À quel point veux-tu être un mage ?

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De temps en temps je jette un coup d’œil à La Forge et je trouve un jeu comme Shock ou The Pool (grog) (1) et je me dis “Ça a l’air sympa, je pourrais jouer à ça.”

Et ça n’arrive pas.

La raison est que je n’ai personne avec qui jouer.

Qu’est-ce que tu racontes, Zak ? Tu as des joueuses, non ?

Ok, mais ce ne sont pas des joueuses du genre requis pour jouer la plupart des jeux indépendants les plus intéressants que j’aie vus.

Voici à quoi ressemblerait à une partie de The Pool avec Mandy [Morbid, la compagne de Zak, (NdT)] :

Moi : “Bon, maintenant tu dois décrire ton personnage en 50 mots. Tout ce que tu veux.

Mandy : Fait chier.”

D’une certaine manière, cette demande crée une difficulté sociale ou mentale particulière chez les gens. Un problème que “Choisis une race, choisis une classe” ne crée pas. Pour certains rôlistes, ces 50 mots déclenchent une sensation de liberté, pour d’autres ça ressemble à du boulot.

Un cri de guerre du jeu indie narrativiste est “L’histoire maintenant ! (story now!)”. Ça paraît une description assez exacte de la façon dont ces jeux fonctionnent : dans les jeux indie les plus intéressants et originaux que j’ai vus, à un moment ou à un autre, les joueurs sont mis en situation d’apporter quelques éléments créatifs et intéressants à l’histoire.

Voici le problème : pour jouer, vous devez soit avoir foi en votre créativité à la commande, soit être suffisamment inconscient pour vous en foutre. Et, dans ce dernier cas, vous devez avoir foi dans le fait que, même si vous vous en foutez, la partie sera encore amusante et en vaudra le coup.

En d’autres termes, dans les JdR il n’est pas vrai que “les seules limites sont votre imagination”. Une énorme limite réside dans la quantité d’énergie dont vous disposez ce jour-là, et votre foi dans l’idée que rester assis et utiliser votre imagination (et presque uniquement ça) va être une façon marrante de passer les 2 à 4 prochaines heures.

Dans la communauté du JdR, je dirais que 90 % des gens qui ont ce genre particulier de foi en leur propre créativité sur commande, ou qui sont assez désinvoltes pour ne pas s’en faire, ou qui sont toujours certains que leur imagination est plus marrante que leur Xbox, sont des MJ ou de la graine de MJ.

Fondamentalement, ce sont ceux qui mènent les campagnes, possèdent les manuels, bloguent [et lisent PTGPTB (NdT)]. Ce sont ceux qui aiment réfléchir aux JdR quand ils ne jouent pas, et qui savent qui sont Kevin Siembieda (2) et Ookla the Mok (3).

Et, si vous ne l’avez pas encore remarqué, ce blog traite en grande partie de la façon dont vous pouvez jouer et prendre beaucoup de plaisir, avec seulement une ou deux de ces personnes à votre table – le reste étant des joueurs communs.

Au moins, vous pouvez jouer à D&D de cette façon.

Essentiellement, pour qu’une partie fonctionne, je pense qu’il doit y avoir une certaine masse critique de créativité à la table. Les sources disponibles sont : les joueurs, le MJ et le jeu lui-même.

Dans un jeu vidéo, la créativité est fournie en grande partie par le jeu. Votre participation est facultative : Mario va grandir quand il mange un champignon, que vous fournissiez une explication ou pas. Dans, disons, The Pool, aucune once de créativité n’est fournie par le jeu (évidemment, il a fallu de la créativité pour concevoir les mécanismes, mais ce que je veux dire ici, c’est qu’il ne suggère pas aisément un scénario pour une partie), tout repose sur les joueurs. Dans un scénario de D&D, la créativité est partagée entre le MJ et Gary [Gygax] (ou quiconque a écrit les éléments de décor que le MJ utilise dans sa partie), et si la partie est bien menée, les joueurs peuvent en fournir autant, ou aussi peu, qu’ils le veulent.

Si nous imaginons ce continuum, avec Super Mario Bros d’un côté et le théâtre d’improvisation de l’autre, vous pouvez voir la plupart des jeux indie comme une tentative de relever le niveau de créativité initiale pour les joueurs et abaisser le niveau de créativité pour l’éditeur – en se déplaçant vers le côté “improvisation”. Sur cette échelle, tous les D&D se trouveraient au milieu (ainsi que la plupart des autres jeux similaires de Palladium, Games Workshop, White Wolf, etc), avec D&D old school plus proche des jeux indie (4), et des versions de D&D plus abouties, un peu plus vers le côté “Mario” (5).

Mon propos n’est pas ici de dire si un côté ou l’autre est bon ou mauvais — après tout, quand toute la créativité est fournie à votre place et que vous trouvez cela séduisant, ça s’appelle du “grand art”. Mon propos est que le côté Mario est bien pour les joueurs qui ne sont pas encore sûrs que le jeu auquel ils jouent sera automatiquement marrant.

Comment est-ce au milieu ?

Je pense que D&D fonctionne un peu comme une conversation de dîner.

Imaginez une table de mariage :

Il y a une conversation en cours. Tout le monde peut l’entendre mais tous ne sont pas obligés de parler. Il y a rarement un silence gênant cependant, parce qu’il y a au moins une personne qui veut aller vraiment au cœur du sujet de la conversation et donc commencera à parler dès le moindre blanc.

Peu importe qui vous êtes, vous serez de temps en temps amené à effectuer des tâches simples et bien définies. “Pouvez-vous me passer les petits pois ?”, “Vas-tu frapper le monstre rouilleur ou faire autre chose ?” C’est facile pour à peu près tout le monde et ça ne vous met pas sous les projecteurs.

Rien ne vous empêche forcément de faire quelque chose de mécaniquement original comme, par exemple, mettre des olives sur vos pancakes, mais la conversation et le repas se poursuivront même si vous ne le faites pas.

Rien ne vous empêche de lancer vos propres idées : “Eh bien, je pense que Sigmund Freud disait beaucoup de conneries !”, “Je pense que nous devrions attacher la bête éclipsante avant d’essayer de la vendre au gnome des montagnes” et donner ainsi une autre tournure à la conversation, mais la conversation se poursuivra si vous ne le faites pas.

C’est normal, c’est ce que fait tout le monde tout le temps. Les gens sont timides et peu sûrs d’eux ou indifférents à la conversation ou aux autres personnes. Quand ils sont à l’aise ou que la conversation aborde un sujet sur lequel ils ont des idées, alors ils parlent.

Dans D&D, en tant que joueur, vous pouvez (souvent mais pas toujours) choisir de vous débattre énergiquement avec le scénario (“Je regarde dans le bureau”, “J’écris “Nique les Xvarts” sur le mur avec une pierre”, “Je mélange les potions de croissance et de rétrécissement ensemble pour voir ce qui se passe”) ou vous pouvez vous asseoir et jeter les dés quand c’est nécessaire et juste regarder ce que le MJ et les joueurs plus impliqués font, comme un divertissement, comme un film où vous avez le choix.

En d’autres termes, D&D autorise plusieurs styles de jeu en même temps (en supposant que le MJ est un minimum doué). Dans une bonne partie, tout le monde joue comme il veut, même si c’est huit jeux différents.

Ici, je devrais ajouter que le “joueur passif” est rarement passif tout le temps.

Vous ne pouvez pas simplement dire “Ça craint, les joueurs passifs” parce que la table est un patchwork – continuellement en changement – de jeu actif, de jeu passif, de méta-jeu, de grignotages, etc. La plupart des gens passent facilement d’un mode à l’autre et le font tout le temps : les joueurs ont des humeurs et le mode correspond à leur humeur, et je peux vous dire que, au moins dans mes parties, l’humeur d’une star du porno de Los Angeles peut changer plus vite que n’importe quel phénomène observé ou encore à découvrir. La seule personne qui doive rester constante est le MJ.

En outre, comme je le découvre, les joueurs n’ont pas vraiment besoin de connaître les règles. Je veux dire – s’ils le peuvent c’est bien. Mais le handicap de l’ignorance, au moins au début, n’en est pas un. Une partie de D&D basée essentiellement sur “Dis-moi ce que tu veux faire, je te dirai quel dé lancer pour le faire” fonctionne parfaitement bien pour les premières sessions d’un joueur, cela suffit pour qu’il apprenne les bases. Au fur et à mesure que leurs connaissances, leur confiance en eux et leur foi dans le fait que la partie sera effectivement amusante grandissent, leur [appréciation du] jeu grandit aussi.

Beaucoup de JdR nouveaux et novateurs, semblent cependant exiger que tout le monde connaisse les règles et/ou que tout le monde soit inventif (ou du moins confiant et énergique) avec régularité.

Au sens large, c’est juste le prix de la démocratie : avec le pouvoir de contrôler le monde vient la responsabilité d’aider à le rendre intéressant. D’un autre côté, je pense que ce serait un beau défi de créer un JdR pour débutants qui offre toujours aux joueurs beaucoup de contrôle narratif s’il le veut, mais ne lui fait pas se sentir en retrait tel un spectateur inutile, s’il ne saisit pas immédiatement le tempo. [Un tel jeu] existe probablement déjà.

Le concept auquel j’arrive est l’acceptation.

“L’acceptation” est, fondamentalement, le sentiment que quelque chose vaudra le coût de l’effort demandé. Ce n’est pas simplement “Veux-tu jouer à un jeu où tu es un mage ?” mais “Veux-tu jouer à un jeu où tu es un mage au prix de tel et tel efforts ?”.

Les MJ de ce monde sont ceux qui disent : “Je veux jouer à un jeu où je suis un mage, quel que soit l’effort que cela demande”, ceux qui sont juste des joueurs ont leurs limites. Je vois ces limites quand j’introduis de nouveaux joueurs au JdR : “Vais-je devoir…”, “Que faire si je…”, “Je vais pas assurer, tu vas voir !”…

Pour beaucoup de gens, il est embarrassant d’être vu en train de faire un effort mental, et échouer. “Ha ha, le bleu !” Et donc, pour les nouveaux joueurs, les jeux de rôles sont effrayants. Vous pouvez pratiquer un jeu vidéo dans le confort et la solitude de votre propre maison, et ensuite jouer avec d’autres personnes une fois que vous êtes devenus bon. Avec un JdR, vous ne pouvez pas. La peur que de nombreuses personnes ressentent (ou juste leur déplaisir ou leur désintérêt masquant leur peur) est vraiment proche de celle ressentie à l’idée de parler en public, ou d’avoir son histoire ou son dessin critiqué devant la classe. Une des choses importantes que j’ai à faire en tant que MJ avec de nouveaux joueurs est de dire “Ne t’inquiète pas, tu ne peux pas vraiment mal faire.”

Dans D&D, le MJ doit être là : il doit être présent, conscient et attentif, et doit être suffisamment investi dans la partie de D&D pour avoir un scénario prêt à se dérouler en douceur. Mais personne d’autre n’a à le faire. Les joueurs peuvent se pointer, timides, avec une gueule de bois, sans grand intérêt pour la littérature fantasy ou la direction de la campagne, et s’éclater quand même.

Dans les JdR indie que j’ai vus, ça ne semble pas être le cas. Vous avez besoin d’un groupe de MJ en puissance à la table, ou alors le jeu ne fonctionnera pas comme il est censé. Ça ne me pose pas de problème. Vous avez besoin d’un groupe de bons musiciens pour faire de la bonne musique, et nous avons tous besoin de bonne musique.

Cependant, je pense que les gens qui travaillent sur la création de jeux de rôles devraient être conscients que le plus ancien JdR du monde, malgré le fait qu’il provient du wargame et des histoires sur des hommes blancs dans l’Europe médiévale, reste en fait extrêmement confortable pour les débutants, parce qu’il est très souple dans ses exigences.

N.B. : Dans la phrase “les jeux indie les plus intéressants et originaux que j’aie vus”, Witch Mountain (grog) et Dogs in the Vineyard (grog) ne rentrent pas dans cette catégorie. Loin de là. Ce billet ne parle pas de tous les jeux indépendants ou tous les jeux narratifs, mais seulement de ceux que je trouve intéressants.

(Note rajoutée après la publication, suite à des commentaires polémiques)

Article original : How much do you want to be a wizard

(1) NdT : Une traduction française de The Pool existe. [Retour]

(2) NdT : Illustrateur, et auteur (wiki en) de Heroes Unlimited et de Rifts – JdR populaire aux États-Unis. [Retour]

(3) NdT : Personnage – similaire à un wookie – du dessin animé (culte ?) Thundarr the Barbarian (wiki en) (1980-1981). Un JdR amateur en est tiré. [Retour]

(4) NdT : La version de D&D des nostalgiques ne présentait aucun univers ; tout restait à inventer. [Retour]

(5) NdT : La preuve en étant entre autres que D&D 4 assume pleinement son orientation davantage tournée vers le jeu de plateau que le jeu de rôle proprement dit. [Retour]

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Pour aller plus loin… panneau-4C

Cet article fait partie de l'ebook PTGPTB n°12 intitulé Narrativisme, mon amour, que vous pouvez consulter pour de plus amples développements.

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Commentaires

Article bien réfléchi, bien argumenté, qui m'a enfin permis de clarifier certaines impressions que j'avais à propos des jeux de rôles (D&D et les indépendants effectivement). Merci beaucoup !

Auteur : 
Stéphane

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