Pourquoi les femmes jouent-elles au jeu de rôle?

Ce que je suis sur le point de révéler va me rendre impopulaire, me faire paraître misogyne, cynique, et peut-être même hostile. Mais malgré tout c’est vrai, et c’est pourquoi je suis impardonnable. Écoutez attentivement, ce n’est pas un secret. Pourquoi, en vérité, les filles en arrivent au Jeu de Rôles ? Le JdR n’est pas exclusivement le domaine de geeks [les grosses têtes, un peu zarbis (NdT)] blafards et de nerds [des  geeks plus gros, lourds, insortables, rejetés (NdT)] qui se font pipi dessus à l’idée du contact avec une vraie fille. Mais ce n’est pas non plus un bastion d’étalons inexpérimentés qui n’aspirent à rien d’autre que de tomber les filles pour une nuit de romance passionnée. La plupart du temps, les garçons qui jouent à ces jeux apparaissent comme de gros tas, non pas de muscles, mais de timidité, à la peau et au tempérament moite, à court de compétences sociales et plus effrayés par toute fille n’étant pas un parent proche que par n’importe lequel des monstres mythiques que leur personnage puisse affronter.

La vérité est que les filles, durant leur adolescence, ne sont pas mieux. Elles ne font que le CACHER mieux

Ce n’est pas pour critiquer le mâle de l’espèce. La vérité est que les filles, durant leur adolescence, ne sont pas mieux. Elles ne font que le cacher mieux. L’adolescente moyenne a la peau plus fine qu’une feuille d’or et plus sujette aux boutons qu’un dalmatien atteint de rubéole. Elle a des amies du même genre, en nombre variant de une à un millier, toujours ensemble, en se proclamant, selon le code des filles, “M-A-V” (Meilleure Amie pour la Vie, si vous n’avez pas encore eu la chance d’être initié à ce code jusqu’à présent.). Ensuite, si elles sont dans une configuration de groupe différente, elle calomniera immédiatement et dans les grandes largeurs l’amie absente, avec des détails à faire pâlir une harpie, et un mélange de faits et d’invention à faire frémir de jouissance un éditeur de tabloïds. Vous pensiez qu’il y avait eu des massacres durant les guerres puniques ? Attendez de voir deux filles qui découvrent ce qu’elles ont dit l’une de l’autre, avec tout ce qu’il y a de hurlements, de pleurs, de claquement de portes et de déclarations larmoyantes sur le fait de “ne plus se parler pour toujours”. Ce “pour toujours” dure souvent à peu près deux semaines, lorsqu’elles se retrouveront pour pourrir une autre amie absente et imputer toute leur brouille sur son dos.

Alors avec tout cela à offrir, pourquoi n’importe quelle fille ne voudrait-elle trouver refuge parmi les boîtes à pizza, les emballages de biscuits, les écrans, les livres de règles et les dés ? Certes, certaines filles peuvent conserver une petite part de santé mentale durant l’adolescence. Mais je dis la vérité : malheureusement, aussi choquant que cela puisse paraître, ce n’est pas le cas. Les filles commencent à jouer, reviennent aux tables, aux fiches de perso et aux dés, pas tant pour recouvrer leur équilibre psychique, mais pour goûter au fait d’être quelqu’un d’autre. Quelqu’un de populaire. Quelqu’un qui peut battre un ogre au bras de fer, sans parler des profs de maths.

Ce que chacune de ces filles veut, penchée sur son personnage, les dés en main et examinant très sérieusement les tables de progression des personnages, les tables d’expérience, ou tout autre texte approprié, ce que chacune de ces filles veut, c’est de la popularité ! Si le capitaine de l’équipe de foot tombe follement amoureux d’elle, elle apparaîtra de moins en moins aux parties et passera son temps dans les décolorants pour cheveux à regarder une autre sorte de jeu très différent et plus physique. Bien sûr, si elle était le genre de fille à lui taper dans l’œil, elle n’aurait probablement jamais commencé à jouer au JdR.

Si je concède qu’il est à peine envisageable qu’une top-modèle quatre étoiles, avec le genre de sourire aveuglant des pubs pour dentifrice et une silhouette conçue pour le pole dance, découvre le JdR et l’apprécie, le fait est qu’une vie sociale de non-rôliste prendra, et généralement prend effectivement le pas sur la chance de lancer des dés en tuant des pirates imaginaires. Comment ? Vous jouez les Corsaires spatiaux de Saturne ce soir ? Eh bien, c’est tentant, je dois l’admettre, mais Johnny m’emmène dans un restaurant étoilé au Michelin. Vous avez des apéritifs au fromage ? Alors, attendez, j’appelle Johnny et je lui dis que je ne peux pas venir ! Dans vos rêves. Mais ceci ne s’applique qu’aux adolescentes, n’est-ce pas ?

Les femmes adultes ont tout autant de raisons d’essayer de s’échapper dans les jeux que les adolescentes

Ne soyez pas stupide. Ce n’est pas moi qui suis particulièrement méchante, j’ai été aussi coupable de ça que les autres. Je sais. Quand vous grandissez, ces pulsions malignes, mesquines, vicieuses et complètement perverses ne disparaissent pas comme ça. Vous avez déjà assisté à un enterrement de vie de jeune fille ? Les femmes adultes sont justes des adolescentes déguisées. Tous ces moments de potins refont surface et même s’ils peuvent être formulés avec plus de diplomatie, ils existent toujours. La plupart du temps, ils sont formulés avec moins de diplomatie, la langue s’étant affûtée contre l’acier de l’expérience. Les bavardages de cour d’école sont devenus des intrigues de bureau. J’ai vu plus d’une partie gâchée à cause d’une femme adulte qui ne savait pas partager le rôle officieux de femelle dominante. Dans un autre cas, c’était un homme qui n’a pas pu supporter qu’une joueuse en ait apparemment de plus grosses que lui, quand s’est posée la question du commandement du groupe. Parfois, un homme peut être aussi langue de pute que n’importe quelle femme…

Les femmes adultes ont tout autant de raisons d’essayer de s’échapper dans les jeux que les adolescentes – plus, en fait. Votre bataille des Ardennes quotidienne vous met à plat ? Glissez-vous dans la peau d’une super héroïne. Elle a un sourire qui les fait tomber raides. Non seulement elle sait porter un spandex [la combinaison très moulante qui met en valeur les super-héro(ïne)s, NdT], mais en plus elle le fait en combattant le crime ! Personne ne la critique jamais pour une faute de goût. Les cheveux en bataille ? Ça ne lui arrive jamais. Elle peut stopper un train fou rempli de matières radioactives et sa coupe s’en sort comme si elle venait du salon de coiffure. Vous n’avez pas fini les piles de lessive, la vaisselle, le courrier ? D’une seule main, elle a nettoyé trois rivières, un politicien corrompu, une organisation criminelle ET sauvé un panier de chatons de la noyade, avant le petit déjeuner. Il est consolant de voir qu’aussi bas que nous puissions tomber, au moins notre personnage est tout près d’atteindre le niveau dix-huit.

Qu’en est-il du drame, du pathos, de l’angoisse ? Malheureusement, trop de femmes veulent des quantités exorbitantes de tout cela, dans leur roleplay. Elles tournent et tournent en rond dans les mêmes schémas sans jamais les résoudre. Cela coûte seulement pour le perso de la joueuse angoissé, le fait d’être, d’une manière ou d’une autre, parfaite, sans reproche, et exceptionnellement stoïque. Sa mère était une sorcière abusive et c’est pourquoi sa vie sentimentale est un naufrage. Mais le petit ami de son personnage ferait bien de ne pas rêver de la quitter pour un autre PJ (ou, Dieu l’en garde, pour un PNJ !), parce qu’elle est juste trop patiente, talentueuse, douce et compréhensive. Qui pourrait tromper un tel amour de femme ?

Les gens qui jouent de tels personnages – quel que soit le sexe de ce PJ –, sont habituellement des femmes. Ces joueuses montrent habituellement de la réticence à résoudre leurs problèmes dans la vraie vie, alors ne parlons pas de s’occuper de la pagaille qu’est la vie de leur personnage. Cela fait partie intégrante du désir de s’échapper de la réalité, qui n’est pas complètement mal (1) .

Personne ne peut faire face à la vie quotidienne sans un répit occasionnel, et, comme sortie de secours, c’est mieux que de vider un litre de gin tous les soirs ou de porter des bas résilles et des talons aiguilles à un coin de rue pour financer son addiction. Les femmes peuvent être des gens formidables – quelques-uns de mes meilleurs amis sont des femmes, et la plupart d’entre elles sont nées comme ça ! J’admets qu’il reste à voir si elles seront toujours mes amies après avoir lu ceci. Je devrai sûrement me racheter avec un exposé similaire sur les joueurs, qui épargnera les pins-up. Et pour maintenant, toutefois ? Eh bien j’ai la montagne de vaisselle des vacances qui m’attend et aucune alter ego super-héroïque pour venir à mon aide. Peut-être est-il temps de trouver quelques nouveaux jeux avec lesquels je pourrais distraire mon mari, pour qu’il ne remarque rien. Google, emporte-moi loin de tout ça !

article original : Why do girls game? S&P n°29 p.22-23


(1) NdT : Ici, Fey Boss rejoint l’avis de Steve Darlington, lorsque l’évasion de la réalité peut sauver du suicide ptgptb [Retour]

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Commentaires

Tellement vrai, ça fait 30 ans que je suis adepte des JdR... et j'ai si souvent aimé jouer avec une proportion de femmes dans mes groupes... mais hélas, certaines étaient comme vous le mentionnez... mes conjointes (depuis des années) ont rarement essayé ; la dernière, ma conjointe actuelle, s'y prête mais pour la forme, pour l'idée de faire quelque chose avec moi, et elle a beaucoup de mal à se laisser aller dans l'imaginaire... que ne nul ne perd en vieillissant... l'imagination est seulement endormie :))))))

Auteur : 
F.Abondance

Si je ne me trompe pas, cet article est traduit d'un en anglais, venant d'un magazine anglais et américain.

La réalité qui y est décrite est donc extrêmement spécifique et s'applique à un milieu bien particulier : celui d'un lycée américain/anglais, lequel a la réputation d'être très discriminatoire et de répartir tous les individus en différentes catégories.

J'ignore si c'est vrai (ça a l'air d'être le cas dans cet article), mais l'important c'est de ne pas généraliser et de bien préciser le contexte de l'article : ce qui peut être vrai dans un lycée américain/anglais ne le sera pas forcément en France. Et s'il faut vraiment ce genre d'articles, beaucoup de chercheurs en sociologie/anthropologie se sont penchés sur la question, leurs articles sont donc un poil plus précis.

Auteur : 
Anne

@Anne

Exactement! Ceci est l'avis de l'auteure, et même s'il offre une perspective inédite (ah, mais qui voudrait participer à des activités avec les geeks? ;) ), il ne prétend pas être universel.

Plein de gens lisent ce texte et fulminent, en disant qu'il raconte n'importe quoi, juste parce qu'il ne correspond pas à leur propre expérience :( Merci d'avoir rappelé les limites.

Auteur : 
Rappar

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