Une campagne expérimentale : le Voyage du Héros

{Attention : cet article dévoile un peu La Roue du Temps de Robert Jordan}

La campagne de super-héros adolescents que je maîtrisais de temps en temps un vendredi sur deux s’est terminée plus vite que prévu. Rien ne s’est mal passé : les joueurs ont juste relié d’une ligne droite les différents points d’intrigue au lieu de faire comme d’habitude et de rebondir dessus comme des billes de flipper.

Ce n’est pas grave : tout le monde s’est amusé et la campagne s’est naturellement conclue sur une fin qui, je pense, était à la fois satisfaisante et inattendue. Ça a laissé cependant au groupe le choix de ce à quoi nous jouerions la fois prochaine (qui en fait est demain).

Après en avoir discuté, nous avons décidé d’expérimenter quelque chose. Tout le monde a entendu parler de livres basés sur des campagnes de jeux de rôle, comme Les chroniques de LanceDragon (1). D’autres s’inspirent de campagnes qu’ils ont menées comme base pour d’autres histoires qu’ils voulaient écrire ; comme le fait d'établir un univers de jeu, que les PJ aident à "construire", ce qui donne au MJ de quoi écrire d'autres histoires dans ce monde... Pour résumer, de nombreux rôlistes ont de multiples fois essayé de lier jeux de rôle et romans. En tant que groupe, nous avons décidé d’essayer de faire de même, non pas en tirant un récit de nos parties après coup, mais en créant une campagne où nous essayerions d’émuler en jeu les sensations d’une saga littéraire.

Mais pourquoi est-ce que cela mérite un article dans a catégorie Game Design [de mon blog] ?. Et bien d’abord, toute histoire a un personnage principal. Même si elle a de nombreux personnages principaux, un seul est le véritable protagoniste. Aussi importants que soient Ron et Hermione, Harry Potter reste le héros de sa propre saga. Dans La Roue du temps, malgré toute l’importance donnée (du moins au début) au fait que Rand, Matt et Perrin soient tous des Ta’veren (2), Rand Al’Thor est bien l’unique personnage principal, et les livres racontent comment il devient le Dragon Réincarné.

C’était donc le premier problème auquel notre groupe était confronté. Si nous devions jouer une campagne basée sur les sensations données par des romans, elle devrait se concentrer sur un héros ou une héroïne en particulier. Une personne qui franchirait les étapes du Voyage du Héros (3) et sauverait ou condamnerait le monde entier. Il est important que cette décision soit collective, car tous les joueurs.euses n’incarnant pas le héros doivent accepter qu’ils n’auront pas à la fin de la campagne les mêmes jouets et opportunités que le protagoniste. Cela veut aussi dire que le joueur ou la joueuse qui incarne le héros subit une plus grande pression. Si son personnage meurt, la campagne est terminée. S’il ou elle ne s’amuse plus avec lui et veut l’abandonner, la campagne se finit aussi. Si le héros s’en va, il n’y a plus de Mythe, et donc plus rien à raconter.

Cycle du voyage du Héros

Cela veut dire qu’un.e seul.e joueur.euse doit gérer le fait que si son personnage meurt, la campagne se termine avec lui, et qu’il ou elle est donc bien plus coincé avec son perso que les autres joueur.euses. Nous avons aussi pour l’instant quatre (possiblement cinq) joueurs.euses qui créent des acolytes (support characters). Ce sont d’autres personnages principaux, [mais] ceux qui s’assurent que le héros accomplit son destin. Ils auront leurs propres problèmes et obstacles à affronter, mais ne l’éclipseront jamais. Peu importe ce qu’ils font, à quel point ils essayent ou ce qu’ils deviennent, ce ne sont pas eux qui sauveront le monde. Et même si indirectement c’est le cas, le héros en retirera tout le crédit, et pas ses amis.

Si plus d’un joueur veut être le héros, ne voulant pas laisser ce rôle-là à quelqu’un d’autre pendant la campagne, et bien soit vous devez essayer de trouver un compromis, ou, de façon plus réaliste, ce n’est pas le genre de campagne que vous pouvez mener avec ce groupe.

Le héros n’est que le premier des problèmes liés aux personnages d’une campagne de ce genre. Un autre est celui du niveau de puissance de départ des PJ. En lisant n’importe quel roman de fantasy ou de science-fiction mettant en scène un groupe de personnages, on se rend compte qu’ils n’ont pas tous le même niveau de puissance comme c’est souvent le cas dans les jeux de rôle. La plupart de ceux-ci traitent de façon simple la question de l’équilibrage des personnages : ils les font tous commencer sur un pied d’égalité, avec le même nombre de points ou l’équivalent dans le système de jeu.

Le souci est que dans notre genre de campagne, les autres PJ non-héros sont plus puissants au départ. Chacun a ses propres capacités et niveaux de puissance, que le héros rattrapera et finalement dépassera pendant l’accomplissement de son Voyage. Donc le deuxième problème rencontré est d’arriver à trouver les bons niveaux auxquels faire commencer les autres PJ. Cela peut être fait facilement avec un système de budget de points de création [L’auteur et son groupe de jeu utiliseront pour leur campagne une version modifiée du Roll & Keep de la 3e édition de L5R (NdT)] : il suffit de demander au joueur quelle sorte de personnage il veut incarner, et de travailler ensemble à dépenser les points de sorte à les faire arriver à un niveau de compétence correspondant à l’image que vous vous en faites, tout en veillant à ce qu’il ne concurrence pas les autres dans leurs spécialités. Questionnez vos joueurs séparément et faites de même pour la création de leur personnage : ce n’est pas important s’il y a des disparités de niveaux entre eux, après tout, vous devez déjà gérer celle avec le héros.

Le troisième problème, comme le quatrième, est une conséquence directe du deuxième. Avec cinq personnages de niveaux différents, trouver des défis pour l’ensemble du groupe est difficile. Il vous faut mettre en danger les PJ les plus forts, tout en évitant que ceux de bas niveau ne soient dépassés. Ce sera crucial pour les combats, où une rencontre mal pensée peut mener tout le groupe à sa fin, et la campagne avec, ce qui n’est pas souhaitable. Du moins, pas à ce moment-là.

En dehors des combats, il est plus facile d’équilibrer les défis en les faisant correspondre aux personnages ; mais le combat fait partie des « sports d’équipe » de beaucoup de jeux de rôle. Je n’ai pas de solution pleinement efficace en tête pour l’instant, à part faire que les adversaires les plus dangereux se concentrent sur les PJ les plus puissants au début du combat, et faire confiance aux PJ pour protéger les plus faibles d’entre eux.

  • la première est que comme tout le monde étant de niveaux différents, les défis seront plus ou moins durs pour eux ;
  • la deuxième est que, lors de la progression de l’histoire, le héros doit rattraper et dépasser le reste du groupe en terme de capacités.

Bon ; peut-être que le héros ne sera pas meilleur que ses amis en tout, mais il doit débuter comme l’un des personnages les plus faibles et finir en étant parmi ceux qui ont le plus de points d’expérience. Parallèlement, les autres PJ qui, eux, ont commencés à un niveau beaucoup plus haut, ceux dont la progression est largement entamée ou finie, devraient gagner moins d’XP, la contrepartie d’avoir commencé si avancé. Entre ces deux moments – celui où le héros est faible et celui où il devient très puissant –, nous restons fidèles à l’esprit d’une saga littéraire : les personnages les plus faibles progressent de façon plus impressionnante au fur et à mesure qu’ils mûrissent et gagnent en compétences lors de leur périple. Tandis que ceux qui étaient au départ les mieux préparés à vivre une aventure vont évoluer moins vite, restant ainsi un point de comparaison stable pour les autres membres du groupe.

Tournons-nous, à nouveau, vers La roue du temps où on devine à quel point Rand est devenu un bretteur accompli quand Lan lui dit qu’il est maintenant presque aussi bon que lui. Ou regardons du côté du Japon avec le manga Naruto wiki, où l’on gagne plus de respect pour son héros lorsque Kakashi [le mentor de Naruto (NdT)] doit utiliser [la technique spéciale puissante] Sharingan afin d’éviter qu’un exercice d’entraînement avec Naruto ne devienne dangereux.

Ces quatre problèmes ne sont que le sommet de l’iceberg quand on veut mener ce genre de campagne.

  • La structure narrative,
  • les ennemis,
  • faire avancer l’intrigue ou
  • s’assurer que le héros passe bien par les étapes du Monomythe

…comportent leurs propres défis. La solution aux difficultés évoquées dans cet article est toujours la même : la communication. Cela devrait être le cas dans un groupe en qui vous avez confiance, mais peu importe : la communication est essentielle. Il ne faut pas oublier que même si tout le monde a accepté de jouer une campagne où un seul PJ est le véritable héros, cela ne veut pas dire qu’il faut négliger les autres personnages. Le héros est la star de votre campagne, mais que cela ne doit pas empêcher les autres d’avoir leur propre moment de gloire. Cela signifie entremêler des arcs narratifs secondaires avec l’arc principal, arcs dédiés aux non-héros Cela rend plus difficile la tâche du ou de la MJ, mais si c’est bien fait, ça devrait garantir un bon moment à tout le monde.

Comme je l’ai dit, je ne connais pas tous les problèmes que l’on peut rencontrer en menant ce genre de campagne, mais je suis impatient de les découvrir. Si vous essayez vous-même d’en maîtriser une, ou si vous êtes juste intéressé par celle-ci, gardez en tête les quatre premiers problèmes car ce sont eux que vous croiserez, rien que lors de la création des personnages.

Article original : An Experimental Game : Greymoore


(1) NdT : Série de romans à succès de Margaret Weis et Tracy Hickman, ils ont pour origine des modules de Donjons et Dragons créés dans leur univers de jeu maison. Lisez nos différentes trads qui en parlent. [Retour]

(2) NdT : La Roue du Temps wiki est une saga de romans de fantasy populaire aux nombreux tomes, écrite par Robert Jordan, où le héros et ses amis d’enfance sont arrachés à leur village natal, pour lutter aux côtés d’autres personnages contre le Ténébreux. Un Ta’veren est quelqu’un autour de qui les fils de la destinée s’entremêlent, lui permettant d’apporter des changements à son destin, changements contrôlés par la Roue du Temps. [Retour]

(3) NdT : Le Voyage du Héros wiki (ou Mythe du héros ou Monomythe) fut théorisé par Joseph Campbell dans Le Héros aux mille et un visages. Il met en lumière les similitudes que partagent beaucoup de récits à travers le monde où le héros franchit 12 étapes lors de son voyage initiatique. [Retour]

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Pour aller plus loin…

L’auteur raconte les séances de cette campagne sur son blog, ça commence sur RealityRefracted.com (en).

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