Effrayez-les
© 1997 Allen Varney (paru dans le magazine InQuest n°31)
Vous venez tout juste de commencer votre campagne de l’Appel de Cthulhu grog, Wraith grog ou Ravenloft grog ou même Paranoïa grog. Vous souhaitez effrayer vos joueurs et joueuses, pas vrai ? Vous voulez les voir allongé.es sur le tapis, tellement ils ont peur. Vous voulez voir des jambes trembler, des nerfs à vif ? Vous voulez voir vos joueurs ou joueuses dos au mur, des bouteilles de soda cassées à la main criant « n’approchez pas ! », hein ? Bravo, bon courage !
Voici 12 choses à faire (ou pas) pour générer des crises d’angoisse à votre table.
1. Trouvez des joueurs qui acceptent d’être effrayés
Vous êtes en train de vous dire : « Évidemment ! ». Mais méfiez-vous du joueur qui dit : “Bien sûr, j'adorerais jouer la campagne des Masques de Nyarlathotep [célèbre et très longue campagne pour l’Appel de Cthulhu (NdT)]", et qui se trouve agacé quand vous jetez son perso détective privé alcoolique dans la piscine de sangsues. Certains joueurs jouent en permanence en mode « héros de film d’action » - calme et à la forte mâchoire - et n'aiment pas les mécanismes de règles comme les tests de Santé Mentale de L'Appel de Cthulhu ou les tests d'Horreur de GURPS Horror grog qui « forcent » leurs personnages à crier, à courir ou à développer une thalassophobie [Phobie des étendues d’eaux vastes, profondes et sombres (NdT)]. Discutez de ce genre de conséquences probables avec chaque joueur avant le début de la campagne et assurez-vous qu’ils les acceptent.
2. Conservez le mystère
Une des caractéristiques de l’horreur classique est la perte de compréhension. Supposons qu’après avoir suivi plusieurs indices, les PJ se rendent compte que le Dr Incunabula utilise un Rayon Devolvo pour transformer des gens dans tout le continent en chimpanzés. Ils débarquent dans son Laboratoire Devolvo, détruisent la machine et découvrent qu’il s’agit d’une boîte vide avec des étranges symboles griffonnés à l’intérieur. Oooh ! Le meilleur des scénarios ressemble à un oignon : retirez une couche et vous en trouverez une autre dessous.
3. Mettez en danger les Personnages-Joueurs (PJ) sans sommation
Vous pouvez créer plein de bonnes scènes de panique en établissant une tension qui augmente progressivement et qui se relâchera soudainement lors de l’attaque du monstre. Mais ce n’est pas la seule façon de faire sursauter votre table. Joe Bob Briggs, critique de films de série Z décrit le meilleur slasher [sous genre du film d’horreur wiki (NdT)] par cet ultime aphorisme : “n’importe qui peut mourir n’importe quand”.
Cette règle fonctionne particulièrement bien dans le JdR Paranoïa de West End Games où les clarificatrices et clarificateurs (PJ) peuvent mourir même lors de la distribution de leur équipement de mission. Mais même dans les scénarios linéaires d’Horreur, envisagez des attaques soudaines depuis un lieu inattendu sans tension préalable annonciatrice. Supposons que les PJ se préparent pour l’attaque finale contre le repaire rural des cultistes mais qu’iels s’arrêtent d’abord en ville pour faire le plein de leur véhicule. Iels s’apprêtent à payer, et vous annoncez prosaïquement : « le caissier a été sauvagement assassiné. Vous entendez des bruits étranges dans le garage voisin. » Ouah ! (1).
4. Ne retirez jamais le contrôle des PJ aux joueuses
Bien que de nombreuses histoires d’Horreur tournent autour du personnage principal qui perd le contrôle, les rôlistes détestent quand elles perdent le contrôle de leur PJ. Infligez à un malheureux PNJ la possession démoniaque que vous prévoyez plutôt qu’à un PJ. La partie ne s’en portera que mieux.
5. Exposez les ressources étendues des ennemis
J’ai écrit une aventure pour Spelljammer AD&D grog qui propulse les aventuriers de l’espace dans un astéroïde creux. Une race de monstres avait transformé l’endroit en un complexe de salles cubiques gigantesques (chacune de plusieurs kilomètres de côté) pour construire un artefact colossal. Les salles étaient pratiquement désertes, j’ai donc été surpris quand plusieurs MJ m’ont dit plus tard : « mon groupe était mort de peur ». L’endroit par lui-même n’était pas effrayant, c’était juste l’idée que les méchants puissent avoir autant de pouvoir.
George MacDonald, coauteur du jeu de rôle Champions grog, propose une autre façon de faire allusion à une némésis toute puissante : « Cela effraie [les joueurs] lorsqu'un personnage déjà puissant exprime de la peur. Lorsque le Docteur Destructeur [un génie de la conquête du monde] se pointe et leur dit : “vous devez m'aider, ou le monde tel que nous le connaissons sera détruit”, ils font « Whoa ! ».
6. L’ennemi doit paraître immunisé aux armes classiques
King of Chicago grog, un supplément de scénarios pour l’Appel de Cthulhu, met en scène un monstre des ténèbres que l’on peut tuer avec une lampe de poche. Oh, j’ai peur ! Donnez la possibilité aux PJ de tirer sur les ennemis avec leurs meilleures armes. Montrez-leur que ces armes n’ont absolument aucun effet. Attendez qu’iels commencent à prier. Puis donnez-leur un indice qui les mènera à l’arme spéciale capable de tuer cette chose.
7. Bousillez le corps des PJ
L’invasion corporelle est un classique des films de monstres depuis Alien en 1979 et vous pouvez le rencontrer également dans beaucoup de jeux de rôles d’Horreur. Une nuit, des extraterrestres procèdent à des expérimentations secrètes sur un PJ et l’améliorent pendant son sommeil dans une aventure de Delta Green grog publiée par Pagan Publishing. Par la suite, le PJ a besoin de très peu de nourriture mais a continuellement soif. Comment vous sentiriez-vous ?
extrait de la BD La Métamorphose, par Franz Kafka et Éric Corbeyran
8. Bousillez progressivement le corps des PJ
L’Élève de Pickman par Keith Herber grog - une des meilleures aventures de l’Appel de Cthulhu dans Les Contrées du Rêve grog - se focalise sur une victime humaine qui se transforme progressivement en un monstre des Contrées du rêve. Les PJ ont des raisons de le surveiller quotidiennement mais ne peuvent stopper la transformation qui dure une semaine. Le mardi, son corps gonfle, le mercredi des pustules apparaissent. Elles éclatent le vendredi pour révéler « des petites têtes déformées qui ressemblent à des animaux » qui se nourrissent de la chair de la victime… et pendant ce temps, sa petite amie attentionnée devient de plus en plus folle. Le principe général derrière cet exemple est laissé à l’appréciation de l’arbitre (MJ).
9. Retournez leurs équipements contre eux
Feng Shui grog, le JdR à l’ambiance de film d’action n’est pas considéré comme un jeu d’horreur mais il présente des aspects qui donnent la chair de poule. Son équipement mêlant magie et technologique « arcanotechnologique » (arcanowave) est dégoûtant mais bien pratique :
- des yeux insectoïdes humides qui se collent à votre front, et vous indique le degré de blessures de vos adversaires ;
- de l’ectoplasme vert qui, une fois injecté par un fusil hypodermique d’un mètre, vous affuble d’une carapace épaisse de chitine,
- des grenades douloureuses, des éventreurs à hélices et des simulateurs neuronaux qui se tordent de manière obscène.
Tout ça vous fait muter progressivement en une abomination, à chaque utilisation. Donnez à vos PJ des gadgets grotesques mais indispensables et regardez les devenir de plus en plus mal à l’aise.
10. Retournez les PJ les uns contre les autres (enfin, faites en sorte que…)
N’essayez pas ça dans lors d’une campagne mais seulement lors d’un one-shot. À différents moments au cours du scénario, prenez chaque joueuse à part et dites-lui en privé qu’un autre PJ agit « de façon étrange ». Vous pouvez décrire le même comportement à chaque joueuse ou bien en inventez un autre (en désignant un autre PJ) à chaque fois. Est-ce que cela peut être lié à l’intrigue ? Peut-être. Ou peut-être qu’on s’en fiche. Cela ajoute juste un tour de vis à la tension. Soyez juste certain que vos joueuses paranoïaques ne dégomment pas leurs persos respectifs avant le paroxysme de l'aventure.
11. Trafiquez les règles
George MacDonald (encore lui) : « J'ai toujours prévenu mes joueur.euses que mes aventures [de super-héros] d'Halloween étaient différentes. De toute façon, à Halloween, les superpouvoirs de leurs personnages, qui étaient plus ou moins des déformations de la réalité conventionnelle, se comporteraient un peu... différemment. Moins contrôlables ».
Qu'est-ce que MacDonald veut dire exactement ? Il résume la technique en un mot :
Trichez. Trichez beaucoup, ouvertement et de façon spectaculaire. Les joueurs s'écrieront : “Les règles n’autorisent absolument pas ça !” et vous répondrez : “C'est vrai. Suivant les règles que vous comprenez, ce n'est pas possible”. Cela leur fait peur.
Ceci est recommandé uniquement après avoir gagné la confiance de vos joueurs et joueuses, ce qui peut s'avérer impossible après certaines des astuces mentionnées ci-dessus.
12. Étendez l’univers, puis montrez la place des PJ dans cet univers
Dans l’Appel de Cthulhu ou dans les histoires d'Horreur de H. P. Lovecraft qui ont inspiré ce jeu de rôles, le véritable effroi ne vient pas des monstres extraterrestres qui veulent s'emparer de notre monde. C’est plutôt que l’univers est si incompréhensiblement immense et vieux, et que si les monstres s'emparaient de la Terre - et alors ? L’humanité ne représente rien à l’échelle des galaxies.
Les jeux de rôles d'Horreur, en tant que genre, ont accumulé la collection de scénarios la plus admirable et la plus variée de notre loisir. C'est peut-être parce que dans un JdR d'Horreur, vous jouez d’habitude une personne normale confrontée à des dangers exceptionnels. Il est plus facile de créer de la tension quand vous savez que vous n'êtes qu'un humain fragile - le MJ n'a pas besoin d'amplifier toutes les rencontres parce que vous conduisez un char d'assaut ou quelque chose comme ça. Lorsque vous trouvez un indice ou que vous survivez à une expérience difficile, c'est vraiment excitant.
Donc, jouez d'abord sur l'ordinaire, puis basculez dans l'extraordinaire. En peu de temps, vos joueurs et joueuses briseront des bouteilles de soda et se retrouveront dos au mur. C’est exactement ce que vous souhaitez.
Rien n'effraie Allen Varney ! Non, rien !
Article original : Spooking Them
(1) NdT : dans Comment faire peur aux gens ptgptb, Dan Wells explique au contraire que l’information « hors personnage » fait monter la tension :
« Un groupe de gens est en train de parler base-ball et soudain une explosion emplit la pièce. C’est intéressant, mais sans grande accumulation de tension ou de peur. En comparaison, informer les lecteurs qu’il y a une bombe sous la table tandis que le groupe est en train de parler base-ball change complètement la scène. »
Le paradoxe s’explique via l’exemple des PJ prêts à donner l’assaut aux cultistes : ils ont la situation sous contrôle. Ils ont un plan, ils prennent même la précaution de faire le plein ! Ils pensent avoir l’initiative. Bref, c’est une situation relativement ennuyeuse. Mais l’attaque inattendue du monstre bouleverse leurs plans… [Retour]
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