Formose, la liche qui régna sur Rome

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Note du Traducteur : cette traduction est celle de la version anglaise, avec des ajouts de la version originale espagnole, et des éléments originaux destinés à ajouter de l’épaisseur à la partie scénaristique.

 

Introduction

Parfois, ça vous tombe tout cuit dans le bec… J’avais commencé à réfléchir à de possibles Méchants pour une campagne située dans l’Europe du XIIsiècle et, après quelques recherches, je suis tombé sur le Concile Cadavérique wiki. J’étais conscient que l’histoire de la Papauté était plutôt « mouvementée » et qu’une telle affaire s’était produite — parmi tant d’autres. Cependant, lorsque j’ai vu le tableau de Jean-Paul Laurens [au musée d’arts de Nantes (NdT)] représentant le procès de la dépouille du pape Formose, je me suis dit : « ouah ! Ce serait une sacrée Némésis. »

Le pape Formose et Étienne VI (1870) Photo de Gérard Blot

Le 111e Pape

Avant d’être élu, le pape Formose — dont le nom séculier est inconnu et dont le nom de règne ne fut plus jamais repris par la suite — avait déjà une longue carrière ecclésiastique, pleine de hauts et de bas. Il fut évêque de Porto à partir de 864, servit comme légat apostolique [représentant diplomatique du Pape (NdT)] en Bulgarie et en France, puis comme apocrisiaire à Constantinople [ambassadeur du Pape dans l’Empire Byzantin]. Il s’opposa au pape Jean VIII à propos de la future succession du Roi d’Italie. Ce Pape voulait consacrer Charles le Chauve, roi de Francie Occidentale alors que Formose soutenait Arnulf de Carinthie, roi de Francie Orientale.

Son opposition à Jean VIII contraignit Formose à fuir Rome et un synode [assemblée ecclésiastique] fut convoqué pour l’excommunier [en 872].

Note du Traducteur : On lui reprocha son ambition pour l'archevêché de Bulgarie et pour la Papauté, son opposition à l'Empereur ainsi que d'avoir quitté son diocèse sans autorisation du Pape, d'avoir dépouillé les monastères de Rome et d'avoir célébré le service divin malgré une interdiction. On l’accusa aussi d'avoir conspiré avec certains hommes et certaines femmes pour détruire le siège pontifical. En 878, l’excommunication fut levée, après qu'il eut promis de ne jamais retourner à Rome ni d'exercer des fonctions sacerdotales. (Wikipedia)

Cependant, en 891 [et quelques papes plus tard (NdT)], Formosus revint à Rome et fut élu pape [il devait être âgé de 75 ans environ]. Peu après, il tomba en disgrâce auprès de l’Empereur des Romains [et Roi d’Italie], Guy de Spolète (1). Ce dernier contraignit Formose à couronner son fils, Lambert de Spolète, co-empereur et successeur légitime.

Après la mort de Guy de Spolète, Formose, qui n’appréciait vraisemblablement pas le fait que le nouvel empereur se soit installé à Rome, envoya une ambassade auprès de son allié d’autrefois, Arnulf de Carinthie, le priant de « libérer » l’Italie et de venir à Rome pour être couronné empereur.

Arnulf s’exécuta de bonne grâce et envoya une armée. Formose honora sa part du marché en le consacrant par l’onction et en le couronnant. Puis il mourut peu après en 896. Son pontificat n’avait duré que cinq ans.

À présent, les trucs étranges. Le successeur de Formose, le pape Boniface VI, était un allié de Lambert de Spolète, qui reprit le contrôle de Rome après qu’Arnulf fut retourné en Bavière à cause d’une maladie. Il mourut peu de temps après et son pontificat ne dura que quinze jours.

Lambert voulait se venger de Formose et le fait que ce dernier soit mort et enterré n’allait pas l’arrêter pour autant. Étienne VI, le nouveau Pape, l’aida volontiers.

En résumé, ils firent exhumer le corps de Formose, le firent apprêter sur un trône avec tous les attributs papaux et comparaître à un procès. [Ce procès reprit les anciennes accusations de Jean VIII, lors du synode de 872]

Cet épisode macabre est plus connu sous le nom de Concile Cadavérique.

Comme par hasard, Formose fut reconnu coupable et sa papauté annulée [il devint alors un antipape]. Son corps fut dépouillé des attributs papaux et les trois doigts de sa main droite, que Formose utilisait pour bénir, furent sectionnés. Puis on l’enterra à un endroit secret.

Avec le temps, Formose fut réhabilité et remis dans sa tombe d’origine, déterré à nouveau, rejugé et reconnu coupable pour être cette fois jeté dans le Tibre. Apparemment quelqu’un repêcha le squelette pour les garder jusqu’à sa réhabilitation et son nouvel enterrement, en la Basilique Saint-Pierre dans ses vêtements pontificaux [car réhabilité].

Tous ces rebondissements en font une de ces petites histoires médiévales truculentes, légèrement macabres. Bien sûr, dans un univers de jeu de rôle, le macabre et la truculence ont toute leur place. C’est ce qui m’a amené à réfléchir sur une façon de réutiliser cet épisode dans une campagne.

Je suis presque sûr que ce n’est pas la première fois que quelqu’un utilise le Concile Cadavérique comme inspiration pour un JdR. Plutôt que de chercher sur Internet si quelqu’un l’avait déjà adapté, j’ai préféré l’écrire moi-même.

Formosus, le mort-vivant

Nous avons choisi pour le reste du texte d’utiliser le nom latin du pape, Formosus. Parce que pour un mort-vivant et une Némésis pareille, ça claque mieux. De plus, le latin est la langue de l’église et du droit à l’époque.

Je suis parti de l’idée suivante : Formosus pratiquait déjà un peu la magie lorsqu’il était évêque, profitant des miracles qu’elle lui permettait de réaliser [un clerc selon les canons D&D (NdT)]. Il possédait même quelques reliques. Au cours de ses nombreux voyages en tant que légat du Pape, Formosus fut certainement confronté à quelques problèmes exigeant une connaissance approfondie du surnaturel.

Parmi ces découvertes, il trouva d’obscurs écrits de magie noire promettant encore plus que le pouvoir :

  • une existence prolongée pour prendre l’ascendant sur les gens et les diriger,
  • des rituels païens encore pratiqués dans quelques coins reculés de la chrétienté, par des sorciers impies étudiant des savoirs interdits aux mortels, et bien sûr par les agents des puissances infernales.

Le pape Formosus, certaines sources prétendent que sa famille était d’origine corse.

Au début, Formosus ignora de telles tentations et les combattit même partout où il se rendait. Il était homme de Dieu et l’au-delà ne l’effrayait pas. De toute façon, il s’attendait à rejoindre le Paradis.

Cependant, le différend concernant le trône impérial le changea. Comme il s’était retrouvé mêlé à des luttes d’influence pour imposer son candidat, Formosus s’éloigna de plus en plus de la Grâce qui auparavant l’avait abrité. Au début, la culpabilité et la douleur étaient plus fortes à chaque transgression d’une des lois qu’il avait juré de respecter. Mais il s’y habitua progressivement jusqu’à ce qu’elles n’aient plus d’importance pour lui.

Formosus fuit Rome au moment de son excommunication. Il avait déjà perdu la foi à ce moment-là, sachant que quiconque ayant commis les mêmes actes que les siens ne pouvait espérer une quelconque rédemption. Bien qu’il eût perdu du pouvoir, il gardait ses connaissances. Il avait à sa disposition d’importantes ressources : sa fortune, des hommes d’armes et des partisans dans l’Église.

Finalement, il en vint à ne plus craindre que la mort et, souhaitant l’éviter à tout prix, se fit amener un certain Messire Deotisalvi (2) — un sorcier censé connaître le moyen d’échanger son âme contre la vie éternelle.

Après avoir enduré d’atroces tortures, Deotisalvi révéla finalement tout ce que Formosus voulait savoir. Le sorcier possédait un grimoire qui contenait un rituel, le sort Aeternal aevum orbis. Cependant, effrayé par ses effets potentiels, Deotisalvi ne s’était jamais aventuré à le lancer. Contraint par Formosus, qui alternait promesses et menaces, le sorcier lança le sort sur l’évêque. Immédiatement après, Formosus fit assassiner Deotisalvi, à la fois pour protéger son secret et pour l’empêcher de lancer un contre-sort.

Formosus était encore en train de mener des expériences sur sa nouvelle et étrange condition, qui le privait des besoins physiques communs à tous les mortels, lorsqu’il eut l’occasion de partir pour Rome afin de se faire couronner de la tiare pontificale Durant un temps, il réussit à garder sa condition secrète, trompant toute la Curie Romaine et ses alliés séculiers.

Cependant, il avait toujours des ennemis. Lambert de Spolète haïssait Formosus et il savait qu’il pouvait compter sur l’aide de sa mère Ageltrude de Bénévent, elle-même une puissante sorcière. Elle maudit Arnulf de Carinthie pour s’être allié à Formosus [de sorte qu’il ait un accident vasculaire cérébral et s’éloigne de Rome (NdT)] ; puis elle se rendit à Rome avec son fils.

Formosus, encore inexpérimenté dans le domaine de la sorcellerie, avait moins de pouvoir que sa rivale et ne put lui cacher son secret. Ageltrude se rendit compte ainsi, avec horreur, que le Saint-Père actuel était une liche.

Manœuvrant rapidement, Lambert et ses hommes les plus loyaux, accompagnés d’Angeltrude, prirent le contrôle du Palais du Latran [la résidence papale d’alors (NdT)], combattant les fidèles de Formosus dont certains ne le servaient pas en tant que Pape mais en tant que grand sorcier qui avait réussi à vaincre la Mort elle-même. Malgré cela, les assaillants sortirent vainqueurs.

Formosus ne fut pas détruit. Il réussit à fuir, jurant de se venger contre ceux qui avaient pris le Palais. Formosus ne mit pas longtemps à essayer de revenir, mais il fut vaincu à nouveau par Lambert, Ageltrude et le pape Étienne VI, au cours d’une période connue à présent sous le nom de Synode Cadavérique. Il leur fut néanmoins à nouveau trop difficile de détruire Formosus ; ç’aurait été un exploit largement au-dessus de leurs possibilités.

Bien que l’Antipape réussît à se venger de sa défaite en faisant assassiner Lambert en 898 [officiellement lors d’un accident de chasse], puis Ageltrude en 923, il savait qu’il ne lui serait plus possible de remonter sur le trône papal. Il se retira donc dans un endroit secret, une forteresse dans les montagnes où il put étudier et apprendre la sorcellerie.

Le temps était de son côté et dans les siècles suivants, Formose devint un sorcier prodigieusement puissant. Son inépuisable patience, ainsi que la pleine conscience d’être un mort-vivant, le rendent particulièrement dangereux. Mais le temps a fait son œuvre et regarder Formosus en face est une expérience éprouvante.

Formosus n’a plus accès à la Grâce Divine [c’est-à-dire à ses pouvoirs de clerc (NdT)], cependant, tant qu’il ne sera pas détruit, ce qui est une tâche ardue, il continuera à arpenter la terre. Et à comploter.

Article original : Formosus, the Lich who ruled Rome

Sélection de commentaires (version espagnole)

Narrador :

Très très bon et utile, tant pour un historique de PNJ que pour une amorce d’aventure (voire pour quelque chose de plus riche comme un monde ouvert).

Réponse de Cronista :

Merci. Il faut dire que l'histoire nous est servie sur un plateau. C'est fou la façon dont ils se conduisaient.

M. Alfonso García :

Très curieux… Je ne connaissais pas l'histoire du Pape Formose.

Elle est certainement idéale à introduire comme background ou épisode d'un scénario.

Réponse de Cronista :

On associe habituellement à la Renaissance les papes les plus outrageusement politisés et comploteurs, mais il suffit de creuser un peu et on trouve tout de suite de nombreux personnages des siècles précédents qui n'auraient rien à envier aux Borgias. C'est une vraie mine.

EL Guardian :

Putain c'est du bon ! Avec votre permission je pourrais l'utiliser dans une hypothétique partie future d'Ars Magica. Bon article, très intéressant, avec une moralité : dans beaucoup de cas, la réalité surpasse la fiction. XD


1 NdT : Le Duché de Spolète venait d’être récemment rattaché au royaume d’Italie. Il se trouve sur les bords de la Mer Adriatique au nord-est de Rome. [Retour]

2 NdT : Vous pouvez en faire le fondateur de la famille Deotesalvi, qui se spécialisa dans l’architecture ésotérique. D’ailleurs Deotisalvi est un architecte de Pise qui y aurait bâti l’église du St Sépulcre en 1200 après JC ; pour preuve l’inscription sur le campanile de cette église : MCLIII, MENSE AUGUSTI FUNDATA FUIT HAEC ECCLESIA; DEUSTESALVET MAGISTER HUIUS OPERIS. Ce n’est pas cette famille qui fit les plans de la Tour de Pise (campanile de la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption), mais qui dit que les Deotisalvi n’ont pas maudit les créations de leur concurrent Bonanno Pisano ? [Retour]

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