gore/sexuelle digne de FATALptgptb lue sur le blog Monster Manual Sewn From Pants - écrit par une femme. Un forumiste fait alors part de sa préférence pour des JdR plus « romantic fantasy » (elfgames) et son incompréhension envers « quiconque accepterait cela dans leur parties »

Un certain nombre de gens pensent que les thèmes lovecraftiens ou d’autres Horreur dérangeante dans les parties de JdR sont du « fun mauvais pourri » (voire en fait que tout thème qui ne relève pas du fantasme de puissance est un « fun mauvais pourri »). Ces gens ont tous une chose en commun : ils ne veulent surtout pas discuter avec des joueurs qui ne sont pas de leur avis. Les critiquer, les calomnier, et même lire leurs bouquins pour se moquer d'eux, ça va, mais l'idée d'engager le dialogue leur apparaît comme une odieuse contamination. Une bonne partie d'entre eux seraient méfiant envers cet article simplement parce que quelqu’un y parle de Lovecraft (qui est dégueu).

Encore une fois : une peur esthétique tellement extrême qu'elle surpasse la curiosité ou le sens de l’impartialité qui permettrait de découvrir si cette peur est justifiée.

Cette personne qui a critiqué Scrap Princess pour avoir inventé une bio-horreur avec un dard a dit : « Je n'ai ni la capacité ni la volonté de comprendre quiconque accepterait ça dans sa partie ».

La personne de RPGnet qui a critiqué Shanna Germain et une partie du livre de jeu Numenera qu'elle a écrit a dit : « Quand j'ai lu la page de Numenera en question, j'ai pensé/ressenti que la personne qui avait écrit ça était probablement malfaisante » et plusieurs concepteurs et modérateurs en ont rajouté.

Fred Hicks, l'éditeur qui a critiqué Kingdom Death, a refusé de parler aux femmes qui le défendaient ou au créateur du jeu, en prétextant explicitement que sa propre santé mentale était fragile.

L’auteur qui a prétendu qu'on voit apparaître des zombis sexy dans les jeux parce que les gens sont secrètement nécrophiles, refuse explicitement de discuter avec, disons, des femmes qui font du cosplay de zombis sexy, ou quiconque n'est pas d'accord avec lui, comme Fred sur la base de sa santé mentale fragile, et supprime leurs commentaires.

Ces actes de dégoût lovecraftien sont le résultat d'années passées dans des bulles abritées de l'internet à s'entendre dire qu'il n'y a aucune conséquence personnelle ou professionnelle à déshumaniser quelqu'un juste parce qu'il ou elle aime quelque chose que vous trouvez dégueu... Et que rien de bon ne peut venir d'une discussion avec quelqu'un qui est moins qu' humain.

Pauvres âmes trop couvées et effrayées par la vie. Ces rats de bibliothèque timides, nerveux, fragiles, opposés aux conflits, fastidieux et introvertis, pour qui les conventions de nerds sont l'exutoire social principal, dans leur petit cercle de gentils correspondants hobbyistes, imitent, ironiquement, Lovecraft qu'ils n'ont pas lu ou n'ont pas compris. Ils ne reconnaissent pas la nature du dégoût qu'ils ressentent pour ce qu'il est, alors qu'ils ont ses conséquences proprement personnifiées dans les archives historiques.

Lorsqu'il y a du dégueu, il y a de la peur. Là où il y a de la peur il y a de l'ignorance, là où il y a de l'ignorance il y a du dégoût, et là où il y a du dégoût, il y a des préjugés.
Tout le monde n'a pas besoin de faire face à toutes les horreurs. Mais si vous n'apprenez jamais rien des horreurs, vous en devenez une.

Article d’origine : Lovecraft, Nerds, and the uses of ick

Sélection de commentaires

Drew Astolfi

J'ai aimé lire cet article, il est intéressant à plusieurs niveaux. Et j'ai été fasciné par le projet actuel d'Alan Moore, Providence, qui s'inscrit vraiment dans ces thèmes.

Mais pourquoi, à ton avis, y a-t-il tellement d'Horreur dans les jeux old school ? Je me retrouve souvent à faire ça aussi (je ne tiens pas de blog, mais je joue à un jeu old school avec d'autres gens à Salem, Massachussets). Je me demande un peu si ce n'est pas un dénominateur commun (et c'est tellement jouable)… comme si l'Horreur était très accessible alors que la beauté mytho-poétique à la Tolkien est plus difficile à traduire dans un JdR ?

Zak

Nan, Tolkien est partout : dans Burning Wheel, Dungeon World, Dragonlance, sans même citer les licences officielles de Tolkien, et dans toute campagne qui se prolonge suffisamment.

Pourquoi l'horreur dans les jeux old school :

[voir dans le texte, où Zak a integré sa réponse (NdT)]

Et puis, beaucoup de gens du milieu OSR sont des adultes créatifs qui essaient d'utiliser le jeu de rôles pour explorer des choses qui ne l’étaient pas dans les JdR de la première heure à cause des pressions commerciales. Ces choses incluent bien sûr l'Horreur.

JDJarvis

J'ai mené une partie de D&D pour les fils de plusieurs papas et leurs amis. Je me suis retrouvé à causer des cauchemars à un des plus vieux garçons, à cause d'une rencontre avec un squelette.

L'Horreur a toujours été là, elle dépend beaucoup de comment elle est identifiée et appliquée pendant la partie.

JD McDonnell

C'est du bon. Beaucoup de choses bien écrites, mais je ne suis pas certain d'être d'accord avec tout. Je ne pense pas que trouver qu'un truc est dégueu fait de toi une mauvaise personne. J'ai rampé dans les vides sanitaires d'immeubles en ruine, aidé à débarrasser les habitations de morts récents, vidé les toilettes d'avions de ligne, et j'ai même eu a ratisser quelques milliers de poissons pourrissant dans un lac empoisonné, au cœur d'un été torride. J'aurai du laisser tomber ce boulot tout de suite mais j'étais trop jeune et stupide pour ça.

Ce que je veux dire, c'est que parfois le dégoût est justifié. Sans lui, nous n'avons aucun goût, aucun style, aucune personnalité. Je vous accorde que Lovecraft était certainement un délicat, et qu'il y en a trop comme lui de nos jours, mais ils sont leur propre petit groupe extrémiste. Ce sont eux qui vont diminuer jusqu'à disparaître car ils sont submergés par le dégoût dès que quelque chose n'est pas parfaitement adapté à leurs besoins. J'ai presque du mal à mettre Lovecraft dans le même panier parce que d'après ce que je sais du bonhomme, il a fini par s'ouvrir dans ses dernières années. Et même à ses débuts je pense qu'il y avait clairement une relation amour/haine entre Howard et tout ce qui n'était pas lui. Je pense qu'il se languissait secrètement d'être enlevé par des divinités extraterrestres et corrompu en quelque chose d'autre que lui, ce qui expliquerait la fascination qui le poussait à continuer à écrire ses contes.

Pourquoi y a-t-il autant d'Horreur dans les jeux de rôles old school ? Je ne sais pas, mais je suspecte que l'Horreur est en général un remplaçant moderne du rite de passage primitif, cette expérience de la terreur qui prouve à un garçon qu'il peut être un homme - ou à une fille qu'elle peut être une femme - en décidant de se battre plutôt que de fuir quand l'adrénaline commence à affluer. Peut-être que nous sommes toujours en train d'essayer de passer à l'âge adulte. Ou peut-être l'avons nous déjà fait et réutilisons nous ce rite pour nous sentir jeunes à nouveau. Ou peut-être que ça n'a rien à voir et que nous avons juste besoin de choses plus viscérales que de cogner sur la caboche de kobolds pour éveiller notre intérêt.

Peut-être est-ce un mystère différent pour chacun d'entre nous, et c'est pourquoi nous aimons ça. Nous aimons nos mystères mystérieux.

En tout cas, bon article ! Continue !

Dan

Excellent article, et difficile d'en contester le moindre morceau. Des trucs jouables pourraient inclure, les « trucs qui ne vont pas te tuer mais que tu ne veux vraiment pas toucher » et les « monstres qui veulent te tuer mais sans s'approcher parce que tu es dégoutant ».

Dans la même famille, peut être une facette différente de l'Horreur lovecraftienne : quand j'étais petit, j'aimais apprendre la science bien avant qu'on nous l'enseigne en classe. Lorsque j'ai appris que l'univers était infini, j'ai eu très peur. Je passais des nuits éveillé à essayer de l'imaginer, de l’évaluer, de le rentrer dans ma tête, et cela me terrifiait de plus en plus pour des raisons que je ne suis même plus capable d'expliquer.

Je l'ai surmonté mais quand j'ai découvert Lovecraft et l'Horreur cosmique, ce qui m'a attiré c'est cette même peur de l'infini. La peur de la vie ? Je ne sais pas. Peut-être la peur de l'univers, qui contient la vie.

aaronparr

Super article. Je n'avais pas réfléchi avant à la « peur du vivant » de Lovecraft, mais je pense que c'est une peur bien plus répandue que celle de la mort dans notre loisir. J'en souffre manifestement. La vie est tellement bordélique et hors de contrôle. C'est un vrai défi de vivre sans échouer constamment. Et ainsi de suite. Que Lovecraft ait été si extrême sur cet aspect est remarquable.
Merci d'avoir abordé le sujet. Cela m'a fait du bien d'y réfléchir.

ixazal

Un ami parlait récemment d'apprendre à son enfant à ne pas « dire beurk devant le miam d'un autre ».

Combien de gens pourraient bénéficier d'apprendre cette leçon élémentaire !

Je suis abasourdi que tant de gens dans la communauté rôliste ressentent le besoin de critiquer ce qui n'est pas sur leur longueur d'onde.

Je n'étais pas au courant de la personnalité ni du racisme de Lovecraft. Cet article révèle très bien les courants sous-jacents dans ses écrits. Je te suis reconnaissant de nous informer et de nous faire réfléchir.

 

Pour aller plus loin… panneau-4C

- Retrouvez cet article et d'autres sur le phénomène Mythe de/Appel de Cthulhu dans notre e-book spécial 130e anniversaire de Lovecraft n°26 : Bons baisers de R'lyeh

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