Les Bacs à sable
© 2014 Joseph Bloch
Bien que probablement plus connu pour mes méga-donjons, personnellement, je préfère la manière de jouer « bac à sable ». Le fait est que le bac à sable, bien que relativement simple à première vue (rassembler plein de trucs choisis au hasard, les balancer [sur une carte vierge] et lâcher les personnages dedans), s’avère être un procédé des plus difficiles à mettre en œuvre correctement.
Alors oui, ce post s’inspire de la critique de Isle of the Unknown chez RPGPundit
Correctement menée, une campagne en bac à sable peut s’avérer le mode de jeu le plus gratifiant qui soit. Cela permet aux personnages d’avoir une emprise totale sur ce qu’ils font, où ils vont et comment ils interagissent avec l’univers du jeu. Ainsi, de nombreux MJ partent du principe qu’il faut confronter les personnages à une région (ou une île ou une ville ou tout autre lieu géographiquement délimité d’une façon ou d’une autre) pleine de trucs intéressants, puis les pousser hors du château pour les laisser découvrir diverses choses, et passer un super moment grâce à ça.
C’est une vision totalement fausse de ce qu’est un bac à sable correctement élaboré.
La première erreur, c’est que trop souvent on pense qu’une campagne en bac à sable entraîne une absence d’intrigue. En fait, beaucoup de gens voient le bac à sable comme l’opposé d’une campagne linéaire et arrivent donc à cette conclusion. C’est peut-être l’idée reçue numéro 1 concernant le concept de bac à sable en JdR. Il y a bel et bien une intrigue. C’est même une des marques de fabrique d’un bon bac à sable ; de nombreuses intrigues se déroulent d’ailleurs, toutes au même moment. En fait, le meilleur moyen d’utiliser les intrigues dans une campagne-bac à sable est de faire interagir plusieurs d’entre elles à divers degrés.
Avoir une tonne de trucs disposés au hasard sans aucune raison d’être particulière ne donne pas une bonne campagne-bac à sable. Ca donnera peut-être une bonne campagne « fun house » [un donjon linéaire où les considérations naturalistes, écologistes et même logiques sont mises de côté, au profit de l’envergure du défi proposé aux joueurs, (NdT)] (et même mon propre Castle of the Mad Archmage intègre des intrigues, des factions et ce genre de choses avec lesquelles les joueurs peuvent interagir à dessein. Elle comporte aussi des PNJ desquels les personnages pourront tirer des informations précieuses à propos du donjon s’ils le souhaitent). Mais le « dans chaque hexagone il y a une expérience étrange et nouvelle » ne fait pas un bac à sable, c’est une aventure « fun house ». Et au bout d’un temps, ce n’est plus amusant, parce qu’il n’y a aucun moyen de prédire ce que sera la prochaine expérience en question.
Maintenant, avant que vous ne me jetiez à la figure que « intrigue rime avec linéarité (railroad) [et dirigisme] », considérez que le seul fait que des intrigues (à la fois dans le sens de conspirations et d’histoires préétablies) existent dans une campagne n’oblige pas les joueurs à les suivre. Ce qui nous amène au second point.
Le libre arbitre des joueurs dans un bac à sable n’existe pas, s’ils font des choix à l’aveuglette.
Prenez par exemple une île où chaque « hexagone » contient un monstre unique ou un artefact magique étrange. Il n’y a aucune relation entre le contenu d’un hexagone et un autre, et les Personnages-Joueurs avancent d’hexagone en hexagone en se cognant contre des monstres sortis des fourrés ; les PJ les combattent avant de passer à l’hexagone suivant. Ils peuvent tomber sur un donjon, ou sur un groupe de bandits, ou sur autre chose, mais ils avancent essentiellement à l’aveuglette sans aucune idée de ce qui les attend sur cette île.
Dans de tels cas, du point de vue des joueurs, comment aller au nord plutôt qu’à l’est peut-il avoir de l’importance ? Ils n’ont aucune idée (et, plus important, ils n’ont aucun moyen d’avoir une idée) de la différence qu’il y a entre aller vers le nord ou aller vers l’est, et donc ils tirent à pile ou face. Les joueurs n’ont aucune possibilité de faire quelque sorte de projet (agency) et au final, ce n’est pas une expérience satisfaisante(1).
Maintenant, prenez la même île, mais cette fois avec deux sectes rivales connues du clerc du groupe (grossièrement – il connait probablement leurs symboles et quelques bribes d’informations à leur sujet). Le mentor du rôdeur lui a parlé d’un donjon en ruines en bordure d’un lac au nord, et le voleur, en tant que membre de la guilde des voleurs du coin, sait qu’un groupe de bandits situé à l’est a récemment attaqué une caravane et volé une cargaison d’épices.
Le groupe est désormais au moins en mesure de décider, en connaissance de cause, d’aller soit vers le nord, soit vers l’est, ou carrément de se tourner vers l’ouest pour voir sur quoi ils tombent. S’ils trouvent un sanctuaire appartenant à l’une des sectes, le clerc peut intervenir et sans doute donner quelques informations. C’est encore mieux si, dans ce sanctuaire, ils tombent sur une mystérieuse prophétie qui les mène à une mine abandonnée au nord-ouest. Et s’ils capturent certains des bandits, ils découvriront que l’un d’entre eux porte un tatouage l’identifiant comme un membre de l’autre secte. Une fois interrogé, il leur parlera d’un rendez-vous secret qui doit avoir lieu dans trois jours sur une falaise surplombant la rivière. Et ainsi de suite.
Donc, au lieu d’avoir une tonne de rencontres aléatoires et déconnectées, la trame de la campagne compte désormais au moins trois fils conducteurs que les joueurs peuvent saisir. Il se trouve que deux d’entre d’eux sont liés. Si le bac à sable est correctement mis en place, il devrait y avoir d’autres fils n’attendant que d’être découverts. Les joueurs commenceront-ils par suivre le fil qui conduira leurs PJ aux mines, ou choisiront-ils celui qui mène au château ? Et qu’arrivera-t-il selon qu’ils choisissent l’un ou l’autre ? Peut-être que dans un mois, si les adeptes de la secte ont pu se réunir sans être importunés, une plus grande menace surgira dans la ville où les personnages ont établi leur quartier général. Menace qui se changera en une autre piste d’intrigue qu’ils seront libres de suivre ou non.
Le fait est que qu’une campagne en bac à sable bien construite offre des choix éclairés aux joueurs. Des dizaines de fils conducteurs peuvent s’offrir aux joueurs qui peuvent choisir de les suivre ou pas, selon leur bon vouloir. Ces choix doivent avoir des conséquences ; s’ils ignorent que Hastur est invoqué lorsque les étoiles sont alignées, ils devraient au moins avoir une chance de comprendre ce qu’ils font. « Oops! Vous n’êtes pas allés au nord, donc le Grand Ancien a détruit la ville. Pas d’bol ! » est exactement ce qui ne devrait pas se produire.
C’est pourquoi les bacs à sable sont si difficiles à élaborer. Il est en fait bien plus facile de créer une aventure linéaire. Les joueurs vont d’un point A à un point B puis à un point C et on connaît leurs actions ainsi que leurs conséquences (dans les grandes lignes). Mais une campagne en bac à sable est une grille à 3 dimensions offrant une multitude d’options. Afin que ces options aient un sens pour les joueurs, on doit leur donner les informations nécessaires pour qu’ils prennent des décisions qui tiennent à bien plus qu’un simple tir à pile ou face.
Article original : On sandboxes
(1) NdT : retrouvez la problématique du voyage « informé » dans le bac à sable dans Conan en savait plus que Howard sur la Cimmérie [Retour]
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Commentaires
Visiteur (non vérifié)
ven, 06/02/2015 - 18:01
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Dubitatif
Je ne suis pas d'accord du tout avec ce texte. Je vais probablement écrire un pavé, désolé d'avance.
L'objet du bac à sable est pour moi de sortir de la structure "problème/résolution"; si parce que le groupe est allé à la ville au nord, la ville au sud à été détruite par un Grand Ancien, ça ne devrait pas être un problème du tout ; le MJ ne devrait pas avoir PREVU que la ville devait être sauvée, il ne devrait pas avoir un "scénario linéaire" parralèle dans la ville du nord, qui vient soudain de passer à la trappe. Revenir dans une ville détruite devrait être aussi intéressant que de la sauver de la destruction.
L'intérêt d'un bac à sable est pour moi justement de faire sentir aux joueurs qu'il ne sont pas en face d'un arbre de choix possibles, chacun conduisant à un différent scénario linéaire; mais plutôt que le monde continue sans eux, qu'ils sont libres de l'explorer ET DE NE PAS RESOUDRE DE CONFLITS avec la régularité d'acteurs de sitcoms sentimentales.
Les joueurs devraient être dés le début impliqués dans le bac à sable, soit. Mais pas comme sont impliqués des joueurs de l'Appel de Cthulhu dont la grand mère vient de mourir ! Pas avec un tas de "carottes" dont on irait chercher la plus appétissante ! Un joueur devrait avoir de la famille dans la ville menacée, la guilde des voleurs devrait avoir une crise politique interne ; dans les deux cas, le joueur est impliqué émotionnellement, et il peut intervenir. Mais rien ne le force à intervenir, il est libre de "construire" son château de sable comme il le souhaite, et de préférer aller fonder une cité minière sur la montagne décrite par le MJ, ce que ne permettrait jamais un scénario linéaire.
Un MJ qui prépare un bac à sable devrait selon moi se contenter de décrire un univers, ses interactions internes, et le lier aux joueurs ; et ne prévoir aucun évènement futur. Là, on obtient une réelle liberté, et le MJ évite la "déception" qui survient lorsque ses joueurs "manquent" quelques-unes des scènes qu'il avait imaginé dans son petit cinéma mental ; on les laisse créer les leurs.
On me rétorquera qu'il n'y a là rien pour "motiver les joueurs". Avez-vous eu, vous MJ, besoin d'être motivé pour créer un univers durant une dizaine d'heures après le boulot ? Si vos joueurs sont incapables de se motiver pour intervenir dans cet univers, et vous MJ avez besoin, en plus de tout votre travail, de leur fabriquer sur mesure des motivations - comme le propose cet article -, vous avez (désolé) une relation très malsaine avec vos joueurs. Si pas un seul de vos joueurs n'est capable d'intervenir dans un univers qui leur laisse une liberté totale, ce serait peut-être une bonne idée de ne tout simplement pas faire de bac-à-sable. Parce que non, les scénarios linéaires, ce n'est pas "sale"
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