Validisme dans les JdR : les systèmes de santé mentale
© 2019 Fay Onyx
Cinq images disposées en éventail :
- photo d’une feuille de personnage avec des dés bleus et un crayon,
- le symbole international de l’accessibilité (image blanche stylisée, d’une personne dans un fauteuil roulant, sur fond bleu),
- un tas de dés de toutes formes et de toutes les couleurs,
- schéma de cerveau humain stylisé, sur fond de taches de peinture colorées
- des figurines médiévales en pleine action dans un décor de maisons miniatures.
Introduction
Cette série d’articles a pour but de parler du validisme dans les jeux de rôles [Le validisme ou capacitisme est une forme de discrimination envers les personnes handicapées. (NdT)], à travers le contenu de jeu, dans les mécanismes et les éléments centraux d’univers. Nous allons discuter des raisons qui font que ces éléments de jeu sont problématiques [et insultants]. Toutefois, nous nous concentrerons sur l’identification d‘outils et d‘alternatives pour retirer le validisme des jeux.
Même si cette série se focalise sur les JdR, les sujets dont nous allons parler peuvent être utiles à n’importe quel artiste qui a envie d’écrire des histoires.
J’aimerais être très clair.e sur un point : je n’essaie pas de proposer LA bonne façon de traiter les handicaps dans les JdR. Chaque personne possède une expérience différente du handicap et du JdR ; le but est de permettre à chaque personne et chaque groupe de trouver les options qui leur conviennent.
De quoi on parle ?
De nombreux JdR d’Horreur cosmique se basent sur le Mythe de Cthulhu créé par H.P. Lovecraft dans les années 20 et 30 (liste de ces histoires dans l’ordre chronologique wiki). D’autres auteurs et autrices ont récupéré ce Mythe et l’ont poursuivi.
Profondément ancrée dans le Mythe, on retrouve l’idée qu’être exposé.e à des choses horribles rend folle ou fou. C’est une vision incorrecte et stigmatisante de la santé mentale, bien qu’elle ait été considérée comme normale à l’époque. Les jeux comme L’Appel de Cthulhu sont basés sur le Mythe de Cthulhu et s’appuient sur les concepts de « Santé mentale » et de « folie » qu’ils intègrent au système de jeu. Chaque personnage a un nombre de points de santé mentale - comme une sorte de jauge de points de vie mentaux. Quand un personnage est exposé à des choses horribles, il perd des points de santé mentale, ce qui cause diverses formes de « folie ».
Pourquoi est-ce problématique ?
La folie est un concept historique stigmatisant qui a depuis été remplacé par les concepts plus précis de maladie mentale et de neurodiversité (1). Le concept de folie est relié à toute une histoire de maltraitance et de déshumanisation des personnes en situation de handicap et à leurs traitements inhumains : institutionnalisation forcée, expériences non déontologiques, stérilisation forcée…
C’est un stéréotype qui rassemble toutes les personnes neurodivergentes sous la même étiquette de personnes dangereuses, incontrôlables et déconnectées de la réalité. Ce concept est tellement stigmatisant, tellement éloigné de la réalité et dépassé, que le corps médical a cessé de l’employer depuis longtemps. En attachant une des mécaniques centrales du jeu au concept de « folie » et son opposé, la « santé mentale », on renforce ce concept et ces stéréotypes blessants.
Un autre point qui pose problème : une mécanique de jeu qui donne aléatoirement à un personnage une maladie mentale ou qui pousse les joueurs à représenter la neurodivergence sans leur donner le temps de se préparer.
Pour pouvoir interpréter respectueusement une maladie mentale ou neurodivergence précise, il faut : soit faire des recherches, soit en avoir une expérience personnelle. Les joueurs ou joueuses qui ne connaissent pas bien une maladie mentale n’auront pas forcément le temps ou l’énergie de faire une recherche dessus. Voici pourquoi toute règle de jeu qui, sur un jet de dé raté, attribue automatiquement une maladie mentale (qu’elle soit aléatoire ou non) est problématique. C’est une façon d’encourager les joueuses à interpréter une maladie mentale même si elles ne s’y connaissent pas assez pour le faire d’une manière respectueuse.
J’aimerais clarifier que ce n’est pas foncièrement un problème que de représenter des personnages ayant des problèmes de santé mentale ou présentant une neurodivergence. Cependant, ces représentations devraient être respectueuses et réalistes plutôt que stéréotypées.
Alternatives
Voici une liste de plusieurs actions qui peuvent être mises en place pour combattre le validisme inhérent aux systèmes de Santé mentale. Certaines s’excluent mutuellement, mais on peut en combiner plusieurs autres. Cette liste a pour objectif d’être un point de départ pour permettre aux rôlistes de trouver une façon de fonctionner qui leur convient.
- Ne plus utiliser des termes stigmatisants comme « santé mentale » et « folie ». A la place, un personnage pourrait perdre son « sang-froid », « sa résilience » ou ses « capacités d’adaptation ».
- Passer à une mécanique de « Stress ». Le stress est universel et n’implique pas d’interpréter une minorité opprimée. Se battre, s’enfuir ou rester pétrifié sont une excellente base pour improviser des réactions pendant les scènes stressantes. Les conséquences à plus long termes peuvent être décidées en fonction des situations.
- Faire en sorte que les joueurs et les joueuses aient plus de contrôle sur les conséquences mentales à long terme que leurs personnages développent, en particulier si celles-ci incluent des problèmes de santé mentale. Ainsi il sera plus facile pour les joueurs de les interpréter respectueusement.
- Séparer la neurodiversité des mécaniques de jeu. À la place, laissons les joueuses décider si elles souhaitent jouer des personnages issus de la neurodiversité et comment elles veulent interpréter ça respectueusement.
- Utiliser les conditions ayant des conséquences à court et long termes. Exemples de conditions : « secouée », « agité », « effrayée », « paniqué », « fatiguée », « épuisé », « contrariée », « énervé », « triste », « désespéré », « sans espoir » et « pétrifié ».
- Au lieu d’attaquer leur santé mentale, on pourrait s’attaquer aux convictions des joueurs et des joueuses, leurs morales ou leurs croyances. C’est un moyen alternatif de traiter la thématique de l’Horreur en jouant à dégrader l’identité du personnage. J’ai expliqué comment faire ici (en).
- Utiliser des éléments narratifs magiques pour créer des effets qui affectent l’esprit des personnages. On peut accentuer l’horreur dans une partie en faisant en sorte qu’un personnage voit sa perception de la réalité et sa capacité à agir être affectées par ce qu’il vit dans le jeu. Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin, les éléments magiques de l’histoire peuvent permettre d’inclure et d’explorer des expériences étranges et extrêmes sans stigmatiser la santé mentale. J’ai proposé une façon de faire ici (en).
- Créer des mécanismes spécifiques à chaque type de neurodiversité que vous voulez intégrer en jeu. Certains joueurs ont l’impression qu’avoir des règles en jeu pour interpréter la neurodiversité rend les choses plus réelles. Dans ces cas, la meilleure chose à faire est d’inventer des mécanismes particuliers à chaque condition. On peut trouver un exemple de comment faire dans l’article de Sleepyspoonie D&D Disability Mechanics [Des règles pour les handicaps dans D&D. (NdT)]
- Ressources supplémentaires : cet article a été inspiré par l’épisode 127 du podcast Mythcreants (2) Mental Health Systems in Roleplaying Games. [Les systèmes de santé mentale dans les JdR] Je vous le recommande !
Les expériences avec le handicap et de la neurodiversité sont toutes différentes. Il n’y a pas de solution parfaite pour les traiter. Si vous avez une autre façon de faire, n’hésitez pas à la mettre dans les commentaires.
Article original : Addressing Ableism: Sanity Systems
Ceci est le premier article d’une série intitulée « Parlons du validisme dans les JdR. » L’article suivant est Les Monstres validistes
(1) NdT : Le concept de neurodiversité a été publié pour la première fois en 1998 par l’écrivain Harvey Blume. On peut le définir comme étant « un concept dans lequel les différences neurologiques sont reconnues et respectées comme toute autre variation humaine. Ces différences peuvent inclure les personnes reconnues dyspraxiques, dyscalculiques ou dyslexiques, avec un trouble du déficit de l'attention (avec ou sans hyperactivité), avec des troubles du spectre de l'autisme, avec une maladie de Gilles de La Tourette ou d'autres. » C’est un concept utilisé en particulier par les militants pour la reconnaissance des droits des personnes autistes mais il représente aussi plusieurs autres particularités. [Retour]
(2) NdT : Le blog Mythcreants a pour but d’analyser les histoires les plus populaires et d’en examiner les techniques d’écriture, de narration, de création d’univers. L’idée est d'inspirer les gens et de les divertir. Les podcasts sont postés chaque semaine sur une thématique différente et le site est maintenu par une douzaine de bénévoles passionné.e.s [Retour]
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