Encore plus de crève-coeurs de la Fantasy

(c) Adept Press 2004

Mettez-vous aussi à la création de “JdR crève-coeur”

Vers le premier article

Un des buts de ce texte est de clarifier ce qu’est un « Crève-cœur de la fantasy », suite à quelques confusions liées à mon premier texte du même titreptgptb. Pour qualifier un jeu de rôles de « Crève-cœur », trois aspects sont à prendre en considération : le contexte de sa publication, la conception des règles et son contenu imaginaire. Les trois comptent, mais je pense que le dernier est le plus important.

Le contenu imaginaire de base d’un Crève-cœur de la fantasy tire son inspiration de la fantasy de jeu de rôle, et spécifiquement de Donjons & Dragons.

Qu’est-ce que « la fantasy de D&D » ? Elle inclut : de créer des personnages avec une forte composante aléatoire, ainsi qu’un aspect stratégique important ; rencontrer des PNJ ou des monstres ; survivre aux rencontres (ou pas) et progresser. Les personnages voyagent, se regroupent, se chamaillent un peu, marchent sur la corde raide entre tcoopération et exploitation des uns les autres, estiment les menaces (l’évaluation des risques est vraiment un aspect important) et combattent celles qui sont inévitables ou particulièrement récompensées. Quelques remarques en sus :

‘faut des elfes et des nains ;
‘faut des complexes souterrains,
‘faut qu’y’aie des groupes d’aventuriers,
‘faut un large éventail de possibilités tactiques (armes/armures),
‘faut une gamme similaire de sortilèges ;
‘faut graduer les échelles de ces deux gammes avec de « l’expérience » ; et
‘doit y avoir une brouette pleine à craquer de menaces.

(Je souhaite souligner que les termes de « fantasy à la Tolkien», de « fantasy traditionnelle » ou « high fantasy » sont parfois utilisés pour faire référence à la « fantasy à la D&D » mais je pense que tous sont extrêmement imprécis et confus (1) .

Leur contexte de publication est un peu plus subtil. De mon point de vue, un Crève-cœur reprend délibérément les origines de D&D en tant que jeu : quelques gars, une bonne idée, un travail de passionnés et un bouquin sur les étalages avec l’espoir que les rôlistes l’aimeront. « Gary l’a fait, pourquoi pas nous ? ». Dans cette perspective, nous parlons de « indé plus indé qu’indé » (2) – « indie-indie-indie » selon les termes de The Forge.

Un élément de ce contexte est que la plupart de ces éditeurs sont complètement naïfs vis-à-vis du système de distribution en trois niveaux [Producteur - distributeur - détaillant ; chacun prenant sa marge, NdT]. Pour être positif, cela veut dire qu’ils sont plus intéressés par faire de leur JdR un élément de la culture rôliste, que par se faire un peu d’argent facile en matraquant les distributeurs de publicité.

L’autre prolongement intéressant est que les produits d20 ne peuvent pas être, par définition, des Crève-cœurs : par principe, le d20 et D&D3ème Edition en particulier ne reprennent pas du tout le modèle d’édition originale de TSR.

Ici un facteur historique entre aussi en jeu. Les premières innovations étaient alors vraiment des innovations : le Manuel des combats, le Manuel des sorts et le Manuel des créatures de Rolemaster [les trois volumes originaux de Rolemaster, système novateur à l’époque avec par exemple le jet “ouvert” en D100 (NdT)] ne sont pas des Crève-cœurs, pas plus que ne le sont Melee/Wizards ou le premier Tunnels & Trolls. Cependant, aujourd’hui, un jeu publié comme « un Jeu de Rôle de fantasy original » qui ressemblerait à l’un d’entre eux pourrait être qualifié de Crève-cœur. Une partie de la définition inclut l’ignorance de la diversité existante des gammes de jeux.

Les règles sont également un problème, mais c’est moins tranché qu’on pourrait le penser. Certaines personnes ont été déconcertées par l’élément de définition : «des règles maison issues de parties de D&D ». Grosso-modo, oui, un Crève-cœur a souvent des règles imitant D&D ou ayant les mêmes présupposés. Mais le degré de « règles maison » peut aller très loin, et certains Crève-cœurs ont des systèmes entièrement autonomes, fabriqués à partir de rien. Les règles n’ont ainsi pas besoin d’être directement dérivées de celles de D&D. Toutefois, quand elles ne le sont pas, elles sont principalement des reprises des développements qui ont immédiatement succédé à D&D et qui sont perçus par les auteurs comme des innovations. Un certain nombre d‘entre eux ressemblent aux premiers Runequest, Rolemaster ou MERP ou partagent un ou deux traits de AD&D2, mais vraisemblablement plus par développement parallèle que par imitation.

Je ne considère pas comme des Crève-coeurs certains des JdR de fantasy récents, que sont Arrowflight, The Riddle of Steel, Chain of Being et Donjon.

La dernière reprise

Ces derniers mois, je suis tombé sur trois JdR qui ont pris directement place dans la liste de JdR de mon premier texte. J’espère que tout le monde comprendra que ce qui suit n’est pas une série de critiques, mais simplement des comparaisons de textes. Je ne peux parler de la jouabilité réelle de ces jeux, de leur Cohérence ou d’autres aspects que par déduction.

Ils ont tous les attributs fondamentaux de la conception des Crève-cœurs : des caractéristiques générées aléatoirement, de nombreuses caractéristiques dérivées et une insistance lourde sur les races. La majorité du livre est dévolue aux options de création des personnages, tout spécialement si vous incluez les listes de sorts dans cette catégorie. Le reste est essentiellement des listes de trucs à trouver, acheter ou tuer, et une histoire de l’univers de jeu. Ils ont des systèmes de magie assez standards, à la différence de la plupart des jeux décrits dans mon premier texte.

Je vais exposer quelques-unes de leur différences et leurs qualités spécifiques (souvenez-vous, tout Crève-cœur a au moins une bonne idée, voire une brillante idée) puis réfléchir un peu plus.

Demon’s Lair, de Lasalion Games, présente un « facteur de crispation » élevé, tant par son style que par son contenu. Il se lit comme une version hyperactive et sans recul de Arduin’s Grimoire, [JdR de fantasy du milieu des années 70, très proche de D&D (NdT)], parsemée de citations creuses de personnages, et de blagues ratées, dont une règle pour voir si un personnage doit aller pisser au milieu d’un combat. La création des personnages est inconsistante, au point d’être dispersée et bizarre, avec une « super classe » qu’un seul joueur du groupe peut choisir, ce qui est un exemple de la logique débridée par association d’idées semblant régir ce système de règles.

En ce qui concerne le système de résolution, je n’ai aucune confiance dans le système de combat ni dans celui de magie, qui (à première vue) me semblent joyeusement décousus. Mais peut-être ai-je mal compris. Si le but est d’obtenir un résultat aléatoire et sans queue ni tête, et s’ils envisageaient une approche à la va-comme-je-te-pousse façon Ninja Burger [si votre ninja ne livre pas en 30 minutes, il se fait seppuku ! (NdT)], alors peut-être que ça peut marcher du tonnerre.

La section du Maître de jeu est stupéfiante. Elle donne une juste définition du “thème” du premier coup, ce qui est bien mieux que l’on ne puisse en dire de pas mal de JdR ou d’auteurs dans le milieu. Elle inclut des conseils détaillés et pratiques pour gérer simultanément des personnages séparés géographiquement, et sur le découpage de scènes, et elle souligne avec justesse le principe de Lumpley (3) . Si cette section était à la vente en PDF, je me la paierais tout de suite. Elle vaut le prix du jeu entier.

Undiscovered, de Eilfin Publishing, est assez différent. Au lieu d’un tourbillon d’idées entremêlées, c’est un manuel organisé avec soin.

Sa section du Maître de Jeu est l’extrême opposé de celle de Demon’s Lair, et cite “Le Truc Impossible Avant Le Petit-Déj’” (4) aussi clairement qu’il peut l’être. Il est également assez mou dans ses options, qui sont essentiellement basées sur les races elfes/nains de la fantasy, quoique j’aime bien la race des Anges et des Dusters (des serpents-garous).

À la différence de la plupart des Crève-cœurs, Undiscovered est basé sur une mécanique unifiée (d100), mais les auteurs prennent tout de même le temps pour clamer que leur système de répartition de points pour les niveaux de compétences à la création est une innovation.

L’élément clé semble être un certain choix laissé au joueur concernant la gestion de la progression des compétences : vous avez des « degrés » d’expertise et des « niveaux » dans chaque degré. Parfois on a le choix entre passer un degré ou augmenter de niveau dans un degré. Cela me rappelle à la fois Earthdawn et le vieux High fantasy [1981], mais aucun de ces jeux n’offrait autant de flexibilité au joueur.

Globalement, le jeu a un parfum de « Runequest des débuts » au sens où il y a de nombreux “Bzzzt!” magiques flottant partout, basés surtout sur les croyances personnelles. Il a également un agréable air d’Earthdawn dans le fait que tous les personnages sont artistes, avec de nombreuses compétences « taille de pierres », « tissage » et autres.

Ils ont aussi dégotté une peinture de Julie Bell pour la couverture qui a été faite exprès pour ce JdR. J’aimerais connaître l’histoire qui se cache derrière cette illustration…

NdT : Nous avons traduit une partie de la description du Livre de base de Undiscovered: The Quest for Adventure … un discours très “Créve-coeur”!

* Ce système sans classes, à répartition de points, vous permet de libérer votre imagination et de créer le personnage que vous souhaitez jouer

* Choisissez parmi plus de 150 compétences, avec 5 niveaux possibles dans chaque compétence, dans des listes de compétences comprenant, les Compétences de Combat Offensives, les Compétences Divines, les Compétences Psioniques, les Compétences de Sage, les Compétences de Débrouillardise et les Compétences d’Extérieur!

* La progression sans limite du personnage permet une créativité illimitée dans le développement de votre personnage

* Pas de restrictions dans la combinaison des races et des compétences

* Choisissez entre 18 races différentes, y compris les Humains Civilisés, les Elfes des Glaces, les Nains Dragons, les Séraphs, les Muklags des Cavernes et les Dracomenscs

* Utilisez les races monstrueuses, comme Centaures, Sirènes, Gobelins, Ogres et Trolls pour créer un personnage

* Les caractéristiques donnent une flexibilité totale, permettant à deux personnages de compétence égale d’être totalement différents! Par exemple un combattant avec une grande Force peut causer des blessures graves. Mais un combattant avec une bonne Endurance peut supporter plus de coups (…)

* Choisissez ou tirez au sort 8 caractéristiques distinctes, comme la Force, l’Esprit, l’Agilité et le Charme

* 180 sorts avec 6 Domaines de magie. Plus de 100 Pouvoirs dans 4 disciplines Psioniques. Plus de 75 miracles dans 11 listes divines, et un panthéon de 28 déités (plus les esprits ancestraux pour les peuples shamaniques)

Death Stalkers, de Cutter’s Guild, est simultanément le jeu le plus déconstruit et conservateur que j’ai jamais vu, à mettre en relation avec le D&D-de-la-plus-vieille-école-possible, jusque dans les moindres détails. Il est presque impossible de tous les résumer : lancements de sorts, ingrédients, points de vie, niveaux, alignements, etc. sont tous du D&D pur jus de bouseux du Middle West. Ce JdR est l’essence du style de jeu D&D conservateur. Il devrait être étudié consciencieusement par tous ceux qui sont intéressés par l’Histoire de notre loisir: il distille presque chaque élément stratégique des textes de la vieille école et les met en relation claire et directe avec la phase centrale personnages-mortalité-défis.

La clé est le rapport entre l’efficacité du personnage et sa vulnérabilité ; je soupçonne que la survie des personnages débutants est largement conditionnée par les largesses du MJ. Il est difficile de comprendre pourquoi on peut avoir envie de jouer aux niveaux les plus bas ; la santé mentale d’un personnage, tout au moins, semble vouée à s’effondrer de façon radicale.

L’innovation réside dans le système de combat, qui est mieux décrit par: « prenons ce qu’il y a de boiteux dans le système de combat de D&D, et faisons de ça un système stratégique.» Apparemment avec succès. Après avoir fixé l’ordre des attaques, on procède du plus rapide au plus lent, puis a rebours du plus lent au plus rapide. Cela déclenche une lutte féroce pour être celui qui va se retrouver du côté avantageux de ce compromis à somme nulle entre « maintenant » ou « plus tard ». Des Actions, des Points d’Agression, des Points de Vie et des réactions aux coups potentiels, sont utilisées comme ressources pour ajuster le déroulement, tout spécialement en estimant quelle variable est le facteur limitant à quel moment. Il paraît difficile à jouer à cause des ressources à comptabiliser : en plus de celles qui sont spécifiques au combat, il y a également la santé mentale, des sorts, et j’en passe.

Je suis assez sceptique quand à l’origine de l’univers de jeu. J’ai cru comprendre qu’une série de romans ou peut-être de jeux informatiques appelés « Deathstalkers » existent déjà. Comme ce JdR, ils traitent de robots géants apocalyptiques dans une sorte d’univers de fantasy, alors je nourris des doutes sur la question des droits d’auteur. Peut-être que tout est déjà réglé, ou n’a aucune importance, mais si quelqu’un est au courant, qu’il me le dise.

Réflexions générales

Premièrement, quelques observations de détails. Le fétichisme du minotaure est toujours bien vivant, tout spécialement sous forme de pléthore de sous-espèces. J’ai déjà soulevé la question des races de semi-morts-vivants sur les forums (Druine, Dunnar et Mi-morts), et je n’ai pas grand chose à ajouter. Et je me demande si le peuple-dragon (Dawnfire, Undiscovered, Deathstalkers) ne pourrait pas remplacer le-jusqu’ici-irremplaçable peuple-minou.

Les Crève-coeurs fantasy sont toujours reconnaissables en termes de “ton”. Si quelqu’un me lisait au hasard quelques paragraphes de, disons, Undiscovered, Forge: Out of Chaos, Demon’s Lair, et Dawnfire, je pourrais dire instantanément de quel jeu il s’agit. En vérité, ça me plaît. Cela est plutôt positif pour notre loisir en comparaison des essaims de tentatives clinquantes, du milieu des années 90, pour voir qui arriverait à présenter un jeu qui imiterait le mieux la prose de Vampire.

Les systèmes de compétences sont incroyablement variés parmi les Crève-cœurs. Certains d’entre eux, comme celui de Deathstalkers, sont manifestement des ajouts après-coup. Ce JdR avait déjà un système de résolution basé uniquement sur les attributs, et le système de compétences est à la fois redondant au regard des classes déjà bien définies, et insignifiant, vu que les personnages commencent avec des compétences à des scores de 10% ou moins.

D’autres, comme ceux de Fifth Cycle ou Undiscovered, sont au cœur du jeu. Je pense que l’éventail existant reprend les mêmes types de développements vus entre 1977 et 1984.

Maintenant quelques problèmes plus essentiels.

Comme je l’ai mentionné dans mon premier texte, je suis généralement impressionné par la Cohérence LNS (5) de ces jeux. Même quand les modes sont un peu chamboulés, ils sont presque toujours bien articulés et la conception de ces JdR offre souvent des solutions intéressantes aux incohérences du genre de D&D. Des nouveaux JdR traités dans cette partie, Deathstalkers et Undiscovered représentent respectivement des cas d’école du Ludisme et du Simulationnisme, et Demon’s Lair, bien qu’essentiellement incohérents en terme de système, inclut certains des meilleurs conseils au « Meneur narrativiste » que j’ai jamais vus.

Ma plus grosse critique concerne certains thèmes du contenu. Je commence vraiment à me poser des questions sur les listes de dieux et sur la religion en général dans les Crève-cœurs. C’est un phénomène unique. Je ne pense pas qu’il soit possible d’imaginer quelque chose qui soit moins religieux que ça. Cela inclut un grand nombre de noms largement imités ou complètement stupides, des correspondances directes avec les options des Personnages-Joueurs (au contraire des sociétés ou des organisations), et beaucoup de restrictions même pas drôles. Le meilleur de tous est Forge: Out of Chaos, probablement parce que, pour autant que j’ai pu le comprendre, cette partie était la moins prise au sérieux et que la toile de fond est écrite pour être amusante et imaginative, plutôt que comme une œuvre personnelle de fantasy.

Un autre problème vient de la supposition d’une évolution du personnage en trois phases : une étape « microbe » prolongée, une étape « assez balèze » et une étape de surenchère irrépressible et irrésistible, tout ça directement issu de D&D vieille école.

Lorsque votre perso est confronté à une menace, la première chose à prendre en compte est si vous jouez dans la même catégorie ou pas, et la seconde, si c’est votre catégorie, est d’identifier le point de rupture de cette menace potentielle vis-à-vis du vôtre.

Toutefois, examinons ce point de plus près : je pense qu’il est essentiel dans la « fantasy de D&D » qu’un personnage débute avec des chances élevées de mourir et très peu de possibilités d’influencer le monde autour de lui. Ensuite, il devient plus efficace, plus influent et plus résistant aux dommages, de manière exponentielle.

L’idée semble être que le joueur doive faire ses classes en tant que “bleu”, risquant énormément la vie de son personnage, pour pouvoir jouir de la croissance de l’étendue et de la puissance de ses pouvoirs, de ses capacités et de son efficacité ; augmentation qui ne peut provenir que du système de récompense. Une énorme partie de l’attrait qu’exerce un JdR semble être basée sur la description explicite de ce que son personnage sera capable de faire plus tard, s’il ou elle survit. Je veux établir une distinction très nette entre ce paradigme et celui que l’on retrouve dans la plupart des JdR, de « progression du personnage au cours du temps ». C’est quelque chose de vraiment, vraiment plus particulier.

Ces questions m’amènent au point central de mon essai. Ces jeux présupposent fondamentalement que si l’expérience de jeu de rôle doit être intelligente (et tout les Crève-cœurs s’en réclament), ce qu’attendent les joueurs tout au long d’une partie est l’aspect « trivial » du jeu : de la stratégie, des massacres et de la ruse. Ils fournissent l’énergie brute, le moteur ; et le rôle du MJ est de dire « vous bastonnez, vous vous battez et vous tuez, et moi je vais vous montrer, avec ce bouquin, la formidable évocation de fantasy que c’est ».

Ce n’est pas de l’illusionnisme (6) : il n’y a aucune illusion, juste se déplacer dans le paysage et l’activité de base consistant à vouloir se battre. Au pire, les joueurs ne font apparemment que remplir leur tableau de chasse en utilisant des systèmes d’équivalences simples pour fixer le niveau face à un groupe de persos donné (Cf. Deathstalkers).

Parfois, on les encourage à donner une « personnalité » à leur personnage, comme « déteste le poisson », « aime les vêtements branchés » ; et le plus souvent, ils sont complètement absents du texte « Où ça un joueur ? Où ça un personnage ? » (cf. Undiscovered). Le plaisir de l’imaginaire et de l’Exploration ressentis par un joueur – et, plus important, partagé entre les joueurs – ne rentre tout simplement pas en compte, même dans les plus simulationnistes des Crève-cœurs, qui sont tous centrés sur l’univers de jeu.

Je pense que c’est un problème sérieux pour la création de JdR de fantasy.

Il est très très difficile, pour de nombreuses personnes, de sortir des pré-supposés de la fantasy de D&D. Je pense que le premier pas pour en sortir est de proposer l’idée que le fait que les PJ soient les héros des histoires (quel que soit le mode LNS), peut aller au delà de l’énergie et de l’ego.

Bien sûr, ce sont des choses très bien, mais je suis frappé par le fait que jouer en n’attendant que cela des joueurs est un moyen sûr de briser le Contrat Social (7)  du groupe. Au final, c’est la raison pour laquelle j’ai choisi une définition générale des Crève-cœurs, en se basant sur leur contenu.

Une proposition intéressante.

Mike Holmes a suggéré un jour que « tout le monde devrait écrire un Crève-cœur ». Que veut-il dire par là?

Notons qu’il a dit « écrire », et pas « publier ». Le bénéfice que l’on peut en attendre, pour autant que je puisse le dire, est une sorte de thérapie personnelle. Les gens ont apparemment des problèmes qui viennent de leurs parties de D&D, de leurs déboires avec des Contrats Sociaux brisés et des modes LNS incohérents. Bien souvent, la conception d’un jeu semble être un moyen de régler ces problèmes. Si je comprends bien Mike, écrire son propre Crève-cœur constituerait une phase de développement du rôliste. Dans certains cas, cela pourrait supprimer le besoin de créer des JdR, permettant de s’assagir et de se mettre à apprécier le jeu ; et dans d’autres cas, cela ouvrira la porte à des conceptions réellement innovantes.

Pour tout un tas de raisons, je ne suis pas un bon sujet d’étude pour cela, mais essayons quand même.

Imaginons que je prenne la fantasy de D&D au pied de la lettre, en suivant délibérément l’approche naïve selon laquelle tout le monde « sait naturellement » ce qu’est un jeu de rôle, ce qu’est la « fantasy », et de quoi parle ce loisir en se fondant uniquement sur la sous-culture donjonnesque.

En outre, je partirai directement de ce que j’ai aimé lire dans le livre de règles et que j’ai aimé jouer. Je travaillerai à les mettre au centre du jeu sans me demander pourquoi ces trucs sont là, ou d’où ils provenaient avant que je les y mette.

J’en arriverai à des races basées sur trois éléments : ajouter de la diversité aux groupes existants (deux sortes d’humains, des sortes d’Aztèques contre des sortes de barbares style Vikings), en gardant les Elfes et les Nains (parce qu’ils font partie de la « fantasy », et je prendrai quelques monstres que je trouve chouettes, pour en faire des PJ optionnels (à savoir les salamandres et de gros trolls moches, et peut-être des hybrides trolls demi-humains). La description des races inclura des tonnes d’infos sur les attitudes, les structures familiales, et ainsi de suite, de façon à ce que les salamandres soient incomprises et exotiques et que les demi-trolls soient de grosses brutes sans remords.

Je créerai des classes, qui peuvent signifier pas mal de choses. Peut-être que j’ « innoverai » en ne faisant pas de classes formalisées mais en en restant à des « professions » et en employant des contraintes internes comme la race et des caractéristiques minimales, ce qui reviendra à des classes mais sans le dire. Chaque profession aura quelques compétences et chaque personnage pourra en choisir librement d’autres en sus. Je limiterai la longueur de cette liste: c’est pour se choisir des avantages à la carte, pas une liste exhaustive de l’étendue des capacités des personnages.

Et j’ajouterai probablement un “machin” métaphysique qu’un personnage pourrait plus ou moins posséder, come le « flux » dans Dawnfire. Super : nous aurions donc des caractéristiques générées aléatoirement, à la base la Force, l’Endurance, l’Agilité, l’Intelligence et la Perception, et nous les utiliserions pour calculer des scores dérivés pour le combat, la magie et « le reste ».

Voyons voir : pour les caractéristiques de départ, j’aime que la race fixe une valeur de base et puis on y ajoute un petit jet de dé, comme dans Legendary Lives. J’aime aussi l’idée que le jet utilise plusieurs dés, pour avoir une forte courbe en cloche mais avec une faible dispersion. Je sais, [je suis un polard]. La race donne une base de 0, 5 ou 10 à chaque caractéristique. Vous faites la somme de 4D6, vous divisez par 2 pour avoir un résultat entre 2 et 12 fortement centré (7), que vous ajoutez à la base.

Ainsi, une hum… salamandre a une agilité de base de 10, vous lancez 4D6 et obtenez (peut-être) 11, que vous divisez et arrondissez à 6, ce qui donne une agilité de 10+6=16. Pour ajouter un peu de relief, je mettrai une table aléatoire des « motivations », toutes amusants et dynamiques comme la célébrité, le profit, la vertu, la vengeance, et ce genre de trucs. Je soulignerai qu’elles ne déterminent pas réellement le comportement du PJ, mais donnent une idée de ce que vous voulez faire progresser chez votre personnage. Cela sera très légèrement favorisé par le système d’expérience.

Le système ? Pas de problème ! Il est compartimenté: le combat, la magie et le reste. Pour le combat, pensez juste à : « l’initiative détermine l’ordre des actions, l’ordre donne les attaques, les attaques donnent les dommages, et la protection diminue les dommages ». C’est une logique classique post-wargame, qui ajoute un genre particulier essentiellement simulationniste à un contexte de jeu ludiste à l’origine, ce qui, j’en ai peur, crée plein d’espace pour des disputes autour du Contrat Social.

Voyons la suite… Une autre chose que je veux, c’est un univers de jeu qui soit chaud, au sens climatique, ce qui limitera les armures lourdes. Ah ! Oui ! Est-ce que l’armure doit diminuer les chances d’être touché, ou est-ce qu’elle offre une protection quand on est touché? J’ajouterai également des tas et des tas d’armes à distance, pour donner un ton et une tension différente au combat.

La magie devient un système secondaire, probablement basé sur les professions en termes de disponibilité des sorts. Selon moi, son efficacité devra être fonction du score de « Magie » du personnage plutôt que fixée par la liste de sorts elle-même. Cela veut dire que tout sort pourra être lancé de façon « faible » ou « puissante » selon le niveau de magie-machin qui est investi dedans. J’aime aussi l’idée que les différentes races utilisent des rituels différents pour les mêmes sorts.

(Je suis un peu vicieux avec le système de combat et de magie ; un certain nombre de Crève-cœurs font beaucoup plus d’efforts pour avoir un système de résolution plus unifié et plus cohérent, particulièrement Undiscovered, Fifth Cycle, Forge: Out of Chaos et Legendary Lives.)

L’univers ? Pas de problème… Faites une carte avec des noms évocateurs, une histoire avec deux cataclysmes, une liste improvisée de dieux, chaque dieu correspondant à un élément de méta-jeu, ajoutez des monstres et deux ou trois « races » que les joueurs ne peuvent pas jouer. C’est le genre de trucs dont je remplissais des cahiers entiers au lieu de faire mes devoirs.

Pour l’expérience (c’est-à-dire la progression du personnage), les armes et l’armure, les mécanismes de dégâts, et bien plus encore, je me sens en forme ! Je présenterai un système de récompense par points pour les créatures tuées ou les énigmes résolues, et j’établirai ensuite un barème pour les dépenser. Mais pour les dépenser à quoi ? Des niveaux ou pas ? Je pense que je serai encore « innovant », et que je vais abandonner les niveaux (soyez certain de mettre ça en quatrième de couverture et dans l’introduction).

Ainsi, la progression d’un personnage passera par l’augmentation de ses compétences, de ses caractéristiques et caractéristiques secondaires, et peut-être même pourra-t-il changer de profession avec beaucoup de points. Mais il faut garder le mot « niveau » quelque part. Il faut que j’y réfléchisse. Peut-être que ce sera lié aux points de vie, pour que certains niveaux de points gagnés (mais pas dépensés) donnent plus de points de vie ou de magie.

…Est-ce que cet exercice apporte quelque chose ? De façon assez surprenante, je me suis amusé. Je suis assez tenté de commencer un carnet de notes pour ce jeu, dont le titre sera… le nom de l’univers de jeu, quel qu’il soit. Il se focalisera sur la guerre en cours et les interactions entre les salamandres-vivant-dans-la-lave et les humains, avec beaucoup de contacts entre les deux et de communautés dans chaque race. Les ruines des habitations humaines et des communautés de salamandres seront clairement des donjons.

…Mais peut-être que cet exercice ne marche qu’avec certaines personnes, et peut-être ce problème est-il lié à une génération. Ma première expérience de JdR fut en vérité le D&D de la vieille école. En ce qui concerne les gens comme moi, oui, Mike a raison. Mais… quid de ces rôlistes qui ont commencé avec un ensemble de présupposés entièrement différent ? Aujourd’hui, il est probable que le premier JdR de nombreux rôlistes soit Vampire.

Considérons aussi que D&D3 a récemment rendu disponible une forme bien plus satisfaisante du point de vue du système, même si elle est moins intrigante que l’original. Aussi est-elle moins susceptible de susciter la frustration chez les utilisateurs. Egalement, si l’univers de jeu en lui-même est votre principale source de créativité, alors le d20 est votre cerise sur le gâteau.

Alors considérons ces gens qui ont abordé notre hobby ces dix dernières années… Peut-on attendre, dans les années à venir, des Crève-cœurs Vampire ?) Ne les avons nous pas déjà sous la forme de Immortal ou The Chosen (8)

Que faire, Que faire ?

Les Crève-cœurs de la fantasy sont un trait continu et irrésistible de notre loisir, et ils débarquent en nombre. Je prévois d’en découvrir encore plus cette année à la Gencon. Au final, même si j’admire le cran de leurs auteurs (et je me battrai jusqu’à la mort pour qu’ils aient le droit de publier), ces jeux sont par nature destinés à échouer, économiquement parlant, pour les raisons que j’ai citées dans mon premier essai.

Mais j’aimerais aller un peu plus dans l’abstrait sur ce point. Même si l’on met de côté les considérations de production et commerciales, je pense que ces JdR sont destinés à échouer à cause de leur conception tautologique : quel que soit le niveau de cohérence ou de logique de vos règles, vous ne pouvez pas faire de fantasy D&D sans être directement comparé à l’étalon, c’est-à-dire D&D lui-même. En d’autres termes, la conception du jeu est piégée. Moins le jeu ressemble à D&D dans son fonctionnement et son contenu, plus il s’éloigne de ses objectifs à savoir « réparer D&D » Et plus il colle à ses objectifs, moins la comparaison avec D&D lui est favorable.

C’est navrant à voir et, malgré mes meilleures intentions, ces JdR ont du mal à amener des gens à y jouer pour en faire des critiques et de la promotion.

Alors qu’en faire ? Y-a-t-il quelque chose à en faire ? J’aimerais développer une sorte d’analyse permanente et suivie des Crève-cœurs, qui permettrait aux gens arrivant à la Forge de bénéficier d’une introduction solide et argumentée à ces jeux, éventuellement comme mesure préventive. Les suggestions ou alternatives constructives sont vraiment les bienvenues.

Et je n’ai même pas commencé à discuter des équivalents en Science-Fiction, principalement basés sur Star Frontiers et Traveller.

Article d'origine : More Fantasy Heartbreakers


(1) NdT : NdT: sur les différents genres de fantasy et de fantasy ludique, voir Jacques Goimard, Critique du merveilleux et de la fantasy, Pocket 2003 [Retour]

(2) NdT : (indé)pendants – naissance du terme dans la scène rock de la fin des années 80wiki(en) [Retour]

(3) NdT : Expression de Vincent Bakerptgptb:

« Le système… est l’ensemble des moyens par lesquels le groupe se met d’accord sur les événements imaginés durant une partie »

[Retour]

(4) NdT : Qualifie un paradoxe de “l’exercice du pouvoir”ptgptb, ici :

« L’arbitre, ou Maître du Jeu, a le contrôle complet de l’histoire, et les joueurs ont un contrôle complet de leurs personnages,… qui sont les personnages principaux de l’histoire »

[Retour]

(5) NdT : cohérence et incohérenceptgptb p.ex. quand un système va dans le même sens ou dans un sens contraire au thème du jeu [Retour]

(6) NdT : un style de maîtriseptgptb où le MJ fait croire aux joueurs que leurs choix importent, alors qu'ils n’ont en fait aucune prise sur le déroulement de l’histoire. [Retour]

(7) NdT : Lisez un exemple concret de Contrat Socialptgptb [Retour]

(8) NdT : le lecteur intéressé par la création de « Crève-cœurs des Ténèbres » se reportera à notre ineffable article Comment écrire un JdR mythique du Nouvel Âge Réminiscent ? [Retour]

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